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  • Tillinac : «Le bonheur d'être français»

    L'auteur du Dictionnaire amoureux de la France s'est plongé dans notre album de famille. Pour Le Figaro Magazine, il brosse le portrait de Français en proie aux difficultés, mais plus que jamais attachés à leur pays. Et réconciliés avec leur histoire.

    Les Français aiment la France et n'ont aucune envie qu'elle perde sa singularité: tel est le verdict de cette grande enquête du Figaro Magazine, menée pendant plus de quatre mois, et qui prend à revers la plupart des sondages. Nos compatriotes ont la fibre cocardière, le mal du pays dès qu'ils s'en éloignent et une tendance à idéaliser sa mémoire. Dieu sait pourtant que, depuis une décennie, on caricature leurs ascendants, en esclavagistes, colonialistes, collabos, tortionnaires et xénophobes incurables. Non seulement la «repentance» ne les hante pas, mais les divinités de leur panthéon national sont plutôt martiales: Charlemagne, saint Louis, Jeanne d'Arc, François Ier, Louis XIV, La Fayette, Napoléon qui décidément ne se décotent pas dans le cœur des Français, comme le prouvent les succès des livres de Gallo après ceux de Castelot puis de Tulard. Nos gouvernants ont eu tort de céder aux injonctions de quelques idéologues hostiles à la célébration du bicentenaire de la bataille d'Austerlitz.

    Il semblerait que les fondamentaux de la mythologie des «hussards noirs» de la IIIe République n'aient pas périclité dans le marasme de la pédagogie moderne: la France est noble par essence, mère de la liberté, des droits de l'homme, des lettres, des sciences et des arts. Sa grandeur est revendiquée sans la moindre vergogne et on perçoit son fond de catholicité dans la texture des compassions pour les plus démunis. Exit l'anticléricalisme d'antan! Largement revendiquée, la laïcité s'en tient à un éloge de la tolérance et vise surtout les intégristes musulmans. Une part notable de la sensibilité de gauche est manifestement réconciliée avec le patriotisme, et une figure désormais tutélaire transcende les clivages partisans: de Gaulle. Loin des temps où ils furent passionnément gaullistes ou antigaullistes, les Français plébiscitent un symbole d'altitude, de probité, de sens de l'honneur, de défi au fatum. L'historial des Invalides vient à son heure pour confirmer l'accession du solitaire de Colombey au vaste ciel de notre légendaire. Tandis que la mémoire de Jaurès, de Blum et de Mitterrand concerne surtout ceux de leur camp. Encore peut-on présumer que Mitterrand, longtemps craint plutôt qu'aimé, a forcé le respect par son courage face à la mort. En outre, le côté monarque impavide de son dernier septennat a flatté un imaginaire qui n'a pas envie de renier ses rois, en dépit du pathos républicain en usage.

    L'obscure conscience d'hériter de quinze siècles fabuleux d'histoire

    Les cœurs qui s'emballent quand on entonne La Marseillaise font la synthèse, et Zidane, souvent cité, commémore Jeanne d'Arc sous Orléans ou Condé à Rocroi autant que Bonaparte au pont d'Arcole, les soldats de l'an II à Valmy ou l'«armée des ombres» de Kessel entre les mailles de la France officielle. Le titre mondial des Bleus, ceux de nos handballeurs - hommes et femmes - , les prouesses de Tsonga, de Monfils, des guerriers de Dusautoir contre les All Blacks: autant d'occasions de gratifier ce songe invincible de grandeur imputable au Roi-Soleil, à l'Empereur et à l'homme du 18 Juin. La popularité de ces champions prouve que les Français ne sont nullement racistes, qu'ils votent ou non pour le Front national. Alain Mimoun, arabe de souche, ancien champion olympique, cocardier impénitent, gaulliste intransigeant et corrézien de cœur, illustre ce que les «Gaulois» escomptent de leurs compatriotes venus d'horizons lointains. Ce qui les désoblige, c'est le dénigrement d'un pays dont ils se font une idée si avantageuse. Voilà pourquoi ils sont tellement offusqués par le chômage, la pauvreté, les injustices et la violence: un tel éden devrait être exempté de ces maux. En réalité, il leur déplaît souverainement que la France en crise ressemble à ses voisins, manquant par le fait à son devoir d'exemplarité. Comme s'ils ne lui reconnaissaient pas le droit à la banalité. D'une certaine façon, ils accréditent l'imputation de suffisance qui nous est si souvent reprochée ici ou là. Mais comme ils ont un goût inné pour l'esprit de contradiction, ils sont les premiers à dénoncer nos travers, parfois jusqu'à l'autoflagellation.

    Reste à discerner ce qui motive ce sentiment d'amoureux à la fois transis et vite désenchantés. D'abord, la force de l'enracinement. Les Français ont obscurément conscience d'hériter de quinze siècles d'histoire-géo assez fabuleux, et ça les flatte. Tous avouent une préférence pour la région, le terroir, la cité où ils ont planté leurs pénates, que ce soit de fraîche date ou au plus près d'une tombe de famille. Ils ne se verraient vivre nulle part ailleurs, bien qu'appréciant la diversité de nos paysages et de notre patrimoine architectural. Ils peuvent être mécontents de l'état du pays, et plus encore de l'état d'esprit de leurs compatriotes, ils n'en sont pas moins heureux d'être là où ils gîtent, fût-ce dans la banlieue d'une grande ville. Heureux d'une «douceur des choses» indicible, de la beauté des décors qui les cernent. Pour citadins qu'ils soient presque tous devenus, un bucolisme invétéré les relie à notre antique ruralité, et d'un arpent de bitume ils se font une patrie en modèle réduit. Fauchés ou friqués, ils prennent au jour le jour leur part d'un art de vivre où la gastronomie tient symboliquement une grande place.

    Bien manger et bien boire n'est pas superfétatoire au pays de Rabelais; il en résulte cette convivialité bon enfant que l'on déguste «assis sous la tonnelle, du côté de Nogent». Ils apprécient qu'en France les produits et les mets portent des noms de lieux, depuis l'andouille de Vire jusqu'à la saucisse de Montbéliard en passant par les rillettes du Mans, les piments d'Espelette, les pompes aux grattons du Bourbonnais, les huîtres de Marennes, la sole à la dieppoise ou les pieds de porc à la Sainte-Ménehould, les fromages de Livarot ou de Roquefort, les calissons d'Aix-en-Provence ou les bêtises de Cambrai. J'en oublie, et des plus savoureux, aux quatre coins de l'Hexagone. Quelle contrée, quel patelin ne s'enorgueillissent d'une «spécialité»? Quelle cérémonie, privée ou publique, ne se parachève en agapes? Dans quel autre pays un écrivain, Blondin pour le nommer, aurait choisi pour devise «Remettez-nous ça»? En Bourgogne autant que dans le Bordelais, le patriotisme œnologique est exigible; à peine tolère-t-on une coupe de champagne la nuit du réveillon - le vin de Champagne, ce miroir rutilant de nos délicatesses.

    Dans ce pays de cocagne dont les grands crus et les égéries majeures (Coco Chanel, Brigitte Bardot) jouissent d'une renommée mondiale, on se veut, on se sent, on se sait civilisé. D'où une invocation récurrente à la «culture». Le mot qualifie moins les «cultureux» des Drac *, qu'un mixte de patrimoine (les abbayes, les châteaux de la Loire, Versailles, le Louvre, etc.) et de fermentation intellectuelle et artistique. Laquelle enrôle la môme Piaf, Gabin, Pinder, Guignol et les chansonniers, autant que nos écrivains «classiques».

    On lit plutôt ceux dits du terroir, et, en France, chaque «pays», au sens braudélien du terme, s'honore d'une plume qui a loué ses charmes, le Berry de George Sand, les Landes de Mauriac, la Provence de Giono ou de Pagnol, les Ardennes de Dhôtel, le Limousin de Giraudoux, le Val de Loire de Genevoix. La tombe de Rimbaud à Charleville est toujours fleurie et l'aiguille creuse d'Etretat doit autant à Leblanc que la Bretagne à Chateaubriand, la Lorraine à Barrès ou le cimetière marin de Sète à Valéry. Qu'il fréquente ou pas nos gâcheurs d'encre, le Français se targue d'appartenir à un pays où les prix littéraires sont aussi nombreux que les sortes de fromages. Il revendique avec la même gloriole une présomption d'insoumission, avec l'adjuvant de la générosité (Coluche, l'abbé Pierre) ou de panache (Cyrano, D'Artagnan). Une dose de poujadisme, une dose de passéisme, une grosse dose d'idéal et une double pulsion «réac» et égalitariste: le Français contemporain est mal dans ses pompes, mais bien dans son pays. D'ailleurs, on l'expatrie malaisément: il faut de grosses primes pour le parachuter là où l'économie tourne à plein régime, Amériques, Chine, Inde, etc. «Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux»: ce vers de Du Bellay reste de mise à l'heure de la mondialisation - et si l'on croit devoir s'ébahir devant le Taj Mahal, on estime en son for que Chambord ou Versailles, c'est beaucoup plus beau.

    Unanimité sur un point : c'est un privilège d'être français

    Les souvenirs liés aux deux guerres mondiales et au conflit algérien commencent à s'estomper et par voie de conséquence, l'antimilitarisme omniprésent lorsque j'étais bidasse a quasiment disparu. Aucune allergie au défilé du 14 Juillet, évocation plutôt sympa du passage sous les armes, où l'on apprenait à picoler, à courir le jupon et où l'on frayait avec des gars de tous les milieux. Cela vaut pour les anciens, mais la jeune garde n'a rien contre l'uniforme, et les tribulations de nos forces armées en Afghanistan ou en Libye lui inspireraient plutôt un certain respect. Aucune haine de l'immigré, bien que son nombre inspire des perplexités compréhensibles. On prend acte de ses soucis mais on voudrait qu'au lieu de récriminer, il prît conscience de son privilège. Car c'est un privilège que d'être français, ou de vivre dans le giron de l'Hexagone: sur ce point, unanimité! On voudrait aussi que cesse cette ambiance de morosité, de nervosité, de frustrations, ainsi que cette prévalence du fric trop vite ou mal gagné, cette ronde inepte des people, cette vulgarité pour tout dire. L'arrogance des «élites» est mal perçue parce que l'antagonisme des classes répugne à notre naturel, indépendamment de la Révolution, qui a perdu quelque peu de son aura. On impute ce climat délétère aux politiques - scandales et crise obligent -, et en vénérant les mânes de De Gaulle, on les renvoie tous à leur trivialité, jugée indigne de l'âme de la France. Ce qui, implicitement, postule l'existence d'une âme nationale, distincte des attributs de la souveraineté, et à laquelle nos compatriotes tiennent mordicus. Si j'étais Sarkozy ou Hollande, j'en tirerais des leçons: les «transgressions» de l'un, la «normalité» de l'autre ne sauraient passer la rampe dès lors que Louis XIV et Napoléon Ier demeurent si présents dans l'imaginaire collectif.

    Schuman et Monnet n'y sont comptés pour rien. L'Europe, son euro et son «couple» franco-allemand peuvent être tenus à la rigueur pour des nécessités, on ne constate aucun affect européen. La France, rien que la France - et plus elle se distingue, mieux on fanfaronnera aux apéros du café du commerce. C'est ainsi. A l'aune de nos fantasmes, la seule Europe plausible aura été celle - résolument «impérialiste» - ébauchée par Charlemagne, puis par Napoléon: une sorte de pax francorum qui inciterait nos voisins... à nous ressembler. Elle n'est pas à l'ordre du jour. Si j'étais sociologue (Dieu m'en garde!), je m'aviserais de la désuétude de l'héritage de Mai 68. Il n'a rien déposé dans les sous-sols de la conscience, en sorte qu'en lisant ce reportage, l'ex-gaucho recyclé en bobo doit se sentir un peu seul. A gauche, c'est Voltaire, Ferry ou Marie Curie que l'on revendique, pas Che Guevara ou Lanza del Vasto. On ne sait pas ce qui sortira des urnes le printemps prochain mais jamais, depuis un demi-siècle, la France n'a été aussi rétive au freudo-marxisme de ma génération! Si ses épigones accédaient au pouvoir, ça ne prouverait que la nullité de leurs adversaires. A bon entendeur...

    La peur panique que la France ne se ressemble plus

    Au meilleur sens du terme, le peuple français est conservateur, jusque dans son apologie des trois termes de la devise républicaine. Il estime à juste titre jouir de la liberté, mais indéniablement il aspire à couler ses jours dans une France où les ego seraient moins avides, les élites moins cyniques. Il n'est pas moins conservateur dans son feeling écolo: il a moins peur d'un sac de la planète que d'une pollution de la rivière où il taquine le goujon. Au fond, il a une peur panique que la France ne ressemble plus à sa très chère imagerie et il a bien raison. Un seul bémol: il confond les invariants et les acquis. Parce que «sa» France est belle comme une madone, il croit qu'elle le protégera de tout. Il ne peut pas, il ne veut pas admettre que plus rien n'est acquis par les temps qui courent. Ou plutôt qui nous embarquent dans un galop effréné. Or, pour pérenniser un héritage aussi fastueux, il va bien falloir retrousser les manches et se serrer les coudes. Le Français y consentira, de mauvaise grâce, si on lui assigne un idéal digne de l'appellation. Travailler plus pour ne pas gagner plus, soit, puisque l'avenir de sa progéniture est à ce prix. Mais à condition que son voisin de palier ne soit pas indûment planqué ou assisté, car il en a sa claque des gabegies. Ces réserves faites, on se réjouit de constater que dans ce pays de frondeurs et d'aimables barjos, le sens de l'honneur de la France et l'attachement à sa mémoire sont aussi vifs que jamais, et le bonheur, jamais loin. L'autodépréciation et le nihilisme étant passés de mode, il suffirait d'un déclic...

    Denis Tillinac, distingué par de nombreux prix littéraires, est notamment l'auteur du Dictionnaire amoureux de la France (Editions Plon, 2008).

    * Directions régionales des affaires culturelles.

  • Des arbres et des hommes.

    Pour une autre lecture des paysages méditerranéens .

     

     

    Presque aucun de nos arbres n’est indigène. De tous temps, grâce à son climat spécifique, la région méditerranéenne a été terre d’adaptation de végétaux étrangers. Olivers, micocouliers, cèdres, treilles, cyprés, palmiers et les autres, tous disent ce que recherche le planteur : l’utilité ou la distinction, la convivialité ou la conformité à la mode du moment. C’est ce que qu’expose Josiane Ubaud dans un ouvrage désormais introuvable, Des arbres et des hommes, Édisud, 1995.

    On trouvera ci-dessous un résumé de l’ouvrage, établi par l’auteure elle-même et initialement publié dans Échanges et Patrimoine, Revue des villes et pays d’art et d’histoire, mars 2003, sous le titre Des arbres et des hommes : pour une autre lecture des paysages méditerranéens.

    La rédaction de BtJ la remercie vivement d’en avoir autorisé la publication.


    Nous voudrions présenter ici un aspect des paysages qui, n’étant pas enseigné, n’est jamais abordé par les forestiers, les architectes-paysagistes, les pépiniéristes, bref par tous ceux dont le métier est de planter ou faire planter des arbres ou de gérer des espaces verts : l’aspect culturel, symbolique et sociologique. Il va sans dire que cela s’adresse tout autant aux particuliers, qui par le choix qu’ils font pour orner leurs jardins, modèlent peut-être encore plus les paysages que les professionnels, statistiquement parlant.

    En croisant les regards qu’ont pu porter sur les arbres les écrivains occitans depuis le 16ème siècle jusqu’à nos jours, les discours que nous avons recueillis, les dictons et proverbes occitans relatifs à ces arbres d’une part, la symbolique de ces arbres dans les civilisations méditerranéennes (grecque, perse, latine) dont il est trivial de rappeler que nous en sommes les héritiers culturels directs d’autre part, et enfin le regard d’un sociologue, J. Baudrillard, sur les réflexes de la société de consommation, nous avons été amenée à montrer (Des Arbres et des Hommes, Edisud, 1995) que l’arbre n’a jamais été planté au hasard. Il a toujours eu certes une fonction d’usage (décoratif, utilitaire ou nourricier) évoluant au gré des modes, qui ne doit pas cacher pour autant sa fonction de signe et sa charge symbolique ancrée dans une culture : l’arbre est un signe qui produit du sens dans la société. C’est donc une autre lecture des paysages méditerranéens que nous proposons.

    Nous nous sommes intéressée plus particulièrement aux arbres plantés à côté des architectures, à ces sujets souvent isolés qui ont été choisis pour "signer" une construction et que nous avons donc choisis d’appeler "marqueurs", en ce qu’ils sont toujours associés aux mêmes types d’architecture, constituant des couples incontournables : tombe/cyprès mais aussi cabanon/cyprès, église/micocoulier en Languedoc oriental, château/cèdre, maison bourgeoise de village/palmier, etc. Nous n’analysons donc pas les structures des jardins et des parcs au sens large, mais l’usage limité de ces arbres compagnons de ces constructions et qui ont interpellé notre regard en ce qu’ils sont statistiquement majoritaires. ( il n’y a pas - ou si peu - de Photinia, Gingko, Paulownia, pas plus que de chênes verts ou frênes, « marqueurs d’architecture » du moins en zone méditerranéenne).

    Les marqueurs sociaux

    On distingue ainsi les marqueurs sociaux (cèdre, palmier), qui ne sont là que pour attester du rang social du propriétaire et qui ornent les habitations de prestige. Le cèdre est voué au pouvoir et à la gloire depuis les temps bibliques : sa stature, l’imputrescibilité de son bois, en faisait l’arbre des puissants et des justes, réputés incorruptibles. Depuis son arrivée en France au XVIIIème ( d’abord le cèdre du Liban, puis celui de l’Atlas et de l’Himalaya ), il marque donc tous les châteaux, et dans la plaine languedocienne comme dans le vignoble varois, il impose sa stature dans les grands domaines viticoles. Il marque aussi bon nombre d’hôtels particuliers d’Avignon ou du Luberon ( devenus depuis des bâtiments publics ), et les grandes abbayes et séminaires. Il semble que plus généralement, tous les résineux soient investis de cette symbolique : sapins méditerranéens, séquoias, sont présents dans les parcs de prestige, et côtoient ou remplacent le cèdre, tandis qu’une allée de pins parasols ( en général, l’allée principale, les secondaires sont plantées de feuillus ) conduit aux grands domaines viticoles héraultais, gardois ou varois. Le palmier est au contraire plus récent et arrive avec la mode de l’orientalisme, au milieu du XIXème siècle. Toutes les villas de la Côte d’Azur mais aussi celles de la Corniche marseillaise sont marquées de palmiers (Phoenix). Collectionné avec d’autres plantes exotiques par de riches propriétaires terriens, il marque aussi les maisons les plus bourgeoises dans les villages languedociens ( plus que provençaux ), celles qui ont encadrements de pierres aux fenêtres, balcon en fer forgé et portails en pierres : toujours une paire de palmiers dépenaillés ( il fait plus froid qu’en Provence, c’est donc l’espèce Trachycarpus ), car la paire est un modèle d’esthétisme bourgeois qui renvoie à la notion d’ordre et de moralité nous dit J. Baudrillard, et non à la notion d’esthétique. Cèdre et palmier « ne font donc pas fonction d’objet mais fonction de preuve » : il s’agit d’interpeller le regard et signifier aux autres que l’on appartient pas à la même classe sociale. Il n’y a donc pas eu de rationnel dans leur usage ( fourniture d’ombre, prise en compte de l’espace dont on dispose, esthétique, volume par rapport à l’architecture, etc. ). Depuis peu, le palmier est passé en Languedoc d’un statut de marqueur privé à celui de marqueur collectif de sud de luxe, de sud fantasmé, de sud californien ou de copie de Côte d’Azur ( mais jamais en référence à l’Afrique du Nord, sauf en usage privé par les pieds noirs, qui reconstituent alors dans leur jardin « le paradis perdu » ) : il s’agit à tout prix de « faire sud », d’attirer le touriste selon l’équation un palmier = un touriste ( on l’a vu au moment du Mondial ! ). Le palmier semble donc voué à « faire preuve » si l’on en juge par la frénésie de plantations qu’il déclenche sur le littoral languedocien. N’oublions pas qu’il a lui aussi un passé chargé de gloire puisque les décorations honorifiques perpétuent la symbolique antique de la palme ( Palmes académiques, remporter la palme, …), et un passé mystique puisque la palme est l’emblème des saints et des martyrs dans toutes les peintures anciennes.

    Les marqueurs d’usage

    Les marqueurs d’usage ( platane, marronnier, orme, tilleul, acacia, sophora, divers mûriers, ailanthe, arbre de Judée, etc. ) au contraire sont destinés à fournir de l’ombre dense ou légère et peuvent donc marquer tout type d’architecture, tout le monde ayant besoin d’ombre. Ils sont pratiquement absents de la littérature car peut-être justement trop communs, et n’ont pas beaucoup excité l’imaginaire des écrivains. Certains ont pu être sacrés autrefois ( le platane chez les Romains par exemple ) et réservés à l’élite car rares au début de leur introduction en Europe, mais en tombant dans le domaine public, ils ont perdu toute sacralité et se sont banalisés. La paire de platanes admirablement taillés en couronne devant les mas semble être une spécialité provençale. Le marronnier serait peut-être un peu plus bourgeois en zone de plaine méditerranéenne ( il marque tous les hôtels particuliers aixois ), mais il devient au contraire commun dans l’arrière-pays à cause d’un climat frais qui lui est plus propice. L’orme a disparu pour cause de maladie mais était l’arbre obligé des places de villages ( platea ulmi, « la place de l’orme », le Plan de l’Oulme / Oume en langue d’oc, ) où se réunissait toute la population pour entendre les évènements importants de la cité. Ceux plantés par Sully au tout début du 17ème siècle sont toujours vénérés, et conservés même morts comme celui du Caylar sur le plateau du Larzac. On choisit ici le respect de l’ancêtre plutôt que le renouvellement de l’ombrage pour la population. Le tilleul ( comme le marronnier ) est évidemment plus présent dans l’arrière-pays plus frais que la bordure côtière trop sèche, où il se limite en Languedoc à une paire de tilleuls au portail. Les mûriers à connotation agricole ( pour l’élevage des vers à soie ) ne consentent à fournir aussi de l’ombre que dans les villages mais pas dans les villes, où c’est le mûrier de Chine qui prend le relais. Increvable voire envahissant, insensible à la sècheresse et à la pollution, il façonne, avec l’ailanthe, des paysages identiques du Roucas Blanc à Marseille au mont Saint-Clair à Sète. Acacia ( plus exactement robinier ), sophora, mélia, donnent une ombre légère et semblent avoir obéi à l’effet de mode : on trouve ainsi des villages où c’est le mélia qui domine, tandis que dans d’autres c’est le sophora. Au contraire de la famille précédente, ceux qui ont planté ces arbres ont toujours tenu compte du rationnel dans leur usage : feuilles caduques pour laisser passer le soleil l’hiver, qualité de l’ombre recherchée, facilité de croissance, espace dont on dispose, etc. Bon nombre d’entre eux étaient ainsi conseillés dans les traités d’agriculture du 19ème siècle, avec leurs mérites comparés de croissance et d’adaptation.

    Les marqueurs culturels sacrés

    Les marqueurs culturels sacrés, emblématiques des paysages méditerranéens (cyprès, micocoulier, laurier, olivier ) sont ceux qui ont un passé culturel le plus chargé. Tous partagent le fait d’avoir une durée de vie importante, ce qui est à l’origine de leur sacralité : les hommes en effet ne pouvaient qu’être attirés par ces arbres qui soit ne perdent pas leur feuilles, soit rejettent abondamment de souche même s’ils ont été rabattus, soit ont un bois imputrescible, toutes qualités dont les humains sont dépourvus.

    Le cyprès est certes associé à la mort depuis longtemps. Symbole de la mort chez les Perses ( en opposition à l’amandier ), son essence servait à embaumer les momies égyptiennes, on faisait des cercueils dans son bois, et il était associé au culte de Pluton. Il est donc naturellement chez nous marqueurs de cimetières. Mais c’est un contre-sens absolu que de le limiter au seul champ de la mort, ce que l’on retrouve souvent en littérature et dans le discours des gens. C’est en fait le gardien tutélaire des lieux de passage, car il monte la garde aux croisées des chemins en encadrant une croix ( reprenant la sacralité antique des carrefours et des arbres ), à l’entrée des domaines, à l’entrée des chemins de vignes ( la porte symbolique ), à l’entrée des masets nîmois ou des baraquettes sétoises, et il veille au dessus des masets ou cabanons de vignes. L’écrivain languedocien Max Rouquette les décrit comme pensatius ( pensifs ), des flambas sacradas ( flammes sacrées ). Sa ligne pure l’a fait utiliser en espèce décorative, déjà appréciée des Perses, présente dans tous les jardins à l’italienne, que l’on retrouve dans quelques jardins languedociens ou provençaux. Enfin, le célèbre motif décoratif dit « cachemire », qui nous vient des Perses et que l’on trouve sur leurs tapis et leurs tissus, repris sur les indiennes provençales, n’est autre que la silhouette d’un cyprès dans le vent. Le cyprès n’est donc certes pas limité à la mort, surtout si l’on y ajoute ce discours populaire très répandu associé au nombre de cyprès à côté d’une maison : 1, 2, ou 3 cyprès, en symbole d’accueil croissant ( maisons protestantes ? ).

    Le micocoulier est l’arbre sacré du Languedoc oriental. C’était l’arbre des Celtes Arécomiques ( de la zone Montpellier, Lodève, Uzès), ce que dit son nom latin (Celtis australis, le celte du sud), mais c’est son nom occitan qui dit encore plus sa symbolique : fanabreguièr est formé sur le latin fanum, le temple, et le celte brogilum, bois sacré. C’était donc l’arbre associé au sacré. Il a marqué par la suite bon nombre d’églises romanes, beaucoup de jardins de presbytère et les relais sur les chemins de Saint Jacques. Les Languedociens l’ont planté, seul ( vestige de sa sacralité ? ), dans bon nombre de cours de villages, mais plus rarement en allées, où ils lui ont préféré le platane. Maintenant, le micocoulier remplace d’ailleurs souvent ce dernier en arbres d’alignements car il est plus résistant à la pollution : il y perd du coup toute sacralité.

    Le laurier noble ou laurier d’Apollon était l’arbre qui couronnait les vainqueurs chez les Grecs. Nous retrouvons ce sens dans le mot « lauréat », mais c’est le laurier-femelle, celui qui porte les baies (bacca lauri, d’où « baccalauréat ») qui avait cette symbolique. Il marque tous les jardins de presbytère ( avec le buis, arbres toujours verts et rejettant abondamment de souche ), est une des essences bénites pour les Rameaux ( avec l’olivier et le buis ), veille sur bon nombre de portails de belles propriétés du 19ème siècle, et protège toujours de la foudre dans les croyances populaires, comme il le faisait déjà du temps des Grecs. Sa dégradation au siècle passé en « laurier-sauce » et son usage contemporain en marqueurs de boutiques de luxe ( en paires, taillé en boules ) tournent quelque peu le dos à sa sacralité primitive !

    L’olivier est évidemment l’arbre sacré fondamental de la civilisation méditerranéenne, chez les Grecs puis chez les Chrétiens. Mais il n’était pas utilisé chez nous comme marqueur d’architecture, peut-être parce que trop happé par sa fonction agricole ( il est attesté comme arbre d’ornement dans des traités italiens de jardinage, et peut-être l’a-t-il été aussi en des temps anciens en Provence et Languedoc ). Cependant le discours sur l’olivier est toujours différent de celui sur les autres arbres cultivés : l’homme est toujours plein de respect pour ce nourricier antique, ce vieillard au feuillage argenté. On peut voir un reste de sa sacralité dans l’usage contemporain que l’on en fait de marqueurs de ruines plus ou moins antiques ( qu’il vient en quelque sorte authentifier ) et dans l’habitude toujours vivace de le planter comme arbre de paix. Mais son usage récent comme arbre d’ombrage sur les places est quelque peu surprenant ( il n’a pas une forme bien adaptée à cette fonction ), sans parler du tic de la société de consommation qui ne le conçoit que très vieux et le plante sur les carrefours à l’anglaise. Vieillard déchu à nos yeux, et de plus signe d’une société bien vieille et égoïste, qui ne plante plus des promesses de vie pour les générations futures mais du « tout beau, tout grand, tout prêt » pour une jouissance immédiate. C’est tout un rapport au temps qui s’inverse, le passage fondamental de relais entre les générations qui est évacué, comme le disaient les nombreux dictons sur les arbres : olivier de ton grand, castanhier de ton paire, amorier tieu, olivier de ton grand-père, châtaignier de ton père, mûrier de toi.

    Les nourriciers de proximité

    Les nourriciers de proximité ( figuier, amandier, jujubier, treille ) produisent certes des fruits frais et secs pour un apport alimentaire réparti dans l’année mais ce serait une erreur de les limiter à cet aspect utilitaire. Nous les avons appelés également marqueurs culturels de convivialité car la littérature est prolixe à leur sujet. Ils abritaient les repas conviviaux, les réunions d’amis ou les palabres des vieux sages, voire les scènes amoureuses, et ils sont vécus comme l’âme de nos régions, ceux que l’on évoquera avec émotion lors d’une séparation forcée ( exil, guerre ). Avec l’olivier, ils marquent le territoire méditerranéen ( quoique tous « étrangers », ne l’oublions pas ).
    Si l’amandier, messager du printemps, le figuier, nourricier par excellence mais avec une forte symbolique de fécondité, signent les maisons de villages mais sont surtout les marqueurs privilégiés des cabanons ou masets de vigne, le jujubier ne sort pas des villages et il est devenu le grand inconnu, sorti des mémoires : beaucoup de personnes sont incapables de l’identifier. Quant à la treille, l’âme de la maison, car chasca bastida a son trelhàs, chaque bastide a sa treille dit le dicton, elle constitue, comme la famille suivante, des tonnelles, haut lieu de convivialité dans nos climats doux.
    Les fruits de ces arbres s’échangeaient de plus à l’intérieur d’une communauté, en remerciements d’un service rendu ( on n’achetait jamais de figues…) : ayant perdu peu à peu « leur valeur d’usage » comme dit Baudrillard, ils nous reviennent depuis peu avec « une valeur de signe » et jujubes et figues coûtent fort chers !

    Les marqueurs de charme

    Les marqueurs de charme que sont toutes les plantes volubiles (bignone, glycine, rosier de Banks, vigne vierge, renouée du Turkestan ) sont d’introduction plus récente, ornent les portails pour un accueil fleuri mais surtout les terrasses, constituant ainsi des tonnelles, lieu de vie par excellence, surtout aux masets et aux cabanons, ces anciens lieux de travaux aux champs reconvertis en lieux de villégiature dominicale. Les descriptions de réunions exclusivement masculines au départ, puis peu à peu s’étendant à toute la famille, sont fort nombreuses en littérature occitane et vantent toutes les charmes de la tonnelle. Les plantes qui les constituent sont toutes des plantes robustes, ne demandant aucun soin et résistant à la sècheresse, ce qui explique au siècle passé le succès du rosier de Banks, sans épine de surcroît : il marque bon nombre de maisons de villages du biterrois, les masets montpelliérains et nîmois, mais paraît plus rare en Provence. Il revient en force depuis peu.

    Le développement contemporain des zones pavillonnaires fait apparaître une catégorie spécifique dans les usages des végétaux : la haie minéralisée, affirmation de la propriété, par laquelle le possédant traduit "sa compulsion anxieuse de séquestration" (J. Baudrillard). On tourne donc radicalement le dos au culturel, au symbolique, au sacré. La végétation n’est là que pour faire un mur supplémentaire, menaçant d’uniformisation ( si ce n’est déjà accompli ! ) tous les paysages péri-urbains du sud au nord de la France. Uniformisation aussi bien dans les espèces très limitées (lauriers-amandes, pyracanthas, et cupressacées diverses ) que dans l’esthétique ( si l’on ose dire ) des végétaux taillés au cordeau. Un ras-le-bol commence à se faire sentir, et pépiniéristes et architectes-paysagistes essaient de préconiser les haies mélangées dites « haies libres ».

    Planter plutôt un cèdre qu’un figuier, plutôt un cyprès qu’un palmier, plutôt une haie libre qu’une haie rectiligne, n’est donc pas un acte complètement "innocent", même si cela est parfois inconscient. C’est en effet soit affirmer délibérément sa filiation culturelle, celle avec le bassin méditerranéen et ses ancêtres plus proches, soit au contraire vouloir se démarquer à tout prix, faire rupture, tourner le dos au culturel ( voire le mépriser ) car "les objets sont porteurs de significations sociales, porteurs d’une hiérarchie culturelle et sociale… A travers eux, chaque individu, chaque groupe, cherche sa place dans un ordre".( J. Baudrillard )

    Dis-moi ce que tu plantes et je te dirai donc qui tu es, car l’arbre a toujours été le double végétal des hommes, le reflet de son propriétaire. Il s’agit donc bien ici de donner d’autres clefs de lecture des paysages, de dire non tant "ce qu’il faut planter" mais "ce qu’il faudrait savoir avant de planter", afin de ne pas donner à voir n’importe quoi. Afin surtout de ne pas tuer la spécificité des paysages méditerranéens en suivant soit la voie de l’acculturation/déculturation qui, par ignorance de ce sens caché des arbres, se contente de placarder des signes en consommant du vert selon des standards de goût américain ou anglo-saxon ( palmier, pelouse systématique, couleurs vives, plantes gourmandes en eau ), soit la voie de la copie à l’identique d’un passé idéalisé, qui est tout autant un contre-sens, la région méditerranéenne ayant été de tous temps, grâce à son climat spécifique, terre d’adaptation de végétaux étrangers ( presque aucun de nos arbres n’est indigène ). Le respect du culturel et du symbolique n’est donc certes pas contradictoire avec la création ( autour du concept du sec par exemple, étrangement absent des espaces verts municipaux, comme si on n’en finissait pas de digérer ce manque obsédant d’eau qui a marqué nos ancêtres, et qui nous vaut cette surabondance de « moquette verte » ? ), et ce patrimoine vert que nous venons d’évoquer très brièvement est bel et bien un patrimoine culturel riche de symboles, et non pas seulement un patrimoine végétal de pure décoration.

    © Josiane UBAUD - ethnobotaniste en domaine occitan

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  • Franz Hessel / Walter Benjamin : Camp des Milles, Marseille et Sanary, derniers jours en France

    Choses lues, choses vues
    Mercredi, 05 Janvier 2011 21:58
    "Promenades dans Berlin", livre provisoirement introuvable, préface de Jean-Michel Palmier.

    Voici 70 ans, le 6 janvier 1941, Franz Hessel vécut les ultimes heures de sa vie à Sanary, dans le Var. Ses parents relevaient d'une famille juive établie en Allemagne depuis plusieurs générations. Il naquit en 1880 et passa une grande partie de sa jeunesse à Munich et à Berlin. La césure de la première guerre mondiale n'altéra jamais son amour profond pour la France et pour Paris qu'il habita fréquemment. François Truffaut et Oskar Werner qui immortalisèrent sa présence dans Jules et Jim, de grands spécialistes et biographes de Walter Benjamin - Gershom Sholem, Jean-Michel Palmier, Bernd Witte - Manfred Klügge qui a beaucoup publié pour faire connaître l'exil des écrivains allemands à Sanary (1), et puis le fils cadet de Franz, Stephane Hessel ont maintes fois évoqué pour des connaisseurs de plus en plus nombreux son émouvante trajectoire. 

    On a souvent écrit pour silhouetter l'oeuvre de Franz Hessel qu'avec ses récits d'inlassables promenades urbaines, ce flâneur perpétuel avait inventé un nouveau genre littéraire. A propos de Berlin et de Paris, les deux cités qu'il parcourait à la manière d'un lecteur avide de retrouver l'intensité d'un livre passionnément élu, Hessel fut un irrépressible découvreur. Un peu comme son compatriote et ami Kracauer qui travailla dans des champs de grande proximité, il n'ignorait pas que "la valeur d'une ville se mesure au nombre de lieux qu'elle réserve à l'improvisation".

     

    En compagnie de Walter Benjamin, une magnifique commande lui fut confiée, la tâche aussi redoutable qu'exaltante de livrer à partir de 1926 et pendant trois années consécutives la première version allemande d'A l'ombre des jeunes filles en fleurs et de La Duchesse de Guermantes. Les lecteurs d'outre-Rhin doivent également à Hessel des traductions d'André Salmon, d'Honoré de Balzac, de Baudelaire, de Stendhal, de Jules Romains, d'Yvette Guilbert et de Casanova. 

    Franz Hessel fut un familier de Marie Laurencin, de Kurt Weill et de Marlène Dietrich. Parmi les amis artistes qu'il fréquenta à Montmartre et Montparnasse, il y eut Marcel Duchamp, Moïse Kisling, Jules Pascin et Man Ray. Ernst von Solomon estimait qu' "il vivait de Paris et de Berlin comme on vit de deux poumons, c'est là qu'il se sentait chez lui. Cet homme déja âgé restait, avec une inébranlable modestie, fidéle à son monde, qui était celui de la brume soyeuse sur la Seine et celui des feuilles mortes des marronniers sur le Landwehrkanal. Une violente nostalgie lui faisait quitter Berlin pour Paris et une non moins violente nostalgie lui faisait regagner Berlin".

    Le tourbillon de la vie

    La plus troublante love affair de son existence fut l'imprévisible ménage à trois, la tumultueuse passion qu'il éprouva, en compagnie du collectionneur et courtier d'art Henri-Pierre Roché, pour Helen Grund qu'il épousa en 1913 et qui fut la mère de ses deux enfants, Ulrich et Stéphane. Roché transposa les fils indémêlables de leur aventure dans un livre publié par Gallimard qui demeura inaperçu pendant quelques années. Henri-Pierre avait auparavant principalement écrit des critiques d'art, son premier roman parut en 1951. Parmi les premières pages de ce livre-culte, il est écrit que "Jules et Jim se virent tous les jours. Chacun enseignait à l'autre, jusque tard dans la nuit, sa langue et sa littérature. Ils se montraient leurs poèmes et traduisaient ensemble... Ils causaient sans hâte, et aucun d'eux n'avait jamais trouvé un auditeur si attentif"

    François Truffaut éprouva une manière de coup de foudre lorsqu'il découvrit en 1955 la couverture blanche et rouge de ce roman parmi les invendus de la librairie Stock (aujourd'hui, Delamain) de la Place du Palais-Royal. Après plusieurs saisons de mâturation pendant lesquelles il devint l'un des confidents d'Henri-Pierre Roché, Truffaut sut avec son co-scénariste Jean Gruault convertir les phrase laconiques de ce livre en un merveilleux chef d'oeuvre cinématographique. 

    "Oskar Werner et Jeanne Moreau, scène de Jules et Jim"

    "Je suis morte et je vis encore", voilà ce qu'écrivait Helen Hessel dés 1964 : le roman de Roché devint un best-seller rapidement traduit en anglais, en espagnol, en italien et en allemand. Jim fut interprété par Henri Serre. Personne n'oublie que dans ce tourbillon de vie, parmi les géniales ellipses du film de Truffaut, Jeanne Moreau joua avec une extraordinaire simplicité le rôle de Catherine alias Helen Hessel. Avec son visage poupon, son étrange tranquillité, ses yeux clairs et son inimitable accent, Oskar Werner que Truffaut avait préalablement remarqué parmi les acteurs de la Lola Montès de Max Ophuls, incarna miraculeusement la figure de Jules, l'ami incomparable que fut dans la vie courante le très attachant Franz Hessel. 

    Dans la préface du livre majeur d'Hessel, Promenades dans Berlin qu'il faudrait bien évidemment rééditer et qui fut publié en 1989 par les Presses Universitaires de Grenoble, Jean-Michel Palmier saluait l'exceptionnelle justesse d'Oskar Werner. Il soulignait qu' "il est vrai que toute sa vie, Franz Hessel fut d'une étrange générosité. Tous ceux qui l'ont connu soulignent l'impression de gentillesse extrême, de bonté qui émanait de sa personne ... Cette bonté irradiante, ce sens de l'ironie, cette tendresse, on les retrouve à chaque ligne du portrait de Jules par Henri-Pierre Roché : Franz - comme Jules - semble perpétuellement vivre un rêve et rêver sa vie. Sa femme, Helen, restera à jamais celle dont les lèvres portent l'empreinte de ce sourire grec archaïque, contemplé sur une statue. Toute sa vie, il s'entourera d'êtres étranges, célèbres ou insignifiants, qui avaient en commun de l'avoir touché ou fait rêver". Quelques lignes plus loin, Jean-Michel Palmier rappelait que Walter Benjamin avait mis en relation Hessel "avec Ernst Bloch, Erns Shoen et Siegfried Kracauer. Comme tous ceux qui approchèrent Hessel, Benjamin éprouvait à son égard un mélange d'admiration et de fascination". 

    1939, retour en France

    Hessel habita Berlin entre 1928 et 1938, l'éditeur Rowohlt l'employait comme lecteur et traducteur. Il n'avait pas d'immenses convictions politiques, assez peu d'illusions lorsque la République de Weimar fut proclamée. Il n'avait pas non plus immédiatement cru que les victoires du national-socialisme seraient durables, il ne se résignait pas à devoir s'exiler loin de Berlin. Les nazis interdisaient aux éditeurs d'employer des collaborateurs juifs, Ernest Rowolht affectionnait son traducteur du Cousin Pons : Hessel tenta de dissimuler sa situation personnelle. Ses amis et sa famille s'inquiétaient vivement de la précarité de son existence quasiment clandestine. In extremis, ils parvinrent à le persuader de quitter l'Allemagne. 

    Helen Hessel avait sollicité l'aide de Jean Giraudoux et accompli pour lui de laborieuses démarches afin qu'il puisse regagner la France en novembre 1938, quelques jours avant la Nuit de cristal. Franz Hessel passa l'été de 1939 en compagnie de son épouse et de ses deux enfants : dans la proximité de Paris, Maurice Betz qui fut le traducteur de Rilke, leur prêta sa maison de campagne. L'automne venu, puisque le gouvernement français décidait d'interner en tant que "citoyens ennemis" tous les allemands dans des camps, il se rendit en compagnie d'autres exilés au centre de rassemblement du stade de Colombes. Ce fut une première alerte, le pire pouvait survenir, il fallait quitter Paris afin de se rendre dans la zone que l'on disait "libre".

    Sanary, Les Milles, le train fantôme.

    Franz Hessel a 60 ans lorsqu'Aldous Huxley qui possédait depuis 1929 une villa à Sanary et qui travaillait désormais pour Hollywood, l'invita à séjourner sur les bords de la Méditerranée : l'auteur du Brave new world craignait très justement que les pouvoirs de cette époque ne réquisitionnent sa villégiature. L'expression vient de Ludwig Marcuse qui séjourna pendant six ans et rédigea là-bas une vie d'Ignace de Loyola, Sanary fut au milieu des années trente une manière de petite capitale secrète pour la littérature allemande. La vie quotidienne et les locations n'étaient pas onéreuses, les terrasses des cafés et les hôtels étaient accueillants : des peintres comme Walter Bondy ainsi que l'historien d'art Julius Meier-Grafe, des écrivains comme Thomas et Klauss Mann, Lion Feutchwanger, Berthold Brecht, Herman Kesten et Ernst Toller, Alma et Franz Werfel séjournèrent parmi les maisons de ce port de pêche de 4.000 habitants.

    Helen et Franz Hessel arrivèrent à Sanary en avril 1940. Leur fils aîné Ulrich les accompagnait, Stephane combattait sur le front de guerre en tant qu'aspirant-officier. Les Hessel ne restèrent pas longtemps chez Huxley, le couple prit assez vite un plus modeste logement situable comme son nom l'indiquait, sur une pente raide : le mas Carreiredo leur fut loué par une ancienne chanteuse d'opéra qui s'appelait Madame Richarme. L'endroit était spacieux, un escalier conduisait jusque vers une petite tour où Franz Hessel installa son bureau. Dans un témoignage recueilli par Bernd Witte (2), Helen Hessel décrivait ainsi ses habitudes de travail : "Sur sa table, sa petite machine à écrire branlante. Derrière des livres qui s'entassaient. A côté des cahiers : cahiers d'écoliers aux couleurs vives, décolorées par le soleil. Tout avait un air un peu fantastique mais nullement désordonné".

    Tout était prêt, Franz Hessel eut trop peu de journées pour se consacrer à l'écriture. Un mois plus tard, il se trouve interné dans la briqueterie du Camp des Milles en compagnie de son fils Ulrich qui a raconté (3) comment sa mère refusa de se soumettre aux autorités françaises. "Lorsque les gendarmes vinrent la chercher, ils la trouvèrent couchée, nue sous ses couvertures, et elle leur dit : "Vous n'allez pas déshonorer la France en arrêtant la mère d'un officier français ? ". Les gendarmes appelèrent un médecin qui fit un certificat attestant que pour cause de maladie elle n'était pas transportable".

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    "Les Tuileries du Camp des Milles" photo récente.

    Franz et Ulrich Hessel se retrouvèrent derrière les barbelés en compagnie de trois mille cinq cents autres détenus. Parmi eux se trouvaient d'autres "apatrides" comme Max Ernst et Hans Bellmer, des anciens des Brigades internationales de la Guerre d'Espagne, des juifs de l'Europe de l'Est, Walter Hasenclever qui se suicida pendant la nuit du 20 au 21 juin ainsi que Lion Feutchwanger qui évoqua sa détention dans Le Diable en France. Les Hessel subirent également les séquences du train fantôme qui les emmena du 22 au 27 juin jusqu'à Bayonne en passant par Sète, Toulouse et Lourdes, avant de faire retour au camp de Saint Nicolas, près de Nîmes.

    6 Janvier 1941, jour des Rois.

    Franz et Ulrich furent libérés du Camp des Milles le 27 juillet 1940. Après quoi, ce fut le retour à Sanary et très peu de rémissions : Franz Hessel est épuisé, les fatigues et les privations endurées au camp lui sont fatales, son coeur est malade. Ulrich Hessel a raconté qu' "à deux reprises, mon père se rendit au Lavandou chez Emil Alphons Rheinhardt qui était avec nous aux Milles. La première fois, c'était à la fin de l'été et il resta trois semaines". Un plus bref séjour s'effectua entre la fin novembre et le 10 décembre. "Nous passâmes agréablement Noël et le jour de l'an ensemble. Puis soudain le 6 janvier, le jour des Rois, il s'allongea au début de l'après-midi sur son lit et poussa deux ou trois soupirs. A peine une demi-heure plus tard, il était mort".

    Dans des notes qu'il utilisa pour le livre non encore traduit qu'il intitula Exil en France, Alfred Kantorowicz raconte ce qui survint sans plaintes ni lutte, à compter du 4 janvier 1941: “Hier le vieux Hessel était chez nous. Nous le rencontrons souvent au village avec une brouette, un sac à provisions et un  sac plein de bois. Le brave vieillard (que son fils et sa femme ne peuvent décharger des soucis quotidiens) supporte la faim et le froid avec la même résignation souriante que les avanies du camp des Milles, le transport dans le train-fantôme et la maladie à St-Nicolas près de Nîmes. Il a même encore des projets littéraires. Il veut nous convaincre d’écrire avec  lui, pendant ce temps d’attente, un "Décameron" moderne. Sous le titre "Récits près du feu de camp à St Nicolas", il veut parler des aventures et des destins de notre  siècle ...

    Deux jours après que j’eus écrit ces lignes, Franz Hessel mourut. Nous l’avions raccompagné chez lui sous une bise glaciale, et il a fallu le soutenir. Il plaisantait, disait que c’était la faute du gel qui le raidissait ainsi, mais nous savions qu’il avait déjà eu une légère attaque au camp. Le lendemain, un samedi, Max Schröder, très inquiet à  son sujet, lui rendit visite et le trouva, extrêmement affaibli, dans sa chambre, sans chauffage ... Lundi matin, lorsque je voulus avec Friedel aller voir ce qu’il devenait, il s’était déjà éteint, sans une plainte, sans éclat, comme il avait vécu, sans souffrir, j’espère ...

    Le jour de ses obsèques, le temps changea. Au terrible gel succédèrent des averses diluviennes. Comme Mme Hessel avait demandé que le cortège funèbre ne traversât pas le village, nous avons attendu, transis de froid et trempés, près du mur du cimetière : Hans Siemsen, Hilde Stieler, les peintres Räderscheidt et Kaden, Mr Klossowski, Hans Arno Joachim, Max Schröder, une famille Benedikt, Friedel et moi. Lorsque le cercueil arriva avec Mme Hessel et ses deux fils, le plus vieil ami du défunt, Hans Siemsen, prononça quelques mots d’adieu, sans grande émotion ...  Nous avons serré la main à Mme Hessel et à ses fils, remis nos chapeaux, et nous nous sommes rapidement éloignés, pour nous réchauffer avec un grog au café de Lyon en compagnie des Räderscheidt et de Kaden. Personne ne parlait". 

    Walter Benjamin, rue Beauvau et quai du Vieux Port

    Franz Hessel connut le dernier été de sa vie en 1940. Son ami Walter Benjamin passa par Marseille pendant la seconde quinzaine du mois d'août de la même année. Un mois plus tard, le 26 septembre 1940, il se donnait la mort près de la frontière espagnole. On rappellera aussi que Carl Eistein acheva sa vie le 3 juillet 1940. Il faudrait l'immense talent de W.G Sebald pour évoquer sobrement des circonstances et des coïncidences à ce point désarmantes.

    Tout porte à croire que Franz Hessel et Walter Benjamin ne se retrouvèrent pas à Marseille pendant cet ultime été. Les rencontres que put faire Benjamin se révélèrent pourtant étrangement nombreuses lors de ses semaines passées près du Vieux Port, puisqu'il y croisa Arthur Koestler, Hannah Arendt et Heinrich Blücher ainsi que Lili et Siegfried Kracauer. Dans une lettre qu'il adressa plus tard à Pierre Missac (3), le 28 juillet 1945, Jean Ballard s'est souvenu être passé le voir pour lui transmettre un message à l'Hôtel Continental de la rue Beauvau. Le directeur des Cahiers du Sud raconte que Walter Benjamin était venu le voir dans son local du 10 du quai du Vieux Port "deux ou trois fois ; et comme il souffrait du coeur, il s'imposait une ascension ralentie de dix minutes dans mes escaliers, plutôt que de me voir à l'air libre".

    Lisa Fittko qui fut son passeur vers Le Chemin des Pyrénées (éd. Maren Sell, 1985, pages 151-152) a restitué quelques séquences de ce séjour dans la fournaise des rues et des quais écrasés de chaleur. Elle n'oubliait pas que "dans l'ambiance apocalyptique de ce Marseille de 1940, chaque jour apportait sa moisson de plans rocambolesques et d'histoires insensées ... Malgré tout nous ne pouvions pas nous empêcher de rire, parfois du côté burlesque de pareilles tragédies. Imaginez le spectacle : le Dr Fritz Fräenkel, frêle silhouette aux cheveux gris, et son ami Walter Benjamin, allure un peu pataude, tête d'intellectuel, regard scrutateur derrière des lunettes aux verres épais, déguisés en matelots français. Et cet étrange couple embarquant - moyennant un joli pot de vin - sur un cargo. Ils n'étaient pas allés loin. Et s'ils avaient réussi à s'en tirer, c'est à la faveur de la pagaille générale".

    Stéphane Hessel a plusieurs fois raconté avoir conversé avec Walter Benjamin lors de l'une de ces journées de l'été 1940. Il était alors un jeune homme de vingt-quatre ans, il s'était rendu jusque vers ce petit hôtel de la rue Beauvau qu'il trouva "pauvre et minable". Au terme de son essai Walter Benjamin / Une vie dans les textes (éd. Actes-Sud, mars 2009) Bruno Tackels laisse entrevoir la sombre désespérance qui habitait le philosophe : "Stéphane Hessel, le fils de Franz, en route pour rejoindre les forces françaises libres à Londres via l'Algérie, est sans doute l'un des derniers hommes à l'avoir vu vivant, et à avoir tenu une réelle conversation avec lui. Dans un entretien récent avec Laure Adler (4), il a évoqué un homme complètement abattu, meurtri et désespéré, les sourcils  froncés en permanence, qui portait en lui la catastrophe, comme un être foudroyé, mais encore doté de quelques mouvements de vie, qui le mettaient violemment en colère, y compris contre lui-même. Son témoignage est bouleversant. Le jeune Hessel est confiant, il veut en découdre, persuadé que la liberté va triompher. Benjamin lui répond: "Certes, certes, mais là n'est pas le problème. Nous sommes au point le plus bas de la démocratie dans le monde. La France croit en Pétain. Partout c'est la guerre. L'Allemagne est vainqueur sur tous les fronts. La Grande-Bretagne ne sera pas capable de s'opposer seule. Quel espoir encore puis-je avoir pour faire connaître mes idées ? Même des amis comme Horkheimer et Adorno qui m'aident ne semblent pas avoir besoin de mes réflexions". Tout est dit. Benjamin ne voit plus aucune issue, il sait parfaitement que ce mois de septembre est "le nadir des démocraties"."

    Epilogues

    Henri-Pierre Roché quitta ce monde le 9 avril 1959. Le grand ami de Marcel Duchamp - avant de prendre son bateau pour les Etats-Unis, Duchamp fut également un habitant de Sanary - l'homme qui sut organiser la rencontre de Gertrud Stein et de Pablo Picasso n'eut pas la chance inouïe de découvrir sur l'écran le film de Truffaut qui sortit en salles le 24 janvier 1962. On sait qu'Helen Hessel fut profondément heureuse de pouvoir regarder ce film et qu'elle adressa une lettre à François Truffaut dont voici quelques extraits, une lettre comme rarement un réalisateur de films en a pu recevoir : "Assise dans cette salle obscure, appréhendant des ressemblances déguisées, des parallèles plus ou moins irritants, j'ai été très vite emportée, saisie par le pouvoir magique, le vôtre et celui de Jeanne Moreau de ressusciter ce qui a été vécu aveuglément. Que Henri-Pierre Roché ait su raconter notre histoire à nous trois en se tenant très proche de la suite des événements n'a rien de miraculeux. Mais quelle disposition en vous, quelle affinité a pu vous éclairer au point de rendre sensible - malgré les déviations et les compromis inévitables  - l'essentiel de nos mémoires intimes ? Sur ce plan, je suis votre seul juge authentique puisque les deux autres témoins ne sont plus là pour vous dire leur oui".

    Helen survécut à Franz jusqu'en juin 1982 : elle mourut à Berlin à l'âge de 96 ans et fut inhumée au cimetière de Montparnasse. Après le décés de Franz Hessel, elle avait pris contact avec Varian Fry dont elle sollicita l'aide, comme le rappellent plusieurs courriers publiés dans le livre d'Ulrike Voswinckel et Frank Berninger, Exils méditerranéens / Ecrivains allemands dans le sud de la France (éd. du Seuil, 2009, pages 264-269). Vitia, l'épouse de Stephan Hessel et ses beaux-parents, les Mirkine-Getzévitch obtinrent  grâce à Fry les visas qui leur permirent de rejoindre les Etats-Unis, Helen accompagna Varian Fry jusqu'à la frontière espagnole lorsqu'il fut expulsé de France.

    Pour tenter d'atténuer l'ineffaçable atmosphère de pluie battante et de froid qui marqua l'enterrement de Franz Hessel, il faut réécouter le générique de Jules et Jim, les premiers accords de la musique composée par Georges Delerue, ou mieux encore retrouver ce fragment miséricordieux de Walter Benjamin qui figure au terme de la préface déja citée de Jean-Michel Palmier : "C'est à lui, assurément, que pourrait s'appliquer la belle maxime de "Sens unique" : "Car qui peut dire de son existence davantage que ceci : il a traversé la vie de deux ou trois êtres aussi doucement et aussi intimement que la couleur du ciel".

    Alain Paire

    (1) Cf de Manfred Klügge, Le tourbillon de la vie /La véritable histoire de Jules et Jim, éd Albin Michel 1994 et Amer azur / Artistes et écrivains à Sanary, éd du Félin 2007. M. Klügge coordonne du 28 au 31 janvier 2011 une rencontre "Sur les pas des écrivains allemands à Sanary". 

    (2) cf la post-face de Bernd Witte pour Le dernier voyage par Franz Hessel, éd. Le Promeneur / Gallimard 1997.

    (3) Propos recueillis par Manfred Klügge, page 249 de Le tourbillon de la vie /La véritable histoire de Jules et Jim, éd Albin Michel 1994.

    (4) Pierre Missac avait connu Benjamin entre 1937 et 1940 par  l'intermédiaire de Georges Bataille. Originaire de Marseille, il publia des articles dans Critique et Les Cahiers du Sud. Il mourut en octobre 1986, quelques mois avant la parution de son premier livre, Passage de Walter Benjamin, collection Esprit/ Seuil.

    (5) Page 181, in Laure Adler Dans les pas d'Hannah Arendt, éd. Gallimard 2005.

    A propos d'Helen Hessel et d'Henri-Pierre Roché, cf une bibliographie de l'Association des Amis de Jules et Jim consultable sur ce lien ainsi que trois livres édités par André DimancheCarnets d'Henri-Pierre Roché, Les années Jules et Jim, avant-propos de François Truffaut 1990, Journal d'Helen, Lettres à Henri-Pierre Roché, traduction d'Antoine Raybaud, 1991 et Ecrits sur l'art, d'Henri-Pierre Roché, préface et notes de Serge Fauchereau, 1998. Cf également par Scarlette et Philippe Reliquet, Henri-Pierre Roché l'enchanteur collectionneur, éditions Ramsay, 1999. A propos de Jules et Jim, cf sur ce lien un dossier avec  images et entretiens en compagnie de Tuffaut et de Jean Gruault.

    Pour les livres de Franz Hessel : Promenades dans Berlin est presque introuvable. Chez Maren Sell, Romance parisienne (1990) et Le Bazar du bonheur (1993). Le dernier voyage chez Le Promeneur / Gallimard, 1997, avec une post-face de Bernd Witte. Aux éditions du Felin Marlène, un portrait.  

    Un Prix Franz Hessel vient d'être créé en décembre 2010. D'un montant de 10.000 euros, il est destiné à soutenir  des livres et des autuers capables "d'approfondir le dialogue littéraire entre l'Allemagne et la France". Il est décerné par la Fondation Genshagen et la Villa Gillet de Lyon.

    Pour Stéphane Hessel, il faut relire Danse avec le siècle (éd, du Seuil). Cf sur les liens qui suivent l'enregistrement d'un entretien de Stéphane Hessel avec Olivier Morel, ou bien à propos de Walter Benjamin, cet autre extrait sonore.

      http://www.galerie-alain-paire.com/index.php?option=com_content&view=article&id=124:franz-hessel-walter-benjamin-camp-des-milles-marseille-sanary-derniers-jours-en-france&catid=7:choses-lues-choses-vues&Itemid=6