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Catégories : A lire, Les polars

Enceinte et contre tous

13 février 2013 à 19:36

Portrait Glasgow minutieusement écossé par Denise Mina et son enquêtrice indocile

Par SABRINA CHAMPENOIS

Choisir une enquêtrice très très enceinte pour personnage principal, c’était risqué, non ? De quoi redouter une sorte de «polar hormonal» ? Telle est l’hypothèse qu’on soumettait il y a une semaine, par mail, à l’Ecossaise Denise Mina, 46 ans. Qui répondit illico : «J’en avais marre d’entendre parler des femmes enceintes comme d’idiotes. […] Personnellement, à chaque fois que j’ai été enceinte, j’ai écrit des romans, et j’ai accouché le jour suivant ou presque de la remise du manuscrit. […] L’inspectrice Morrow n’est pas particulièrement émotive mais la grossesse apparaît comme une jolie analogie de la vie intérieure de quelqu’un : elle enquête sur un crime atroce tout en conservant une distance poétique, consciente que c’est secondaire par rapport à ce qui lui arrive.»

«Fuck off». Faut-il y voir un choix féministe ou s’agissait-il de jouer avec les codes du polar ? «Je suis féministe donc, par définition, tout ce que je fais est féministe. Je tâche de raconter des histoires qui sortent du courant dominant : si l’enquêteur est un outsider, qui de mieux qu’une femme enceinte ? D’autant que ça n’est pas une identité permanente, donc elles ne peuvent s’organiser et se plaindre. […] Et puis, j’ai lu beaucoup de policiers avec des personnages féminins qui excellaient en tout. Etant quelqu’un d’un peu grassouillette, à mauvais caractère et maison mal tenue, je les haïssais.» Il y a du punk chez Denise Mina, dont le podium littéraire rassemble «Boulgakov, Orwell et Patricia Highsmith». Un côté «fuck off» électrisant, tempéré par l’humour et un goût pour l’observation. Le livre y trouve son rythme, entre accélérations, coups de frein, point mort, qui permet au lecteur de tenir.

Une maison bien tenue ne garantit rien hormis un vernis social, démontre la Fin de la saison des guêpes. Prenez le simili cottage du banquier Lars Anderson : démonstration de tape-à-l’œil par ce fraudeur très Bernie Madoff, la bâtisse suinte la névrose familiale. «Des relents de panique s’accrochaient à tous les murs.» La débâcle venue, Anderson se pend dans le jardin. Les retrouvailles seront difficiles entre la mère sous cachetons, «la vacuité incarnée, une présence suffocante pleine de vide», et les enfants borderline. L’un d’eux a d’ailleurs participé au crime qui ouvre le livre, une jeune femme massacrée à Glasgow. Reste à découvrir le mobile.

Denise Mina livre une explication infiniment compassionnelle, et délicate. Elle sait pourtant taper au foie. Par un détail : «Le lobe de l’oreille s’était détaché, petite tache rosée nichée sous l’épaule comme une virgule de chair.» Ou par une phrase. Morrow, face au fou rire nerveux qui gagne ses troupes confrontées au cadavre : «On croirait que vous n’avez jamais vu de pudding.» Un sens de la punchline qui s’applique aussi à l’anecdotique. «Elle le trouvait trop beige, même pour un policier.»

Ode. Alors, les rapports hommes-femmes, les faux-semblants, la famille-boulet, l’argent-poison… On repère un certain nombre de thèmes dans la Fin de la saison des guêpes. Mais ils ne font pas thèse, plutôt office de soubassements à trois portraits : l’assassinée, à la vie pas si lisse qu’attendu, Morrow que Mina reprend ici pour la troisième fois, et surtout Kay, à la fois proche de la morte et, autrefois, enfant, amie de Morrow. Kay est un «gens d’en bas», vivote, fume, picole un brin, tient moyen son appartement sur lequel règnent ses trois ados. Un vilain petit canard comparé à la «réussite» de Morrow, mais au moins aussi attachante. On pense à la journaliste Meehan, autre personnage récurrent de Denise Mina. Qui, donc, réussit parfaitement son ode à l’imperfection. Ce qu’est tout (bon) roman noir.

 

Denise Mina La Fin de la saison des guêpes Traduit de l’anglais (Ecosse) par Freddy Michalski. Le Masque, 488 pp., 22 €.

http://www.liberation.fr/livres/2013/02/13/enceinte-et-contre-tous_881617

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