Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Goethe Johann Wolfgang von

  • Catégories : CEUX QUE J'AIME, Goethe Johann Wolfgang von, Les couleurs

    "Contribution au Traité des couleurs" de J.W. von Goethe par Jean-Christophe Sekinger

     "Si tu sais quelque chose de plus juste que cela, [sache que] c'est de bonne foi que je t'en ai fait part ; sinon, sers-toi comme moi de ces réflexions."

    Goethe (1749-1832), avant-propos du Traité des Couleurs

     

     

    1. Questions

    Dans les descriptions modernes de "l'expérience classique de Newton qui consiste à faire tomber sur un prisme un faisceau de lumière blanche"*, on mentionne l'apparition de sept couleurs : rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo, violet. La lumière solaire est donc déviée par le prisme et se colore en s'étirant. On dit que la lumière est dispersée. Ces couleurs sont ce qu'il est convenu d'appeler le "spectre" de la lumière blanche. On précise alors qu'elles sont contenues dans la lumière. On en donne pour preuve que les couleurs spectrales réfractées par un second prisme, inversé par rapport au premier, redonnent de la lumière. On explique enfin qu'une tomate est rouge parce qu'ayant absorbé toutes ces couleurs, elle ne rejette que le rouge...

    Cette explication est très généralement admise : elle est facile à transmettre, facile à résumer. Mais cette théorie vous-paraît-t'elle évidente ?
    On peut dire qu'une table est faite de bois ou de fer, mais qu'est-ce qui permettrait de dire que la lumière est faite de couleurs ? Le rapport de contenant à contenu se prévoit quand il s'agit de chapeau et de lapin, mais quand il s'agit de lumière et de couleurs ? Les expériences de Newton l'ont-elles vraiment montré ?
    En cherchant à reconstituer cette experimentum crucis, à travers ses diverses descriptions (notamment celle qu'en fit Newton lui-même), en examinant toutes les possibilités de réfraction de la lumière par un prisme, en comparant les différentes théories de la couleur depuis l'Antiquité, d'autres questions se posent :


    . Pourquoi au XVIIème siècle y-a-t'il eu soudain sept couleurs fondamentales, au lieu de deux ou trois depuis l'Antiquité ?
    . Pourquoi la confusion est-elle souvent faite entre violet et magenta ?
    . Pourquoi le vert disparaît-il souvent des couleurs spectrales ?
    . L'image d'une source lumineuse et incolore nous apparaît colorée après être passée à travers un prisme de verre : peut-on en conclure raisonnablement que la lumière est faite de "couleurs mélangées" ?
    . Comment une tomate peut-elle absorber les couleurs et rejeter sélectivement le rouge ?
    . Où se trouve exactement le magenta ?
    • Pourquoi cette théorie de la lumière composite a-t'elle autant de succès ?

     

    1. Opposition

    Il y a eu, dès la publication des travaux de Newton, à partir de 1672 et jusqu'à nos jours, d'âpres discutions autour de cette théorie de la lumière et des couleurs, voire une franche opposition à la démarche scientifique inaugurée par Newton. Cette contestation a eu, depuis le XVIIème siècle, de nombreux représentants : des physiciens (Hooke, Pardies, Huygens, Gouy...), des philosophes (Schopenhauer, Schelling, Hegel...), des peintres (Runge, Eastlake, Turner, Klee, Kandinsky...) mais elle a surtout été brillamment personnifiée, dès 1810 par la Farbenlehre ("Traité des couleurs") de Johann Wolfgang von Goethe.

    Depuis sa parution, La Farbenlehre a été abondamment critiquée : Pour sa simplicité, son bon sens, sa "visibilité" (on n'y trouve aucune expérience de laboratoire, ni aucune théorie mathématique) et pour ce qui fait sa grandeur, sa beauté : Goethe, comme ses prédécesseurs depuis Aristote, voit l'origine des couleurs dans les archétypes fondamentaux lumière et obscurité ; il montre (il n'est ici pas besoin de démontrer) comment elles "agissent" ou "pâtissent", comment de leurs "actes et de leur souffrance" naissent les couleurs.

     

    1. "Ce qu'est l'enjeu"

    WAS ES GILT
    Dem Chromatiker

    Bringst du die Natur heran,
    Daß sie jeder nutzen kann,
    Falsches hast du ersonne,
    Hast der Menschen Gunst gewonnen

    Möget ihr das Licht zerstückeln,
    Farb und Farbe draus entwickeln,
    Oder andre Schwänke führen,
    Kügelchen polarisieren,
    Daß der Hörer ganz erschrocken,
    Fühlet Sinn und Sinne stocken :
    Nein ! Es soll euch nicht gelingen,
    Sollt uns nicht beiseite bringen ;
    Kräftig, wie wirs angefangen,
    Wollen wir zum Ziel gelangen.

    CE QU'EST L'ENJEU
    (Au spécialiste du chromatisme)

    Si tu rends la nature proche
    Au point qu'en puisse user chacun,
    Tu n'as rien inventé de faux,
    Mais gagné la faveur des hommes.

    Décomposez donc la lumière,
    Tirez-en couleur sur couleur,
    Ou livrez-vous à d'autres farces,
    Polarisez ses particules,
    Au point qu'effrayé l'auditeur
    En perde l'esprit et les sens :
    Vous n'y réussirez pas,
    Vous n'allez pas nous écarter ;
    Comme à l'origine, avec force,
    Nous voulons parvenir au but

    Dans ce poème, publié en 1817 dans Zur Naturwissenschaft überhaupt, comme dans de nombreux autres, Goethe évoque avec ironie la "spaltung", la division : Réduire, par exemple, un flot lumineux (échappant à la description géométrique) à une droite (le rayon lumineux d'Euclide) est une commodité : la mesure des angles ou des longueurs est désormais permise ; mais cette réduction nous éloigne du monde sensible, de ce qui est accessible aux sens.

    Mais que serait une étude des couleurs qui chercherait à réunir ce qui a été divisé ? Ce ne serait pas l'étude d'une couleur séparée des autres, dont la présence serait réduite à des vibrations de photons et d'influx nerveux – toutes choses imaginaires, dans le sens où, voulant nous les représenter, nous ne pouvons que les imaginer – et qui se ramifierait infiniment, se perdrait dans l'univers abstrait des mathématiques, une couleur incolore...
    Que serait l'étude de la naissance des couleurs : comment de l'obscurité où elles n'existaient pas, elles apparaissent, miraculeusement ; comment elles se métamorphosent, comment le violet devient bleu ? comment la lumière brille en elles ? une "chromophanie"...

     
    1. Contribution

    Dans le Traité des couleurs Goethe écrivit à plusieurs reprises qu'il souhaitait réunir artistes, physiciens, philosophes, chimistes, etc., afin que chacun puisse prolonger son Traité et y contribuer par ses expériences particulières ; par ces pages, j'apporterai donc ma petite contribution de peintre, d'enseignant et d'amoureux des couleurs au Traité des couleurs de Goethe.
    On m'a souvent fait la remarque qu'une contribution au Traité, si petite soit-elle, devrait être plus illustrée : je n'ai en effet utilisé qu'un minimum d'illustrations et elles sont, sauf une qui montre quelques traces de couleur, en noir et blanc ; explications : D'abord, (je cite ici l'Avant-propos au Traité des couleurs de Goethe) : "On ne peut cerner par des lignes ni esquisser en coupe un phénomène naturel qui exerce ses effets en tous sens. (...) très souvent ces figures ne représentent que des concepts ; ce sont des moyens de fortune symboliques, des modes de transmission hiéroglyphiques qui peu à peu prennent la place du phénomène et de la nature, et entravent la véritable connaissance au lieu de la favoriser."* Ensuite, des illustrations colorées ne me semblent pas indispensables ; elles sont lentes à charger, même compressées et n'ajoutent rien à mon propos : cherchez plutôt à expérimenter directement !

    http://jc.sekinger.free.fr/dessin-peinture/couleur-goethe/contribution.php

    Je suis très flattée parce que Jean-Christophe Sekinger m'a écrit pour me dire qu'il était arrivé sur mon blog et  avait apprécié.

    Lire la suite

  • Catégories : Delacroix Eugène, Goethe Johann Wolfgang von, Nerval Gérard de

    Goethe, Nerval, Delacroix

    L'éditrice Diane de Selliers publie chaque année un classique de la littérature universelle, illustré par un grand peintre, tout aussi classique. Ces ouvrages luxueux sont ensuite repris en format réduit dans La Petite Collection, où l'on vient de publier le Faust de Goethe, accompagné de lithographies, d'aquarelles et de dessins de Delacroix, que le mythe de Faust fascinait. Une rencontre au sommet, puisque l'on retrouve dans ce livre la traduction désormais légendaire de Nerval, le tout accompagné d'une postface de Michel Butor

    http://fr.news.yahoo.com/78/20110329/tcu-goethe-nerval-delacroix-54da62d.html

  • Palais idéal du Facteur Cheval à Hauterives le 28 juin 2009

    27 28 JUIN 2009 027.jpg"L'homme qui meurt est un astre couchant qui se lève plus radieux dans un autre firmament." (Goethe)

    Autre note sur ce lieu:

    http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2008/05/27/visite-dimanche-dernier-le-palais-ideal-du-facteur-cheval.html

     

    Photo perso dans la salle attenante au palais lui-même avec des explications et la citation ci-dessus

    Cf. aussi ma bibliothèque Babelio:

    http://www.babelio.com/livres/Bonifay-Le-Palais-ideal-du-facteur-Cheval--Reves-de-pierr/130409

    Sur Goethe, allez-voir la catégorie à ce nom dans la partie "Ceux que j'aime" et ma bibliothèque Babelio:

    http://www.babelio.com/livres/Johann-Wolfgang-von-Goethe-Elegie-de-Marienbad-et-autres-poemes/90584

  • Catégories : Baudelaire Charles, Goethe Johann Wolfgang von

    Goethe et Baudelaire 2

    Suite de:http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2007/10/24/goethe-et-baudelaire.html#comments

    Roger Bauer pense que Baudelaire s’est souvenu des deux versions de la Chanson au moment de rédiger ses Invitations au voyage (FM et SP).


    Il est un pays superbe, un pays de Cocagne, dit-on, que je rêve de visiter avec une vieille amie. Pays singulier, noyé dans les brumes de notre Nord, et qu'on pourrait appeler l'Orient de l'Occident, la Chine de l'Europe, tant la chaude et capricieuse fantaisie s'y est donné carrière, tant elle l'a patiemment et opiniâtrement illustré de ses savantes et délicates végétations.
    Un vrai pays de Cocagne, où tout est beau, riche, tranquille, honnête; où le luxe a plaisir à se mirer dans l'ordre; où la vie est grasse et douce à respirer; d'où le désordre, la turbulence et l'imprévu sont exclus; où le bonheur est marié au silence; où la cuisine elle-même est poétique, grasse et excitante à la fois; où tout vous ressemble, mon cher ange.
    Tu connais cette maladie fiévreuse qui s'empare de nous dans les froides misères, cette nostalgie du pays qu'on ignore, cette angoisse de la curiosité? Il est une contrée qui te ressemble, où tout est beau, riche, tranquille et honnête, où la fantaisie a bâti et décoré une Chine occidentale, où la vie est douce à respirer, où le bonheur est marié au silence. C'est là qu'il faut aller vivre, c'est là qu'il faut aller mourir!
    Oui, c'est là qu'il faut aller respirer, rêver et allonger les heures par l'infini des sensations. Un musicien a écrit l'Invitation à la valse; quel est celui qui composera l'Invitation au voyage, qu'on puisse offrir à la femme aimée, à la soeur d'élection?
    Oui, c'est dans cette atmosphère qu'il ferait bon vivre, - là-bas, où les heures plus lentes contiennent plus de pensées, où les horloges sonnent le bonheur avec une plus profonde et plus significative solennité.
    Sur des panneaux luisants, ou sur des cuirs dorés et d'une richesse sombre, vivent discrètement des peintures béates, calmes et profondes, comme les âmes des artistes qui les créèrent. Les soleils couchants, qui colorent si richement la salle à manger ou le salon, sont tamisés par de belles étoffes ou par ces hautes fenêtres ouvragées que le plomb divise en nombreux compartiments. Les meubles sont vastes, curieux, bizarres, armés de serrures et de secrets comme des âmes raffinées. Les miroirs, les métaux, les étoffes, l'orfèvrerie et la faïence y jouent pour les yeux une symphonie muette et mystérieuse; et de toutes choses, de tous les coins, des fissures des tiroirs et des plis des étoffes s'échappe un parfum singulier, un revenez-y de Sumatra, qui est comme l'âme de l'appartement.
    Un vrai pays de Cocagne, te dis-je, où tout est riche, propre et luisant, comme une belle conscience, comme une magnifique batterie de cuisine, comme une splendide orfèvrerie, comme une bijouterie bariolée! Les trésors du monde y affluent, comme dans la maison d'un homme laborieux et qui a bien mérité du monde entier. Pays singulier, supérieur aux autres, comme l'Art l'est à la Nature, où celle-ci est réformée par le rêve, où elle est corrigée, embellie, refondue.
    Qu'ils cherchent, qu'ils cherchent encore, qu'ils reculent sans cesse les limites de leur bonheur, ces alchimistes de l'horticulture! Qu'ils proposent des prix de soixante et de cent mille florins pour qui résoudra leurs ambitieux problèmes! Moi, j'ai trouvé ma tulipe noire et mon dahlia bleu!

    Fleur incomparable, tulipe retrouvée, allégorique dahlia, c'est là, n'est-ce pas, dans ce beau pays si calme et si rêveur, qu'il faudrait aller vivre et fleurir? Ne serais-tu pas encadrée dans ton analogie, et ne pourrais-tu pas te mirer, pour parier comme les mystiques, dans ta propre correspondance?
    Des rêves! toujours des rêves! et plus l'âme est ambitieuse et délicate, plus les rêves l'éloignent du possible. Chaque homme porte en lui sa dose d'opium naturel, incessamment sécrétée et renouvelée, et, de la naissance à la mort, combien comptons-nous d'heures remplies par la jouissance positive, par l'action réussie et décidée? Vivrons-nous jamais, passerons-nous jamais dans ce tableau qu'a peint mon esprit, ce tableau qui te ressemble?
    Ces trésors, ces meubles, ce luxe, cet ordre, ces parfums, ces fleurs miraculeuses, c'est toi. C'est encore toi, ces grands fleuves et ces canaux tranquilles. Ces énormes navires qu'ils charrient, tout chargés de richesses, et d'où montent les chants monotones de la manoeuvre, ce sont mes pensées qui dorment ou qui roulent sur ton sein. Tu les conduis doucement vers la mer qui est l'infini, tout en réfléchissant les profondeurs du ciel dans la limpidité de ta belle âme; - et quand, fatigués par la houle et gorgés des produits de l'Orient, ils rentrent au port natal, ce sont encore mes pensées enrichies qui reviennent de l'Infini vers toi.(SP)

    http://baudelaire.litteratura.com/le_spleen_de_paris.php?rub=oeuvre&srub=pop&id=156

    Cet article est un prolongement des recherches entreprises pour mon mémoire de maîtrise en vente sur Lulu:http://stores.lulu.com/store.php?fAcctID=617288

  • Catégories : Baudelaire Charles, Goethe Johann Wolfgang von

    Goethe et Baudelaire

    Suite de:http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2007/10/12/goethe-nerval-et-baudelaire.html#comments

    http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2007/10/16/nerval-et-goethe-2.html#comments

    et:http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2007/10/23/goethe-et-theophile-gautier.html#comments

    Roger Bauer[1] pense que Baudelaire s’est souvenu des deux versions de la Chanson au moment de rédiger ses Invitations au voyage (FM et SP). 

     

     

    L'invitation au voyage

    Mon enfant, ma soeur,
    Songe à la douceur
    D'aller là-bas vivre ensemble !
    Aimer à loisir,
    Aimer et mourir
    Au pays qui te ressemble !
    Les soleils mouillés
    De ces ciels brouillés
    Pour mon esprit ont les charmes
    Si mystérieux
    De tes traîtres yeux,
    Brillant à travers leurs larmes.

    Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.

    Des meubles luisants,
    Polis par les ans,
    Décoreraient notre chambre ;
    Les plus rares fleurs
    Mêlant leurs odeurs
    Aux vagues senteurs de l'ambre,
    Les riches plafonds,
    Les miroirs profonds,
    La splendeur orientale,
    Tout y parlerait
    À l'âme en secret
    Sa douce langue natale.

    Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.

    Vois sur ces canaux
    Dormir ces vaisseaux
    Dont l'humeur est vagabonde ;
    C'est pour assouvir
    Ton moindre désir
    Qu'ils viennent du bout du monde.
    - Les soleils couchants
    Revêtent les champs,
    Les canaux, la ville entière,
    D'hyacinthe et d'or ;
    Le monde s'endort
    Dans une chaude lumière.

    Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté. (FM)

     

     

    http://poesie.webnet.fr/poemes/France/baudelai/10.html



    [1] De « Mignon » à l’ « Invitation au voyage »  in Revue de littérature comparée, n° 237, janvier-mars 1986, p. 51-57.
  • Catégories : Goethe Johann Wolfgang von

    Goethe et Théophile Gautier

     Suite de: http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2007/10/12/goethe-nerval-et-baudelaire.html#comments et

     

    http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2007/10/16/nerval-et-goethe-2.html#comments

     

    Théophile Gautier lui – aussi a composé « sa » Chanson de Mignon inspirée par celle de Goethe dans La Comédie de la Mort(1833).

     

    « Ange de poésie, ô vierge blanche et blonde,
    Tu me veux donc quitter et courir par le monde ?
    Toi qui, voyant passer du seuil de la maison
    Les nuages du soir sur le rouge horizon,
    Contente d’admirer leurs beaux reflets de cuivre,
    Ne t’es jamais surprise à les désirer suivre ;
    Toi, même au ciel d’été, par le jour le plus bleu,
    Frileuse Cendrillon, tapie au coin du feu,
    Quel grand désir te prend, ô ma folle hirondelle !
    D’abandonner le nid et de déployer l’aile ?

    « Ah ! restons tous les deux près du foyer assis,
    Restons ; je te ferai, petite, des récits,
    Des contes merveilleux, à tenir ton oreille
    Ouverte avec ton œil tout le temps de la veille.
    Le vent râle et se plaint comme un agonisant ;
    Le dogue réveillé hurle au bruit du passant ;
    Il fait froid : c’est l’hiver ; la grêle à grand bruit fouette
    Les carreaux palpitants, la rauque girouette,
    Comme un hibou criaille au bord du toit pointu.
    Où veux-tu donc aller ?

                                      « — Ô mon maître, sais-tu
    La chanson que Mignon chante à Wilhelm dans Gœthe :
    ‹ Ne la connais-tu pas, la terre du poète,
    La terre du soleil où le citron mûrit,
    Où l’orange aux tons d’or dans les feuilles sourit ?
    C’est là, maître, c’est là qu’il faut mourir et vivre,
    C’est là qu’il faut aller, c’est là qu’il faut me suivre. ›

    « — Restons, enfant, restons : ce beau ciel toujours bleu,
    Cette terre sans ombre et ce soleil de feu
    Brûleraient ta peau blanche et ta chair diaphane.
    La pâle violette au vent d’été se fane ;
    Il lui faut la rosée et le gazon épais,
    L’ombre de quelque saule, au bord d’un ruisseau frais ;
    C’est une fleur du Nord, et telle est sa nature.
    Fille du Nord comme elle, ô frêle créature !
    Que ferais-tu là-bas sur le sol étranger ?
    Ah ! la patrie est belle et l’on perd à changer.
    Crois-moi, garde ton rêve.

                                           « — Italie ! Italie !
    Si riche et si dorée ; oh ! comme ils t’ont salie !
    Les pieds des nations ont battu tes chemins,
    Leur contact a limé tes vieux angles romains ;
    Les faux dilettanti s’érigeant en artistes,
    Les riches ennuyés et les rimeurs touristes,
    Les petits lords Byrons fondent de toutes parts
    Sur ton cadavre à terre, ô mère de Césars !
    Ils s’en vont mesurant la colonne et l’arcade ;
    L’un se pâme au rocher, et l’autre à la cascade :
    Ce sont, à chaque pas, des admirations,
    Des yeux levés en l’air et des contorsions ;
    Au moindre bloc informe et dévoré de mousse,
    Au moindre pan de mur où le lentisque pousse,
    On pleure d’aise, on tombe en des ravissements
    À faire de pitié rire les monuments.
    L’un avec son lorgnon, collant le nez aux fresques,
    Tâche de trouver beaux tes damnés gigantesques,
    Ô pauvre Michel-Ange, et cherche en son cahier
    Pour savoir si c’est là qu’il doit s’extasier ;
    L’autre, plus amateur de ruines antiques,
    Ne rêve que frontons, corniches et portiques,
    Baise chaque pavé de la Via Lata,
    Ne croit qu’en Jupiter et jure par Vesta ;
    De mots italiens fardant leurs rimes blêmes,
    Ceux-ci vont arrangeant leur voyage en poèmes,
    Et sur de grands tableaux font de petits sonnets.
    Artistes et dandys, roturiers, baronnets,
    Chacun te tire aux dents, belle Italie antique,
    Afin de remporter un pan de ta tunique !

    « — Restons, car au retour on court risque souvent
    De ne retrouver plus son vieux père vivant,
    Et votre chien vous mord, ne sachant plus connaître
    Dans l’étranger bruni celui qui fut son maître :
    Les cœurs qui vous étaient ouverts se sont fermés,
    D’autres en ont la clef, et dans vos mieux aimés
    Il ne reste de vous qu’un vain nom qui s’efface.
    Lorsque vous revenez vous n’avez plus de place :
    Le monde où vous viviez s’est arrangé sans vous,
    Et l’on a divisé votre part entre tous.
    Vous êtes comme un mort qu’on croit au cimetière
    Et qui, rompant un soir le linceul et la bière,
    Retourne à sa maison, croyant trouver encor
    Sa femme tout en pleurs et son coffre plein d’or ;
    Mais sa femme a déjà comblé la place vide,
    Et son or est aux mains d’un héritier avide ;
    Ses amis sont changés, en sorte que le mort,
    Voyant qu’il a mal fait et qu’il est dans son tort,
    Ne demandera plus qu’à rentrer sous la terre
    Pour dormir sans réveil dans son lit solitaire.
    C’est le monde. Le cœur de l’homme est plein d’oubli :
    C’est une eau qui remue et ne garde aucun pli.
    L’herbe pousse moins vite aux pierres de la tombe
    Qu’un autre amour dans l’âme, et la larme qui tombe
    N’est pas séchée encor, que la bouche sourit,
    Et qu’aux pages du cœur un autre nom s’écrit.

    « Restons pour être aimés et pour qu’on se souvienne
    Que nous sommes au monde ; il n’est amour qui tienne
    Contre une longue absence : oh ! malheur aux absents !
    Les absents sont des morts et, comme eux, impuissants.
    Dès qu’aux yeux bien aimés votre vue est ravie,
    Rien ne reste de vous qui prouve votre vie ;
    Dès que l’on n’entend plus le son de votre voix,
    Que l’on ne peut sentir le toucher de vos doigts,
    Vous êtes mort ; vos traits se troublent et s’effacent
    Au fond de la mémoire, et d’autres les remplacent.
    Pour qu’on lui soit fidèle il faut que le ramier
    Ne quitte pas le nid et vive au colombier ;
    Restons au colombier. Après tout, notre France
    Vaut bien ton Italie, et, comme dans Florence,
    Rome, Naple ou Venise, on peut trouver ici
    De beaux palais à voir et des tableaux aussi.
    Nous avons des donjons, de vieilles cathédrales
    Aussi haut que Saint-Pierre élevant leurs spirales ;
    Notre-Dame tendant ses deux grands bras en croix,
    Saint-Severin, dardant sa flèche entre les toits,
    Et la Sainte-Chapelle aux minarets mauresques,
    Et Saint-Jacques hurlant sous ses monstres grotesques ;
    Nous avons de grands bois et des oiseaux chanteurs,
    Des fleurs embaumant l’air de divines senteurs,
    Des ruisseaux babillards dans de belles prairies
    Où l’on peut suivre en paix ses chères rêveries ;
    Nous avons, nous aussi, des fruits blonds comme miel,
    Des archipels d’argent aux flots de notre ciel,
    Et, ce qui ne se trouve en aucun lieu du monde,
    Ce qui vaut mieux que tout, ô belle vagabonde,
    Le foyer domestique, ineffable en douceurs,
    Avec la mère au coin et les petites sœurs

     

    Et le chat familier qui se joue et se roule,
    Et, pour hâter le temps, quand goutte à goutte il coule,
    Quelques anciens amis causant de vers et d’art,
    Qui viennent de bonne heure et ne s’en vont que tard. »

     

    http://fr.wikisource.org/wiki/La_Chanson_de_Mignon

    cf. mon mémoire de maîtrise en vente sur Lulu:

     

    http://stores.lulu.com/store.php?fAcctID=617288

  • Catégories : Goethe Johann Wolfgang von, Nerval Gérard de

    Nerval et Goethe 2

    Pour « Delfica » ( http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2007/10/12/goethe-nerval-et-baudelaire.html#comments) Nerval s’inspire de la « Chanson de Mignon » de Goethe (Les Années d’apprentissage de Wilhem Meister) qui célébrait les bonheurs de l’Italie (mon mémoire en vente sur Lulu, lien à droite sur ce blog).

     

    Connais-tu la montagne? Un sentier dans la nue,                                                                

    Un mulet qui chemine, un orage, un torrent,                                                                                    

    De la cime des monts une roche abattue,                                                                        

    Et la sombre caverne où dort le vieux serpent.                                                                       

    La connais-tu? ...Si tu pouvais m'entendre,                                                                             

    O mon père! c'est là, c'est là qu'il faut nous rendre.

     

    (Voir l’intégralité du roman :

     

    http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Ann%C3%A9es_d%27apprentissage_de_Wilhelm_Meister)

     

    « Nerval fait ici subir au « vieux serpent » qui dort dans la « caverne » du texte original une transformation d’importance qui témoigne de ses hantises mythologiques.  On pense aux Spartes hommes tout armés nés des dents du dragon tué par Cadmos, héros légendaire grec. Cadmos avait semé ces dents devant Thèbes, à l'endroit où il avait triomphé du monstre [1]



    [1] O. C, I, Notes et variantes, 1773-1774. Théophile Gautier lui – aussi a composé « sa » Chanson de Mignon inspirée par celle de Goethe.

    CF. MON MEMOIRE DE MAITRISE EN VENTE SUR LULU:

    http://stores.lulu.com/store.php?fAcctID=617288

  • Catégories : Baudelaire Charles, Goethe Johann Wolfgang von, Nerval Gérard de

    Nerval et Goethe

    Gérard de Nerval, "Delfica" dans les "Odelettes"

    La connais-tu, Dafné, cette ancienne romance
    Au pied du sycomore, ou sous les lauriers blancs,
    Sous l'olivier, le myrte, ou les saules tremblants
    Cette chanson d'amour qui toujours recommence ? ...

    Reconnais-tu le TEMPLE au péristyle immense,
    Et les citrons amers où s'imprimaient tes dents,
    Et la grotte, fatale aux hôtes imprudents,
    Où du dragon vaincu dort l'antique semence ?
    ..

    Ils reviendront, ces Dieux que tu pleures toujours !
    Le temps va ramener l'ordre des anciens jours ;
    La terre a tressailli d'un souffle prophétique ...

    Cependant la sibylle au visage latin
    Est endormie encor sous l'arc de Constantin
    - Et rien n'a dérangé le sévère portique.

    http://poesie.webnet.fr/poemes/France/nerval/6.html

     Nerval s’inspire de la « Chanson de Mignon » de Goethe (Les Années d’apprentissage de Wilhem Meister) qui célébrait les bonheurs de l’Italie.

    cf. mon mémoire en vente sur Lulu:

    http://stores.lulu.com/store.php?fAcctID=617288