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Catégories : La littérature

Trois candidats au Goncourt sous l'étoile de Jérôme Lindon, par Pierre Assouline

LE MONDE DES LIVRES | 29.10.09 | 12h22  •  Mis à jour le 29.10.09 | 12h23

jerome-lindon.jpgSi l'on ne saura jamais au juste où finit le début d'un roman (disons quelque part entre l'incipit et l'excipit et n'en parlons plus), on sait à peu près quand s'achève la rentrée littéraire : la semaine prochaine avec la distribution des prix. Jusque-là, on va encore dire, et même écrire que jusqu'au bout les éditeurs auront été à la manoeuvre. Pourtant, celui qui a d'ores et déjà remporté la Drouant's Cup est irréprochable, et pour cause : cela fait huit ans que Jérôme Lindon n'est plus de ce monde.

Sa haute silhouette et son allure austère n'en planent pas moins sur le plus attendu des grands prix d'automne. Le fait est que, des quatre auteurs sélectionnés sur la dernière liste du Goncourt (Marie NDiaye, Jean-Philippe Toussaint, Laurent Mauvignier et Delphine de Vigan), les trois premiers doivent quelque chose de l'ordre de la reconnaissance au directeur des Editions de Minuit.

Même si Marie NDiaye vogue désormais sous pavillon NRF, crème à liseré rouge, elle a été découverte par cet éditeur qui ne transigeait pas sur son absolu de la littérature, au point de ne jamais modifier son cap en un demi-siècle de barre. A 17 ans, Marie NDiaye avait envoyé son premier roman, Quant au riche avenir, à trois éditeurs. Jérôme Lindon fut le plus rapide car, n'ayant pas de comité de lecture, il était du genre à lire toutes affaires cessantes les manuscrits qu'il retenait. Un samedi matin, il l'attendait à la sortie du lycée Lakanal à Sceaux pour lui faire signer son contrat. Un éditeur, c'est ça. Quelqu'un qui vous attend à la sortie de l'école pour vous publier sous la même couverture que Robert Pinget.

NDiaye, Toussaint, Mauvignier ont en commun de s'être reconnus dans une maison d'édition animée par un grand lecteur, qui avait repéré Jean Echenoz avant de les repérer eux, et avant encore Samuel Beckett. S'il y a une école du regard, c'est là et pas ailleurs. Jérôme Lindon était vif, curieux, pressé. Un intéressant mélange de douceur (voix, gestes) et de détermination (jugements littéraires). Il tenait qu'un écrivain se doit de consacrer la totalité de ses travaux et de ses jours à l'écriture, ce qui excluait l'ivresse des voyages, le vertige médiatique, le mariage et les enfants, la corruption par le cinéma. Sans Jérôme Lindon, ces romanciers auraient tout de même écrit et publié. Peut-être pas tout à fait la même chose ni de la même manière.

Aujourd'hui, sa fille, Irène Lindon, tient bon la barre à Minuit. Elle n'a pas seulement su entretenir l'héritage, ce qui serait déjà beaucoup, mais elle a également su le faire prospérer.

Les Goncourt se réuniront donc en conclave lundi prochain, le 2 novembre, lendemain de la Toussaint, pour proclamer leur choix. Un signe ? Mardi dernier, Toussaint a obtenu autant de voix que Marie NDiaye. Leurs deux noms sont ceux qui sont apparus en tête de la sélection de chacun des neuf présents. Cela s'annonce donc serré, même s'il ne faut jurer de rien avec un tel jury, les outsiders conservant toutes leurs chances s'il s'avérait impossible de départager les favoris.

Sarcasmes des gazettes

Marie NDiaye a tout pour elle : un bon roman (Trois femmes puissantes) déjà en tête des meilleures ventes, et dont les droits ont été achetés dans une dizaine de pays ; une oeuvre cohérente derrière et devant elle ; ses origines mêlées entre Dakar, Pithiviers et Antony, plaidant en sa faveur en un temps où la diversité est une panacée ; enfin, c'est une femme. Un coup d'éclat fut même envisagé avec l'élaboration d'une liste exclusivement féminine (Marie NDiaye, Delphine de Vigan, Véronique Ovaldé, Justine Lévy), ce qui eût été effectivement historique mais sentait trop l'effet d'annonce.

N'empêche que les Goncourt n'ont couronné que huit femmes en cent trois ans, et que l'argument a été avancé lors de leurs débats de mardi. Au fond, Marie NDiaye n'a qu'un handicap : elle est publiée chez Gallimard, maison dont les auteurs ont été régulièrement laurés par les Goncourt ces dernières années, directement ou à travers ses filiales. Passeront-ils outre les sarcasmes des gazettes en se félicitant du signal fort lancé par le choix de leur élue en plein débat sur l'identité nationale ? Nous voilà loin de la littérature.

Jean-Philippe Toussaint a les mêmes atouts, mais c'est un homme, ce qui ne pardonne pas en temps de parité. Notez qu'il est belge, ce qui rouvre les portes de la francophonie. Lui n'est pas handicapé par son éditeur, au contraire, même si des jurés ont pu grogner à l'idée que soit distinguée une maison qui, de longue date, ne daigne pas spontanément leur envoyer ses livres ès qualités. Alors ? On n'en sait rien. Michel Tournier est sans aucun doute le plus fantasque, celui dont le vote est, jusqu'au dernier moment pour ses camarades de jeux, le plus inattendu. Françoise Mallet-Joris aussi, mais pour des raisons de santé. Il ne devrait pas y avoir de surprise de dernière minute avec un nouveau nom sorti du chapeau.

Le secrétaire général de l'académie Goncourt sonnera peut-être les douze coups de Minuit lundi, peu avant 13 heures chez Drouant. Le président Chirac, habitué des comices agricoles, appelait cela "avoir son tour de bête". Il parlait des candidats aux élections, mais aurait tout aussi bien pu dire qu'après POL, c'était au tour de Minuit. Jacques Chirac est un expert à plus d'un titre : la semaine prochaine, à la Foire du livre de Brive, il sera sans aucun doute l'auteur le plus plébiscité. Payé pour savoir que la gloire est un effort constant, on serait étonné qu'il ne plaçât pas ce mot de Renard (Jules) : "En littérature, il n'y a que des boeufs."

Pierre Assouline
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