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Catégories : La culture

L'Antiquité fait toujours recette

Publié le 17/10/2010 à 00:00 - Modifié le 17/10/2010 à 09:06 Le Point

PHÉNOMÈNE

Le grec et le latin sont assassinés à l'Éducation nationale. Alors, l'Antiquité, moribonde ? Va donc voir chez les Grecs !

Par Marie-Sandrine Sgherri

L'Antiquité fait toujours recette

Uma Thurman en Gorgone Méduse, dans le film "Percy Jackson, le voleur de foudre", adaptation hollywoodienne des mythes grecs © Fox 2000 Pictures

La nouvelle série trash qui éclabousse nos écrans s'appelle Spartacus. Elle se passe à Rome en 76 avant Jésus-Christ, une époque où des hommes sculpturaux et luisants se découpaient en rondelles pour se distraire et où des femmes fatales proféraient des obscénités d'un air langoureux. À des années-lumière de cette tarantinerie, une BD sort en librairie : Lo, de Lucie Durbiano, est une nouvelle version des amours contrariées de Daphnis et Chloé. On y croise des jeunes filles en fleurs, mais pas nunuches, un pâtre grec qui ne sait pas très bien comment s'y prendre. On est plus près de Lol que du poète Longus. Oui, et après ?

L'Antiquité a toujours été cette toile où nous ne finissons pas de projeter nos fantasmes. Lorsque, en 2004, Brad Pitt-aux-pieds-agiles a des états d'âme sous les remparts de Troie, il n'est pas interdit de penser aux GI qui s'enlisent alors en Irak. Rien de neuf sous le soleil. Coup sur coup, deux expositions nous le rappellent : L'Histoire en spectacle au musée d'Orsay réhabilite Jean Léon Gérôme, dont le style néogrec fit fureur au XIXe siècle. Puis ce sera le tour du Louvre : en décembre, L'Antiquité rêvée décline les manières dont les Lumières ont réinterprété le patrimoine classique.

Retour aux sources

Et pourtant, cet été, une réforme des épreuves du capes de lettres classiques a fragilisé encore l'enseignement des langues anciennes. Faudra-t-il se passer de l'inépuisable réservoir de mythes, décors et destins de la culture antique ? Le jeu vidéo le plus vendu au monde ? God of War. Un Persée bodybuildé doit dégommer des créatures hérissées de têtes et de griffes. Les aventures de Harry Potter sont truffées d'allusions aux mythes grecs, et les volumes de Contes et légendes adaptés d'Homère ou d'Hésiode sont indémodables. Pour se retrouver chez les Grecs, il n'est pas nécessaire d'ouvrir un livre : il suffit d'aller au supermarché ! Robert Delord, un professeur de lettres classiques qui fait flèche de tout bois, a recensé avec ses collégiens ce que le marketing devait aux langues anciennes. Résultat, une moisson de quelque 700 marques, des voitures Volvo au parfum Kouros.

En réalité, nous baignons dedans. Quand Desplechin filme un règlement de comptes familial, la mère s'appelle Junon. Quand Alejandro Iñarritu met en scène, dans Biutiful, un homme accablé par le destin, il se réclame des tragiques grecs. Franck Magnier et Alexandre Charlot, scénaristes des Ch'tis, citent aux sources de leur travail la "Poétique" d'Aristote ! Comme Amartya Sen, Prix Nobel d'économie qui, s'interrogeant sur la nouvelle richesse des nations, se tourne lui aussi vers le Stagirite. Au moment où les Budé, ces beaux livres bilingues, disparaissaient des rayonnages de la Fnac apparaissaient de nouvelles étagères : il n'y était question que de savoir-vivre selon Sénèque, de développement personnel avec Epicure. Affadissement, déplorent les spécialistes. Certes, mais il n'est pas fatal. Dans la même veine sort aujourd'hui le dernier ouvrage de Roger-Pol Droit. Il s'interroge sur ce que les Anciens ont à nous apprendre. Sans illusion, car nous ne sommes plus ni grecs ni romains, mais avec sérieux, car, selon l'essayiste, l'affaiblissement du christianisme, qui nous laisse "sans solution", rend possible, si ce n'est nécessaire, ce retour aux sources.

Un héritage menacé

Les humanités sont menacées, c'est entendu. Depuis des siècles, Grecs et Romains résistent face aux Barbares : n'est-ce pas ainsi qu'ils se définissent ? En 1934, déjà, Félix Gaffiot s'inquiétait et souhaitait que son dictionnaire "contribue à la défense du latin". Aujourd'hui, 460.000 élèves étudient la langue de Cicéron dans le secondaire, un chiffre stable qui la place juste après l'anglais. Mais François Bayrou, agrégé de lettres classiques et ancien ministre de l'Éducation nationale, suffoque du "crime en train de se produire", entendez la réforme des épreuves du capes de lettres classiques. Car, en ces temps de disette budgétaire, les premières cibles sont toujours le grec et le latin. Lorsque Richard Descoings estime qu'il faut savoir faire des choix, c'est le grec qu'il met dans la balance. En 2007, le candidat Sarkozy nous avait prévenus : "Vous avez le droit de faire de la littérature ancienne, mais le contribuable n'a pas forcément à payer vos études si, au bout, il y a mille étudiants pour deux places."

Pas rentables, les études classiques ? "Aux États-Unis, rappelle David Konstan, professeur à Brown University, les étudiants qui se destinent à la médecine, au droit... doivent d'abord passer par un premier cycle généraliste. La culture antique est considérée comme une filière d'élite et attire de très bons étudiants." Paradoxe : c'est au pays de Reagan que subsiste cette tradition humaniste qui veut que l'on ne puisse être savant sans latin ni grec ! En France, comme le constate Roger-Pol Droit, le fil est rompu.

Pourtant, au pays d'Astérix, quelques irréductibles se battent dos au mur. Il y a en première ligne quelques enseignants infatigables. Comme Augustin d'Humières, auteur d'Homère et Shakespeare en banlieue (Grasset)."M'ssieu d'Humières" y devenait ce héros qui avait "volé le grec aux riches pour le donner aux pauvres". Mais pourquoi du grec en banlieue ? Les réponses de ses élèves fusent : pour la mythologie, les points au bac, la grammaire, l'étymologie aussi qui rend ces ados fiers d'un savoir que les autres n'ont pas. Et évidemment parce que "dire le grec, c'est beau" ! Un argument qui plairait au touche-à-tout Charles Dantzig, auteur de Pourquoi lire ?. Car lorsqu'il entend le mot élitisme, Dantzig sort son revolver : "Dans la très délicate émission de Ruquier, un chroniqueur m'a reproché mes références latines. Il m'a lancé l'élitisme à la tête comme une insulte, réaction typique de l'inculte !"

Homère est vivant

D'aucuns ont vu dans le retour à l'antique la mort des idéologies, le refuge dans une " pensée molle ". Ils ne savent pas de quoi sont capables nos universitaires ! Sandra Boehringer, jeune maître de conférences à Strasbourg et auteur de L'homosexualité féminine dans l'Antiquité grecque et romaine (1), milite pour qu'on débusque, dans l'étude de ce qui jadis allait de soi et ne le va plus du tout, nos propres préjugés. Accueilli par des réactions d'une homophobie décoiffante, son travail a permis de révéler des clivages intellectuels profonds : les "gender studies" dont se réclame Sandra Boehringer sont-elles une escroquerie intellectuelle ? Et au fait, la sexualité a-t-elle une histoire ? Et Foucault n'est-il pas un imposteur ? Bref, tout sauf de l'eau tiède ! Fin novembre à Athènes, un symposium réunira les plus grands spécialistes mondiaux. Ils exploreront "le rôle que peut jouer l'héritage culturel grec dans les défis contemporains". Ça promet !

Même Homère, pilier vénérable de notre littérature, est matière toujours vivante. Un trublion, Philippe Brunet, vient de publier au Seuil la première traduction de "L'Iliade" en vers. Tandis qu'en Italie Alessandro Baricco souhaite populariser "L'Iliade" par des lectures publiques et la débarrasse des dieux, Brunet fait l'inverse. Il désire la faire découvrir au plus près de ce qu'elle fut à l'origine : une cérémonie dionysiaque, ritualisée et inspirée, mêlant les masques, le chant, la danse. Sa traduction est le prélude à des performances (2) qui auront lieu un peu partout en France. Le résultat, à dire vrai, est déconcertant. Tant mieux ! "Imaginez ma surprise, s'exclame le grand latiniste Paul Veyne, de découvrir enfant qu'il fut un temps où nous n'étions pas chrétiens et où nos dieux étaient Jupiter ou Diane !" Retournez à l'antique et laissez vous surprendre.

1. Les Belles Lettres, 2007, 400 p., 35 euros. 2. Une représentation aura lieu à la chapelle de l'École des beaux-arts à Paris le 23 novembre. À découvrir aussi : Manuel de la sagesse antique, textes rassemblés par Annie Collognat (Omnibus, 896 p., 26 euros). Dictionnaire historique de la langue française, nouvelle édition établie par Alain Rey (Le Robert, 199 euros). La grande histoire du latin, de Jürgen Leonhardt (CNRS Editions, 380 p., 25 euros).

EXPOSITION

 

 

Le musée du Louvre propose "L'Antiquité rêvée", une exposition qui se tiendra sous la Pyramide du 2 décembre 2010 au 14 février 2011 et qui reviendra sur les diverses manières, entre déférence et résistance, dont les artistes des Lumières ont abordé l'Antiquité.

 

Les Dialogues d'Athènes

CONFÉRENCES

 

 

La pensée grecque peut-elle nous permettre de relever les défis du monde contemporain, et même ceux du futur ? C'est l'objectif des Dialogues d'Athènes, organisés par la Fondation Alexandre S. Onassis du 24 au 27 novembre à Athènes. "Identité et différence", "Démocratie et État", "Science et éthique" sont quelques-uns des thèmes qui seront abordés par un véritable "G7" du monde culturel : l'Institut de France, l'Institut allemand d'archéologie, l'Académie des sciences autrichiennes, l'Académie dei Lincei ainsi que les universités d'Oxford, Harvard et Stanford.

 

http://www.lepoint.fr/culture/l-antiquite-fait-toujours-recette-17-10-2010-1250501_3.php

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