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Catégories : Kandinsky Vassily

L'épopée du Bauhaus, laboratoire de toutes les modernités

Walter Gropius, Lyonel Feininger, Vladimir Kandinsky, Paul Klee ouvrent la marche. Difficile d'oublier les deux derniers, peintres fétiches des musées d'art moderne. Les deux premiers, auteurs en 1919 du manifeste du Bauhaus, restent adulés par les amateurs de l'architecture, du design, du graphisme. Dans ce stupéfiant bottin, citons encore Marcel Breuer, Joseph Albers, Oskar Schlemmer, Lazlo Moholy-Nagy, Marianne Brandt, Johannes Itten...

Cette école n'aura vécu que quatorze années, entre 1919 et 1933, date à laquelle les nazis, à peine arrivés au pouvoir, décident de la fermer. Elle a connu trois sites successifs : Weimar, Dessau et Berlin. Et trois directeurs : le fondateur Walter Gropius, Hannes Meyer et Ludwig Mies van der Rohe, qui sont trois architectes. Mais ce n'est qu'en 1928 que cette discipline entrera dans l'enseignement de l'école.

Bauhaus ? Bau : construction. Haus : maison. Dans cette école d'art universelle, professeurs et élèves étaient supposés travailler au même rêve de mariage entre les arts et l'industrie, "l'art et la technique", dit le manifeste initial, association qui rejoint l'idée de l'architecte Le Corbusier : permettre au fonctionnalisme de rejoindre l'esthétique. Ainsi, la production de l'école est devenue mouvement multiforme, qui mêlait architecture, graphisme, design, photographie, costume, danse... Plus qu'un mouvement, une épopée, à laquelle on prête volontiers toute la fécondité des modernités du XXe siècle, mais qui reste difficile à cerner.

Avant toute spécialisation, les professeurs ont le titre de "maître de forme" dans cette école où le compagnonnage tient lieu d'autorité. A son ouverture, Walter Gropius, 36 ans, se décarcasse pour faire tourner une machine où la jeunesse n'est pas le moindre gage d'une remise en cause permanente. Les dissensions sont monnaie courante, parfois inspirées par la xénophobie et l'antisémitisme. Ce ne sont pourtant pas ces dissensions, mais les nazis qui tueront l'école en 1933. Assez tôt pour que beaucoup puissent fuir à New York, Tel-Aviv, Zurich, Paris...

Le MoMA avait déjà présenté une exposition sur le Bauhaus en 1938, année où Mies van der Rohe, un des géants du siècle, quitte l'Allemagne pour Chicago - faute, dira-t-on, de pouvoir rester dans le jeu architectural. En France, il faut remonter à l'exposition du Musée des arts décoratifs, en 1969, pour retrouver une exposition consacrée à cette pépinière. L'Allemagne a présenté avant New York ce nouvel hommage au Bauhaus, mais en le répartissant sur les trois villes historiques - Weimar, Dessau et Berlin - et avec moins d'oeuvres.

L'apparent désordre de l'accrochage new-yorkais, lié à la diversité des oeuvres, cache un parti pris simple et efficace : montrer dans la chronologie ce que furent ces "ateliers de la modernité" (sous-titre de l'exposition). Sa vertu est de réunir en un seul lieu un nombre exceptionnel d'oeuvres ou d'exercices significatifs de l'enseignement "partagé" par les professeurs et les élèves.

Si tout n'est pas limpide dans une exposition économe de textes, la juxtaposition des oeuvres peut expliquer pourquoi l'architecture était en retrait dans l'enseignement. Prenons le tableau sans doute le plus emblématique des "styles" de l'école : L'Escalier du Bauhaus, peint par Oskar Schlemmer en 1932. La peinture est aussi lumineuse que l'édifice. On y voit des jeunes femmes, vêtues à l'identique, à l'exception des couleurs de leurs pulls (bleu, noir, rouge, blanc), à la fois vivantes comme des danseuses et immobiles comme des marionnettes, référence au Ballet triadique imaginé par Schlemmer sur une musique de Paul Hindemith, en 1922.

Ainsi peut s'expliquer le caractère figuratif du tableau, peu en accord avec l'enseignement du Bauhaus. On en retient surtout la volonté de symbiose entre les arts - ici l'architecture, la peinture, la danse, les recherches sur la couleur, la musique (en toile de fond), symbiose idéale de l'école.

L'Escalier prendra la route des Etats-Unis. Il entrera dans la collection de l'architecte Philip Johnson, alors directeur du département d'architecture du MoMA, auquel il finira par le donner. Lui-même deviendra bientôt un disciple de Mies van der Rohe.

Tout finit par se croiser, s'entrecroiser, se mêler dans une production qui laisse s'entrechoquer les recherches géométriques pures et dures, le travail sur les coloris, des penchants gothiques voire organicistes, les souvenirs tout proches du mouvement anglais Arts and Crafts (arts et artisanats) ou du Werkbund allemand, les idées des Hollandais du mouvement De Stilj, enfin tout ce qui finira par constituer le Mouvement moderne.

Hors un formidable dessin de Walter Determann, qui représente une cité-jardin, l'urbanisme aura moins encore eu sa place dans l'enseignement que l'architecture. Cela n'aura pas empêché certains de rendre le Bauhaus coupable de toutes les malchances de l'urbanisme d'après-guerre. Ainsi doit-on lire avec la plus extrême méfiance l'ouvrage de Tom Wolfe, From Bauhaus to Our House, paru en 1981 (Il court, il court le Bauhaus, Ed. Mazarine), pamphlet de la plus gratuite méchanceté.


"Bauhaus 1919-1933 : Workshops for Modernity", Museum of Modern Art, 11 West 53 Street, New York. Jusqu'au 25 janvier 2010. Tél. : (00-1)-212-708-940. Catalogue, sous la direction de Barry Bergdoll et Leah Dickerman, éd. MoMA, 344 p., 75 $ (environ 50 €).

Frédéric Edelmann

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