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Catégories : Balades, Voyage

Amazone, le tumultueux roman d'une Andine

Amazone, le tumultueux roman d'une Andine

EN IMAGES - Cet été, notre série d'évasion vous emmène à la découverte des sources des grands fleuves. Après le Danube et le Nil, voici l'Amazone dont l'origine, longtemps controversée, a été localisée en 2002 dans le sud du Pérou, au mont Mismi. Un lieu préservé et encore peu connu, y compris des Péruviens

 

Et si jongler avec sept boules de cristal s'avérait plus simple que de définir le lieu où l'un des deux plus grands fleuves du monde (avec le Nil) prend sa source… L'Amazone a suscité, depuis des siècles, plus de mystères sur ses origines que Hergé n'avait imaginé d'histoires sur sa cité perdue. Conquistadors, aventuriers, géographes ont été nombreux à prendre en filature cette intrigante à la triple identité - péruvienne, colombienne et brésilienne -, qui commence sa cavale au sud du Pérou pour fuguer sur plus de 6000 kilomètres vers l'océan Atlantique. À chaque mission, une conclusion différente, selon que le río Marañon ou le río Ucayali était désigné comme affluent principal.

À chaque spécialiste, ses paramètres: longitude, latitude, taille, densité et constance du débit… Un Andin y perdait son quechua! Depuis le voyage de Francisco de Orellana, en 1542, expéditions - y compris françaises avec celles de Michel Perrin en 1953 et de Jean-Michel Cousteau en 1975 - et controverses se sont multipliées jusqu'à ce que l'affaire soit enfin tranchée en 2002, sans pour autant faire l'unanimité. Confirmant la thèse du photojournaliste américain Loren McIntyre (National Geographic Society), une expédition menée par la National Geographic Society localisait, GPS à l'appui, la source du río Amazonas dans les lagunes glaciaires du versant nord du nevado Mismi: un mont culminant à 5597 mètres, situé dans la cordillère de Chila, au nord d'Arequipa.

Chivay, une oasis au milieu de paysages arides.

Chivay, une oasis au milieu de paysages arides. Crédits photo : STAN FAUTRE

Arequipa, «ville du printemps, ville blanche!». C'est avec une fierté de matamore que Saúl Peredo évoque les largesses d'un soleil sans jour férié, la beauté en aube d'un centre historique inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco. Du blanc partout ou presque.

Les demeures de haute prospérité coloniale, les églises, les couvents ont été construits en sillar: la roche volcanique du Misti, à un jet de pierre de la deuxième plus grosse agglomération péruvienne. Un million d'habitants vivent stoïquement sous la menace de ce Vésuve local. Mais il n'est pas d'eden sans danger, d'enfer sans protection divine. Pour peu que l'on veuille solliciter la Vierge de Chapi, patronne de la région, les lieux ne manquent pas. L'église de la Compagnie de Jésus, dont la façade est ciselée comme l'image pieuse d'un canivet, pousse à la génuflexion.

Nul besoin de se faire prier pour admirer, plaza de Armas, la superbe cathédrale San Pedro, puis visiter l'impressionnant monastère de Santa Catalina, l'un des plus anciens et des plus vastes du continent américain, construit au XVIe siècle. Dédale de rues, patios, placettes, chapelles, cellules… Dans ce village de femmes ont vécu jusqu'à 500 nonnes. Il n'en reste plus aujourd'hui que 25 qui, en dehors de leurs six heures de prière quotidienne, ont bien d'autres préoccupations que de lever le voile sur l'origine de l'Amazone.

Atteindre le sommet du mont Mismi, à 5597 mètres, reste l'apanage des amateurs de trek.

Atteindre le sommet du mont Mismi, à 5597 mètres, reste l'apanage des amateurs de trek. Crédits photo : STAN FAUTRE

La plupart des Arequipeños, d'ailleurs, s'y intéressent peu ou pas du tout. Rue ­Jerusalén, l'un des QG des tour-operateurs de la ville, les professionnels proposent plus volontiers une virée aux sources thermales de Yura, sur les contreforts du volcan Chachani, qu'une expédition au mont Mismi, à plus de six heures de route d'Arequipa. «Cela changera peut-être lorsqu'ils mesureront son attrait touristique, mais pour le moment, cette source n'est pas vraiment une priorité pour les gens d'ici, confirme Angel Pajuelo Tejada, professeur de géographie à l'université d'Arequipa. Il y a bien eu, dans les années 70, un militaire péruvien qui l'a cherchée, mais ce sont plus souvent les étrangers qui s'intéressent à notre patrimoine.»

Il s'avère effectivement plus difficile de dégoter, dans la ville du prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa, une carte récente de la région du Mismi que de consulter les travaux anciens du cartographe français Nicolas Sanson d'Abbeville, conservés à la Bibliothèque de France. Il aura fallu le dévouement exemplaire du patron d'une petite papeterie librairie du centre historique pour trouver une Taride andine de la vallée du Colca. Un objet aussi rare qu'avare en informations. Tel Maupassant qui, du ciel de Paris, décrivait la Seine comme «un gros serpent roulé, couché, immobile, dont on n'aperçoit ni la tête ni la queue» , on peine à remonter précisément le cours de l'anaconda amazonien. Tout au plus repère-t-on le village le plus proche de son berceau: Chivay.

Ran Ran, le dernier village abandonné par les éleveurs d'alpages.

Ran Ran, le dernier village abandonné par les éleveurs d'alpages. Crédits photo : STAN FAUTRE

Pendant cinq jours, en août, a lieu la Fiesta del agua

Les cartes sont de formidables diseuses de bonne aventure capables de vous prédire ce qui vous attend: direction l'altiplano par la transocéanique, qui monte à près de 4800 mètres et rejoint le Brésil ; traversée de la Réserve nationale Salinas y Aguada Blanca, où vivent en toute liberté cerfs, lamas, alpagas et vigognes ; escale à Patapampa pour déguster un breuvage composé de trois plantes - coca, muña et chachacoma - qui favorisent l'irrigation du sang. Puis, arrivée à Chivay qui surplombe le très touristique Cañon del Colca - classé parmi les gorges les plus profondes au monde (3 182 m). Réputée pour ses sources thermales, cette bourgade pleine de charme échappe encore au tourisme de masse.

Hormis les Taxis Lama qui proposent, sur la place principale, une «virée touristico-écologique», Chivay n'a pas cédé à la tentation de jouer la carte d'un folklore de pacotille qui colle parfois au Pérou comme le sparadrap au doigt du capitaine Haddock.Vêtues, à quelques variantes près, du superbe et riche costume que portaient leurs ancêtres, les paysannes boudent nonchalamment l'air du temps. Sur le marché, elles tricotent encore bonnets, chuspas et chaussettes avec l'alpaca de leur troupeau. «Il est important de favoriser un tourisme solidaire et responsable pour un développement durable», précise José Fernando Isuiza Prado, revenu au Pérou après avoir étudié et vécu à Paris.

Ici, ceux qui aspirent à prendre de la hauteur seront servis. D'une part, se retrouver perché à 3650 mètres d'altidude permet une acclimatation parfaite avant de rejoindre le mont Mismi. D'autre part, regarder les paysages immémoriaux, découvrir la citadelle de Uyo Uyo construite 1 200 ans avant J.-C., approcher les cultures en terrasses pré-incas, avec leur ancestral réseau de canaux et de siphons, s'avère un excellent moyen de comprendre l'importance de l'eau, yaku en quechua (la langue des Andes), pour la population locale qui vit essentiellement du travail de la terre et de l'élevage d'alpagas et de lamas. Tout le monde se souvient dans la région qu'en 1971, pour une histoire de canal, eut lieu un affrontement mortel entre les villageois de Yanke et de Coporaque. Aujourd'hui encore, il n'est pas rare que le juge de l'eau soit sollicité pour arbitrer des différends entre des paysans.

Au paysage minéral du berceau de la source succèdent dans la vallée de Carhuasanta de verdoyantes prairies.

Au paysage minéral du berceau de la source succèdent dans la vallée de Carhuasanta de verdoyantes prairies. Crédits photo : STAN FAUTRE

L'eau, on se la dispute parfois, comme dans les romans de Pagnol, on respecte surtout ce don de la Pachamama , la terre mère nourricière, qui fait vivre hommes, animaux et plantes depuis des temps immémoriaux… «C'est un rituel très ancien. La première semaine d'août, pendant cinq jours, a lieu la Fiesta del agua, raconte Zacarias Ocsa Ocsa. Les paysans procèdent alors au nettoyage des 50 kilomètres de canaux d'irrigation qui remontent quasiment jusqu'au mont Mismi.» Auteur de plusieurs ouvrages, guide officiel de la région, il connaît tout des contes et légendes qui circulent sur l'Amazone. Sollicité par des scientifiques, il se souvient de l'expédition du Polonais Jacek Palkiewicz qui a situé, en 1996, la source du fleuve au mont Qewisha. à un vol de condor du mont Mismi, devenu depuis le site officiel.

Du mois d'avril à novembre, les conditions sont idéales pour se lancer dans l'aventure. L'ascension s'effectue en grande partie en 4x4 par l'ancienne route de Cuzco jusqu'au bourg de Tutti, puis au village abandonné de Ran Ran. Une sensation étrange l'emporte devant ces habitations en ruine atomisées par l'oubli, cette église désertée où l'on ne célèbre plus que la fête de la Vierge, début septembre. Les changements climatiques auraient fait fuir les familles qui ne trouvaient plus assez d'eau pour nourrir le bétail. Depuis quelques années, les neiges éternelles se réduisent comme peau de chagrin. Les trois heures de route qui mènent au mont confirment ce constat et la quasi-absence de présence humaine. On se perd dans l'immensité, happé par la grandiloquence des paysages où alternent, à la manière d'un crazy patch, les couleurs toastées d'or, de bronze, de brun, les rouges d'une terre chargée en minéraux.

Dans ce bout du monde, où le ciel semble à portée de main, les vigognes occupent le terrain en reines. Sans abris, sans tanières. À 4000 mètres, la nature ne badine pas. Elle tance, brutalise, cravache à tout va. Il y a des jours gercés par la morsure du Silbido, des nuits rustaudes où le thermomètre flirte avec les - 30 °C. Dans les hauts pâturages de la puna, le regard agreste des rares éleveurs en dit long sur la dureté de cette région, où les enfants naissent avec davantage de globules rouges et développent des poumons de nageur pour résister à l'autorité de la nature. Mais, pas de panique. Atteindre la source de l'Amazone ressemble davantage à une grimpette à Fontainebleau qu'à l'ascension du Mont-Blanc.

Les trois canyons près de Suykutambo, où le Serrimayo, le Hatun Mayo et le Kaymani fusionnent pour former le rio Apurimac.

Les trois canyons près de Suykutambo, où le Serrimayo, le Hatun Mayo et le Kaymani fusionnent pour former le rio Apurimac. Crédits photo : STAN FAUTRE

Prières et offrandes rendent hommage à la Pachamama

Porter des chaussures de marche, choisir les bons appuis suffit à rejoindre l'imposante paroi rocheuse d'où surgissent, par plusieurs failles, les premières eaux du fleuve. En minicascades, elles se livrent, vives et fraîches, passent un court instant par ce qui ressemble à des fonts baptismaux naturels, avant de filer dans la pente à travers les roches. Une croix en métal où figure une plaque en souvenir de l'expédition de Loren McIntyre (1971) a été dressée sur le site, mais c'est à un rite animiste que se livre Zacarias, agenouillé au plus près de cette stase à l'imposante puissance. Prières et offrandes contribuent à remercier la Pachamama: «Que les dieux et déesses protègent cette eau pour nous, nos enfants et les générations futures», murmure-t-il avec cette façon oubliée de tenir la nature en considération. Après avoir soufflé sur trois feuilles de coca, il les enterre, puis se recueille un long moment. Son émoi sincère emporte toutes les sensibilités. Le silence s'impose. On perd rapidement les mots à vouloir décrire l'énergie que dégage ce lieu tellurique, dont on ne peut s'empêcher de penser qu'il a quelque chose à voir avec les mystères de la création. On se sent redevable de ce don sans rien pouvoir dire. Et tant mieux. C'est une émotion dénuée de commentaires qui nous escorte le temps de suivre la petite Amazone sur plusieurs kilomètres vers la vallée du río Carhuasanta.

Arequipa, une ville opulente, isolée entre désert et montagne.

Arequipa, une ville opulente, isolée entre désert et montagne. Crédits photo : STAN FAUTRE

Née dans un quasi-anonymat, celle qui irrigue le poumon du monde ne cède pas immédiatement à la démesure de sa nature véhémente. Elle court entre les touffes d'aqenta (une plante qui ne grandit que d'un centimètre par an), file secrètement sous les roches, se disperse avant de se frayer un chemin plus large du côté de Caylloma. Le jeu de piste qu'elle construit n'est pas aisé à suivre. Au plus près de la source, chaque pas est compté. A 5 164 mètres, le manque d'oxygène corsète les poumons, donne l'impression de respirer par une paille. Mieux vaut reprendre la voiture pour rejoindre le site des «Trois Canyons» près de Suykutambo, où le Serrimayo, le Hatun Mayo et le Kaymani se rejoignent pour former le río Apurímac qui, au fil de sa course, changera de nom plusieurs fois jusqu'à devenir l'Amazone. Plus de 6000 kilomètres séparent ce sublime panorama de l'embouchure du fleuve.

Quelques fous de robinsonnades extrêmes ont déjà effectué ce parcours à pied. Sans doute ne faudra-t-il pas trop attendre pour avoir une chance de vivre cette incroyable expérience. Si le projet de barrage Marjes 2 voit le jour, le cours de l'Amazone pourrait être interrompu d'ici à cinq ou dix ans. Etrange époque que la nôtre, qui contraint les hommes à se priver d'un retour aux sources.


Le carnet de voyage

Avant de partir

Office de tourisme du Pérou (www.peru.travel/fr/). Visa gratuit délivré à l'arrivée. Meilleure période: d'avril à octobre, c'est la saison sèche sur l'altiplano.

Monnaie: le nuevo sol (PEN): 1 € = 3,62 PEN.

http://www.lefigaro.fr/voyages/2013/07/26/30003-20130726ARTFIG00329-amazone-le-tumultueux-roman-d-une-andine.php

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