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Catégories : La culture

Pour Hamish Fulton, la création artistique naît de la pratique intensive de la marche

Leurs démarches sont différentes. Richard Long travaille in situ, créant des installations dans le paysage. Hamish Fulton attend d'être rentré à Canterbury, son port d'attache dans le Kent, pour créer des souvenirs de ses voyages.

En Grande-Bretagne, Fulton est suffisamment connu pour que la Tate Modern de Londres, pour son ouverture en 2000, lui ait passé une commande pour un mur entier. Rencontre à l'occasion de son exposition "Walking to Paris" à la galerie Patricia Dorfmann, à Paris, la première en France depuis quinze ans.

Quinze ans avant de revenir à Paris, c'est une longue marche !

J'ai l'impression que, durant un certain temps, il ne se passait rien à Paris, et que soudain les choses sont en train de changer.

Votre ami Richard Long est plus connu en France. Quelles sont les différences entre votre travail et le sien ?

Nous avons marché ensemble. Mais, depuis une douzaine d'années, je marche différemment. Il aime marcher seul. C'est fantastique, rafraîchissant pour le corps et surtout pour l'esprit. Pour ma part, dans l'évolution de mon travail, je privilégie la marche en groupe. J'ai eu l'occasion en 1994 d'en faire quelques-unes au Japon, avec des jeunes artistes, et j'ai compris l'intérêt de marcher avec d'autres.

Il m'est arrivé cette année de marcher avec 198 personnes, près de Margate, une petite ville d'Angleterre. A un moment, nous nous sommes assis sur un muret qui formait un enclos. Tout le monde se faisait face, sans hiérarchie, c'était comme les chevaliers de la Table ronde. Quand chacun est régulièrement et également espacé, et qu'on peut percevoir une sorte d'uniformité, l'occupation de l'espace qu'ont les marcheurs...

Mais vous n'intervenez pas directement sur le paysage ?

Contrairement à mon ami Richard Long, je ne fais rien in situ. La marche est une expérience, pas un matériel. Je tiens un journal de marche, dans lequel j'écris beaucoup. Je me méfie de la mémoire rétrospective, elle est rarement juste. C'est à partir de ce matériel que je fais ensuite mes oeuvres.

Les traces de ces voyages peuvent être des photographies ou de simples objets, comme cette nappe de papier qui conserve la trace d'un bol de thé bu dans l'Himalaya. Mais la pièce la plus imposante dans la galerie est un mur peint qui juxtapose le nom de Google et celui d'un dissident tibétain, Palden Gyatso.

C'est une oeuvre politique ?

Oui. C'est un moine. Il a été emprisonné par les Chinois pendant trente-trois ans. Si vous tapez son nom sur Google en France ou en Angleterre, vous avez toutes les informations sur ses années de prison, la torture... En Chine, le moteur de recherche est muet là-dessus. J'ai fait cette pièce avant que Google ne décide de se retirer de Chine.

J'ai aussi fait une marche, en 2009, depuis l'ambassade de Chine à Londres jusqu'à Trafalgar Square, et j'ai rencontré Palden Gyatso, en Inde. Son crime, c'était de personnifier la résistance tibétaine. Il n'a tué personne, il n'a pas posé de bombes. Mais il a été torturé tout de même. Et, quand il a réussi à franchir la frontière, il est parti avec des preuves matérielles de son martyre et les a montrés aux Nations unies. Il est un témoignage, une preuve vivante de ce qui s'est passé là-bas.

La marche est un acte politique ?

Je crois, à présent, que oui. De plus en plus. D'autant que je crains que les paysages sauvages ne soient aussi en danger.

Vous avez aussi escaladé l'Everest ?

Je ne suis pas un grimpeur...

Voulez-vous répéter ça ?

La voie que j'ai utilisée pour l'Everest n'est pas considérée comme un parcours d'alpinisme. Juste de la marche. Quand j'y suis allé, en 2009, j'avais 62 ans. J'ai été le plus vieux Britannique à le faire. Durant une journée : le lendemain, mon record était battu par un Anglais plus âgé que moi.

Vous allez recommencer ?

Non ! Il faut 49 jours pour atteindre le sommet. Le dernier jour, j'ai dormi profondément durant deux heures et demie. Nous sommes partis à 9 heures du soir pour arriver au sommet à 8 h 30 du matin.

Et nous sommes rentrés au camp de base à 16 h 30. Je crois que cela fait 19 h 30 de marche. Mais on ne les sent pas. C'est tellement fantastique, si incroyable, comme un nouveau concept.

Mystique ?

Selon moi, il y a quelque chose de mystique dans la marche. J'en ai parlé avec des alpinistes, dont l'Italien Reinhold Messner, le premier à avoir gravi l'Everest sans oxygène, en 1978. Je lui ai demandé si c'était une expérience d'ordre spirituel. Il m'a dit : "Non. Il s'agit juste de réaliser l'impossible."


"Walking to Paris", d'Hamish Fulton. Galerie Patricia Dorfmann. 61, rue de la Verrerie. Paris 4e. Tél. : 01-42-77-55-41. M° Hôtel-de-Ville. Jusqu'au 26 juin. Sur le Web : Patriciadorfmann.com.

 

Propos recueillis par Harry Bellet

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