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Catégories : Munch Edvard

Sous les feux de la vamp

JUSTE UN DETAIL : LE VAMPIRE D'EDVARD MUNCH

Exposé à la Pinacothèque de Paris jusqu'au 18 juillet, ce tableau de Munch est d'abord intitulé 'Amour et douleur', avant d'être rebaptisé. Son nouveau titre, autrement plus effrayant, vient apporter un éclairage bien différent à la scène… Méfiez-vous !

Au moment de peindre cette toile, autour de 1893, Edvard Munch a entrepris un grand projet : 'La Frise de la vie', un ensemble de tableaux dont fera partie 'Le Cri'. Il s'agit d'un "vaste poème" sur l'amour sombre, la vie violente, la mort menaçante, qui agit comme un manifeste. Car l'artiste norvégien ne veut plus de ces tranquilles "intérieurs avec des hommes lisant et des femmes tricotant", mais "des êtres vivants qui respirent, ressentent, souffrent et aiment". Et la toile en question a été peinte en quatre versions. Si elle traite bien de vie bouleversée et de mort passionnelle, de peine exacerbée et de sentiments sensuels, il n'est pas sûr que l'identité exacte des personnages saute tout de suite aux yeux…

Que voit-on de prime abord ? Un couple lové en une étreinte. Un simple geste de tendresse. Ces amants veulent tenir face à l'obscurité de la toile, nuit bleutée d'un univers hostile qui aspire et qui perd. Pour tenter d'échapper, ils n'ont plus que leurs bras, et ils se serrent. L'homme, vêtu de sombre, semble appartenir déjà au fond menaçant : il est peint au moyen des mêmes biffures bleues et noires. La femme, aux bras dénudés et clairs, est le refuge provisoire. L'homme a passé ses mains sur le côté droit de son corps pour la tenir plus embrassée. En une attitude presque maternelle, elle le garde dans son giron, l'entourant de ses bras et de ses cheveux qui roulent sur lui. A première vue, donc, rien que de l'amour, une berceuse rassurante. Un moment de quiétude dans un monde de tourments.

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Mais à y bien regarder, les cheveux de la femme, à force d'entourer l'homme tels des racines, ne commencent-ils pas à l'emprisonner ? Les doigts, serrés comme des griffes d'animal, plutôt que de caresser, n'enfoncent-ils pas en réalité leurs ongles dans la chair ? Que fabrique au juste cette demoiselle avec sa bouche ? Elle semble bien concentrée, contrairement à l'homme, abandonné. A-t-elle "par hasard" si bien visé le cou pour son baiser ? Non, vous l'aurez deviné, cette femme à la peau si blanche, à l'aise dans la nuit comme un poisson dans l'eau, est bel et bien... un vampire ! Le tableau est aujourd'hui exposé sous ce seul titre : 'Vampire'...

Vieille de plus d'un siècle, cette vamp n'est pas le moins du monde démodée. Peinte à la fin du XIXe siècle, en pleine découverte de l'inconscient, elle est toujours aussi actuelle aujourd'hui, où les histoires de vampires pullulent. A l'époque, avec sa belle chevelure rousse, la vampire de Munch incarne les désirs sexuels féminins diaboliques, la prostitution et l'animal. Comme le sobriquet euphémistique "vamp" le dit si bien, la femme fatale est un dangereux individu qui vous hypnotise avant de vous laisser exsangue sur le carreau. Munch est lié aux dramaturges August Strindberg et Henrik Ibsen, auteurs de 'Mademoiselle Julie', 'Une maison de poupée' ou 'Hedda Gabler', pièces qui traitent toutes de l'émancipation des femmes. Vu le traitement que lui réserve le peintre dans ce tableau, on voit que cette libéralisation fait encore peur. Elle effrayera encore davantage pendant le nazisme, où considéré dégénéré, l'art de Munch sera retiré des musées allemands.

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La figure du vampire, omniprésente ces dernières années, a-t-elle gardé la même symbolique ? Dans 'Twilight', virage à 180 degrés : le vampire contemporain n'est plus ni sexuel ni dangereux, mais un pâle jouvenceau bien sous tous rapports, une sorte de gendre idéal qui connaît les bonnes manières, à savoir : on ne boit pas le sang de ses amis, merci, et on ne touche pas non plus aux jolies pom-pom girls "under age", même si elles vous font des avances et qu'elles sont court vêtues. Ecrit par une mère de famille mormone, la fiction n'est pas sous-titrée pour rien 'La Saga du désir interdit'. Sorte de comble de la civilisation, le vampire castré et abstinent prouve à la jeunesse la possibilité d'une vie rangée… même pour ceux qui en sont a priori le plus éloignés. Alan Ball, le créateur de 'Six Feet Under', ne l'entend pas de cette oreille. Dans sa nouvelle série 'True Blood', les vampires vivent en Louisiane au milieu des vestiges du Ku Klux Klan et des fantômes d'esclaves. Aspirant à l'intégration, ils luttent pour leurs droits civils et… boivent du sang de synthèse. Mais il leur arrive de déraper…

Depuis leur création, puis chez Munch, jusqu'à la fiction contemporaine, la figure du vampire a donc régulièrement servi de métaphore sociale. Les vampires ont incarné et continuent d'incarner une communauté redoutée (hérétiques religieux, malades contagieux, femmes, Afro-Américains, etc.) qui aspire, dans la difficulté, à l'égalité. Le vampire, c'est l'autre.

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Julie de la Patellière pour Evene.fr - Avril 2010


http://www.evene.fr/arts/actualite/edvard-munch-vampire-le-cri-pinacotheque-2645.php

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