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Catégories : L'humour

Otarie club

Livres 24/06/2010 à 00h00

Par EDOUARD LAUNET

Le problème aujourd’hui dans le monde des lettres, c’est que l’on ne s’y étripe plus guère. Il n’y a plus de Jules Renard pour traiter George Sand de «vache bretonne de la littérature», plus de Philippe Muray pour camper Philippe Sollers en «bureaucrate de la rebellitude», plus d’Angelo Rinaldi (désormais alourdi d’une épée et d’une Légion d’honneur) pour faire de Philippe Djian un «Henry Miller des salles de baby-foot». Pour avoir de vraies bonnes disputes d’écrivains, il faudrait qu’il y ait encore de vrais écrivains, diraient les méchantes langues. Mais il n’y en a plus non plus, de méchantes langues. Cette apathie générale pourrait avoir à terme des conséquences extrêmement fâcheuses.

Appelant leurs confrères chercheurs à participer à des journées d’études sur les «querelles d’écrivains» (l’an prochain à l’université de Liège), les responsables de la revue belge Contextes argumentent en effet : «La querelle fait partie intégrante de la condition d’homme de lettres. Elle semble même constituer la réalisation la plus manifeste des relations oppositionnelles qui dynamisent le champ littéraire dans la lutte pour les profits symboliques et matériels.» Traduisons : une bonne engueulade entre auteurs, ça n’a fait jamais de mal. Etudier ces prises de bec pourrait même permettre de jeter une lumière nouvelle sur le processus de la création littéraire.

Nos amis belges s’interrogent : «Si l’intérêt sociolittéraire des querelles peut résider dans une forme de réflexivité qu’elles engendrent à travers les commentaires évaluatifs sur un style, une esthétique, une appartenance à une école ou un statut d’écrivain, comment traiter ce matériau testimonial sans amalgamer trop rapidement les faits, les représentations et les discours ?» Par exemple, imaginons que, tout à trac, Christine Angot traite Michel Houellebecq de «poisseuse otarie de la fiction postmoderne qui nous les brise menu». Le chercheur n’en déduira pas que ces deux-là éviteront de passer leurs vacances ensemble, il se demandera plutôt : «Comment, de personnelle et ponctuelle qu’elle est, la dispute peut-elle devenir l’objet d’une esthétique littéraire traduite à divers degrés dans une œuvre ou dans les valeurs partagées par un ensemble d’auteurs ?»

L’expression «poisseuse otarie» semble véhiculer une critique implicite des textes, épitextes et paratextes houellebecquiens. L’adjectif poisseux introduit rarement un compliment. Quant à l’otarie, bête associée dans l’imaginaire collectif à des numéros de cirque de plus ou moins bon goût, elle ne passe pas pour l’élément le plus dégourdi du règne animal. Cependant, l’otarie est assez amusante lorsqu’elle fait flap-flap en battant des nageoires. La fin de l’interpellation («qui nous les brise menu») n’a probablement qu’une fonction de ponctuation, mais il faudra tout de même examiner l’ensemble des implications possibles d’une proposition subordonnée qui, prise au sens propre, obligerait à considérer le débat littéraire d’un œil neuf et passablement écarquillé.

http://www.liberation.fr/livres/0101643126-otarie-club

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