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De retour en Turquie, Erdogan refuse tout compromis

 
    • Par Laure Marchand
    • Mis à jourle 07/06/2013 à 19:57
    • Publiéle 07/06/2013 à 18:35
Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, avec sa femme, Emne, et sa fille Sumeye, vendredi, lors de son arrivée à l'aéroport d'Istanbul.

Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, avec sa femme, Emne, et sa fille Sumeye, vendredi, lors de son arrivée à l'aéroport d'Istanbul. Crédits photo : OZAN KOSE/AFP

Le premier ministre dénonce les « vandales » de la place Taksim, refermant la porte du dialogue que le président Gül tentait d'ouvrir.

 
 À Istanbul

Un tapis de sport sous le bras, deux jeunes femmes quittent le parc de Gezi, où elles viennent de donner une leçon de yoga à des occupants qui campent entre les arbres. «Erdogan n'écoute toujours pas son peuple, c'est incroyable», déclare Nazan Tezcan. Son ami sur­enchérit: «Il cherche à diviser les Turcs, cela fait peur. Ce que je réclame n'est pourtant pas compliqué. Je veux être respectée avec mon short comme je respecte les femmes avec un voile.» Elles réagissaient, hier, à la démonstration de force de Recep Tayyip Erdogan, rentré dans la nuit en Turquie.

Cette semaine, le premier ministre n'avait pas annulé sa tournée au ­Maghreb, alors que des milliers de Turcs descendaient dans la rue pour réclamer sa tête. Souhaitant donner l'image d'un leader qui ne se laisse pas troubler par quelques «çapulcu» - vandales -, comme il appelle les contestataires. Ses quatre jours de visite lui auront en fait permis de constater que son aura déclinait sur l'autre rive de la Méditerranée. Au Maroc, le roi Mohammed VI ne l'a finalement pas reçu et, en Tunisie, il y a eu des manifestations hostiles à sa venue. Mais, fort de son titre de docteur honoris causa pour sa «contribution à l'huma­nité» reçu à l'université d'Alger, c'est en conquérant qu'il a atterri à Istanbul à 2 heures du matin.

«Laisse-nous les écraser»

À l'aéroport, juché sur le toit d'un bus pour haranguer ses supporteurs, il n'a pas fait une seule concession sur le projet de réaménagement de la place Taksim à l'origine de la mobilisation et a exigé l'arrêt «immédiat» des rassemblements qui «ont tourné au vandalisme». Des milliers de membres du Parti de la justice et du développement (AKP) venus l'accueillir en héros hurlaient: «Nous sommes tes soldats!», «Laisse-nous y aller, on va les écraser!» Obtempérant aux ordres de leur chef, ils sont rentrés «calmement à la maison». Mais ce comité d'accueil montre la capacité intacte de rassemblement d'Erdogan, qui a menacé à plusieurs reprises d'envoyer ses partisans dans la rue.

Son discours a été jugé belliqueux par de nombreux éditorialistes, qui espéraient que le dialogue ouvert en son absence par le président de la République, Abdullah Gül, et le vice-premier ministre se poursuivrait. «Il a opté pour le combat et l'écrasement de la rébellion, c'est dans son caractère, estime Kadri Gürsel, éditorialiste au quotidien ­Milliyet. Lancer l'assaut sur la place serait un suicide politique, mais, si la situation perdure, cela voudrait dire qu'il n'est pas capable de gouverner un pays à cause de quelques jeunes qui font des barricades. C'est l'impasse et c'est insupportable pour quelqu'un d'autoritaire comme lui.» À la tête du pays depuis dix ans, jamais Recep Tayyip Erdogan n'a connu un tel soulèvement.

«On ne peut compter que sur nous-mêmes»

«Nous reviendrons dans le parc, encore et encore, avec pour toute arme notre non-violence face à la brutalité de la po­lice», réagissait, hier, Cengiz Mahalifet, tout en grattant les cordes de sa guitare, dans le parc de Gezi. «Tous ses ministres sont au garde-à-vous, on ne peut compter que sur nous-mêmes pour le faire plier», se désole Burcu Yilmaz. L'étudiante en gestion qui a planté sa tente entre les arbres fait allusion aux membres de son gouvernement qui étaient en rang d'oignon aux côtés du premier ministre sur le toit du bus. Pour Kadri Gürsel, «l'orgueil d'Erdogan les prend tous en otage». «De nombreux ministres espèrent une conciliation pour faire retomber la pression, mais ils ne peuvent pas l'exprimer ouvertement», analyse Mustafa Akyol, intellectuel musulman auteur de L'Islam sans les extrêmes. Et de raconter l'histoire d'un cadre de l'AKP qui a dû user de tout son talent de persuasion pour que ses deux filles renoncent à aller manifester sur la place Taksim.

Mais, confronté aux critiques internationales de plus en plus nombreuses, le chef du gouvernement a adopté un ton un peu plus conciliant pour y répondre que celui qu'il prend pour s'adresser à ses concitoyens. Hier après-midi, à ­Istanbul, il s'est dit ouvert «aux exigences démocratiques» à l'occasion d'une conférence de presse commune avec Stefan Füle, commissaire européen à l'Élargissement. Juste avant, celui-ci avait martelé dans son discours que «les manifestations pacifiques constitu(aient) une voie légitime (…) pour l'expression d'opinions dans une société démocratique» et demandé que «les responsables (de la violence policière, NDLR) rendent des comptes». Les critiques de Bruxelles font suite aux critiques des États-Unis, préoccupés par le risque d'une déstabilisation de son allié régional. Lundi, John Kerry, le secrétaire d'État, avait exprimé «la profonde inquiétude» de la Maison-Blanche à l'égard de la violence policière exercée contre les manifestants.

 
 

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