Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les apprentis laissent béton

Véronique SOULÉ 4 septembre 2013 à 21:56

Au centre de formation des apprentis de Saint-Denis, les élèves apprennent les métiers du bâtiment.Au centre de formation des apprentis de Saint-Denis, les élèves apprennent les métiers du bâtiment. (Photo Vincent Leloup. Divergence)

RÉCIT

Faute de trouver un patron prêt à les accueillir, beaucoup de jeunes renoncent à une formation en alternance. Ou veulent partir à l’étranger

«En cinq ans, entre 2008 et 2012, nous avons perdu 15% des effectifs dans nos centres de formation des apprentis [les CFA, ndlr]. Il y a toujours autant de jeunes qui se présentent, mais ils ne trouvent pas d’employeurs pour les prendre en apprentissage et signer des contrats. Ils doivent alors renoncer.» Daniel Munoz est responsable de la formation dans le premier réseau national d’apprentissage en France, qui opère dans le bâtiment et les travaux publics (1). Alors que le gouvernement veut atteindre les 500 000 apprentis en 2017, il s’inquiète des blocages, à commencer par la frilosité des entreprises. Voie de formation alternative à l’enseignement classique, l’apprentissage, est dans une situation paradoxale.

Sur le même sujet

Aides. Côté pile, il a le vent en poupe : pouvoir se former en touchant un salaire et en ayant souvent de meilleures chances d’insertion professionnelle séduit de plus en plus en ces temps de crise et de chômage massif des jeunes. Dans l’enseignement supérieur notamment, la formule a sensiblement progressé ces dernières années, d’abord dans les grandes écoles, puis à l’université. Côté face, il devient de plus en plus difficile, dans pratiquement tous les secteurs, de trouver des employeurs prêts à accueillir des apprentis. L’entreprise a beau recevoir des aides, elle y cherche son intérêt. Or, à quoi bon prendre un jeune et lui affecter un tuteur qui va prendre du temps pour le former s’il n’y a aucune perspective d’embauche à l’issue de son contrat ?

Régulièrement, des jeunes qui veulent devenir maçons, esthéticiennes, éducateurs ou éducatrices de jeunes enfants se plaignent de trouver partout porte close. Ils se replient alors sur une formation classique, sans l’alternance entre périodes de cours et de travail qui, souvent, leur permettait de remettre le pied à l’étrier après des échecs scolaires à la chaîne. Ou alors ils s’inscrivent dans des écoles privées, souvent chères et à la qualité aléatoire. Les plus fragiles se découragent, rentrent chez eux et ne font plus rien - les «ni-ni», ni en formation ni en activité, que le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, veut «raccrocher» à l’emploi -, persuadés que l’on ne voulait d’eux nulle part.

«Dans l’enquête que nous avons menée auprès de nos 65 000 apprentis, plus du tiers (37,8%) répondent que la recherche de leur entreprise a été difficile. Un chiffre en hausse par rapport à nos précédents sondages, souligne Daniel Munoz. C’est un motif d’inquiétude pour l’avenir. Car nos CFA, avec des effectifs en baisse, ont de plus en plus de mal à s’équilibrer financièrement.» Le responsable du réseau d’apprentissage du BTP impute le problème avant tout à la situation économique. D’autant que les petites entreprises et les artisans sont largement majoritaires dans ce secteur et qu’ils sont très vulnérables à la conjoncture. «Actuellement, les entreprises n’ont pas de visibilité, explique-t-il. Et le contexte est morose, avec la crainte de perdre encore 40 000 emplois cette année, dont 25 000 salariés et 15 000 intérimaires.»

Il y a aussi les maladresses du gouvernement qui veut réformer le financement de l’apprentissage. En annonçant, le 17 juillet, la suppression d’une aide aux très petites entreprises, il a provoqué un tollé dans le BTP. Depuis, il est revenu sur cette suppression. Mais cela n’a pas rassuré un secteur déjà réticent à prendre des jeunes.

Exigeant. «Nous ne sommes pas contre une réforme, souligne Daniel Munoz. Mais il faudrait commencer par stabiliser les aides et les rendre lisibles. Les entreprises artisanales ont du mal à voir combien un apprenti va leur coûter, tellement c’est compliqué.» Il faudrait aussi, selon lui, «recentrer les aides» sur les CFA et sur les niveaux de base de type CAP. C’est au cœur des débats actuels : le gouvernement estime que la taxe d’apprentissage va trop financer les filières en alternance du supérieur, notamment celles des grandes écoles, et oublie ainsi sa vocation initiale : les formations courtes où les milieux défavorisés sont surreprésentés.

Toutefois, même passés ces obstacles, tout n’est pas rose dans le monde de l’apprentissage. Engagés dans une filière qu’ils n’ont pas choisie, déstabilisés par l’alternance entre semaines en entreprise et en cours - un rythme exigeant -, ou rebutés par l’accueil de leur tuteur, un nombre non négligeable de jeunes apprentis abandonnent chaque année. Ils vont alors aussi grossir l’armée de décrocheurs que François Hollande a promis de diviser par deux, l’un des grands enjeux de son quinquennat.

(1) Le CCCA-BTP, Comité de concertation et de coordination du bâtiment et des travaux publics.

Véronique SOULÉ

http://www.liberation.fr/societe/2013/09/04/les-apprentis-laissent-beton_929504

Les commentaires sont fermés.