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Le gay savoir d'Orsay

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Le<i> Jeune Homme assis au bord de la mer</i>, 1836, de Flandrin.

Le Jeune Homme assis au bord de la mer, 1836, de Flandrin. Crédits photo : © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Angèle Dequier

Le musée rapproche œuvres anciennes et contemporaines pour révéler la constance d'une fascination longtemps inavouée : celle du nu masculin.

L'art d'embrasser la surface d'une fontaine. C'est ainsi qu'Alberti ­définissait la peinture. À la Renaissance, le premier des historiens de l'art voyait en Narcisse le premier des artistes. Il affirmait ainsi que le désir est à l'origine de toute création. À commencer par le désir du Même. Puis les choses se sont gâtées, Narcisse s'est noyé dans l'illusion, Pie IV a fait occulter les sexes peints dans la Sixtine. «Toute lascivité sera évitée, avait décrété le concile de Trente, de sorte que les images ne soient pas peintes ni ornées avec une grâce impudente.» Toutefois, le désir a continué de sourdre. Les nombreuses tentatives pour le contenir ne l'ont jamais épuisé ; bien au contraire semble-t-il si l'on en juge par la profusion d'œuvres ambiguës du siècle de la pudibonderie réunies au Musée d'Orsay.

L'hiver dernier, le Leopold Museum, lors d'une exposition pionnière sur le nu masculin, a exposé une reproduction de la feuille de figuier qu'avait fait poser la reine Victoria sur la réplique du David de ­Michel-Ange conservée au V & A Museum. De tels voiles abondent à Orsay, du périzonium christique au cordon de la cape de Pâris en passant par le fourreau de Thésée ou le carquois d'Éros. L'exposition commence donc a priori sagement. À peine quelques poils du pubis d'un Orphée pleurant sur le tombeau d'Eurydice (Guérin, 1802). Mais bien vite on ne voit qu'eux ; le propos étant précisément de souligner ce que de telles compositions ont d'intentions sous-jacentes. La scénographie y parvient en rapprochant constamment ces œuvres anciennes avec des contemporaines, très explicites celles-là. Ainsi celles de Pierre et Gilles ou de Kehinde Wiley.

Aujourd'hui, même s'il ne fait plus scandale, le nu masculin gêne encore

Guy Cogeval

La fin des tabous? Voire. On ne croise aucun phallus en érection ici. Même un David LaChapelle n'y fait qu'allusion dans son portrait d'Eminem (1999) membré d'un bâton de dynamite allumé. Les verges dans les dessins de Cocteau sont molles et celle d'Orlan, dans son pastiche de L'Origine du monde de Courbet (L'Origine de la guerre, 2012), est fort courte.

«Aujourd'hui, même s'il ne fait plus scandale, le nu masculin gêne encore», constate Guy Cogeval, qui rappelle qu'à Vienne l'affiche des trois footballeurs nus de Vive la France (Pierre et Gilles, 2006) a été affublée d'un bandeau noir. Ou encore que Poutine a longtemps hésité avant de prêter Shower, After the Battle d'Alexander Deineka, un artiste qui, durant la ­Seconde Guerre mondiale, en plein stalinisme, a peint des militaires au dos large et luisant.

Un parcours à six thèmes

Avec son équipe, celle du Musée Léopold et le directeur du fonds photographique du Stadtmuseum de Munich, le président d'Orsay a souhaité comprendre pourquoi «on parle toujours de la signification symbolique, esthétique ou politique du nu masculin mais jamais du désir qu'on peut avoir devant lui». Après un prologue en quelques exemples des XVIe et XVIIe siècles (dont un splendide Saint Sébastien de La Tour, éphèbe et à la bougie droite), les décennies, les styles, les nationalités et les techniques s'entremêlent du néoclassicisme à nos jours. Six thèmes ponctuent le parcours. La rémanence des modèles classiques, le nu héroïque à travers le sport ou la guerre, le nu réaliste qui n'occulte ni l'âge ni la mort, le rêve d'une humanité fusionnant avec la nature, le corps douloureux et enfin le désir homosexuel émancipé.

Ce découpage aux frontières souvent floues s'affranchit de la vocation chrono-pédagogique de l'institution pour, par ces suites de correspondances entre peintures, sculptures et photographies, proposer une sorte d'essai de «gay savoir». Sans doute l'exposition la plus personnelle de Guy ­Cogeval, où le plaisir d'exposer les chefs-d'œuvre compte autant que la démonstration. D'emblée, le ­Philoctète blessé d'Abildgaard venu de Copenhague est accroché en face du ­Patrocle de David. Ils précèdent d'autres nus somptueux, académiques (Géricault) ou mythologiques (le Pâris de Desmarais prêté par Ottawa). À la silhouette filiforme du Prométhée de Moreau succède celles des Adolescents de Picasso (1906). La mélancolie du Jeune Homme assis au bord de la mer de Flandrin précède les postures tortueuses de Schiele et de Bacon…

<i>Coup de grisou</i>, d'Henri-Léon Gréber (1896).

Coup de grisou, d'Henri-Léon Gréber (1896). Crédits photo : © RMN (Musée d'Orsay) / Franck Raux

Comique involontaire

Les surprises sont fréquentes. Tel ce ­Pêcheur à l'épervier de Bazille venu de Zurich, véritable envers du Déjeuner sur l'herbe. Ou ce Mort pour la patrie nu comme un vers quoique en plein champ de bataille. La toile de 1892, prêt d'Angers, est signée d'un certain Lecomte du Noüy. Les sculptures, en particulier, étonnent, sinon effraient. Ainsi La Vie active d'Arno Breker, artiste considéré par Hitler comme un génie. Plus loin, Ron Mueck a installé un poignant gisant: son père, reproduit de manière hyperréaliste et en miniature, ce qui en redouble l'effet.

Autre œuvre magistrale mais d'un comique involontaire, le Coup de grisou d'Henri-Léon Gréber (1896). Ce marbre figure un ouvrier se pâmant à demi nu dans la catastrophe. L'expression de la douleur dissimule en effet souvent l'exultation. Comme dans ces Saint Sébastienfaussement blessés mais vraiment efféminés. Le pompon revient à celui d'Angel Zarraga (1910) dont l'Irène à ses pieds prie en robe Poiret. Il en va de même pour les Christ aux outrages. Celui de Bouguereau confine au bondage. Il orne pourtant d'habitude la cathédrale de La Rochelle.

Cherchez la femme dans cette fascination de l'artiste pour le corps masculin. Certes Zoe Leonard, photographe militante, présente une Marylin barbue que n'auraient pas reniée un Duchamp ou un Warhol. Mais si les commissaires se défendent d'avoir conçu une simple ode à l'homoérotisme, c'est pourtant l'effet que laisse la visite. On en apprend peu sur la pratique du nu en atelier dans la formation académique. Beaucoup en revanche sur la puissance et la constance d'une pulsion.

Désormais, on le saura: au panthéon de la modernité, Ganymède, l'amant de Zeus et l'échanson des dieux, peut faire tous les loopings qu'il veut avec son aigle dans les cieux (Le Sueur) ou pique-niquer avec toute l'école de Platon (Jean Delville) sans qu'aucun garde champêtre censeur ne le verbalise pour pelouse (ou cimaise) interdite.

• «Masculin/Masculin», au Musée d'Orsay, Paris VII e, du 24 septembre au 2 janvier. Catalogue Orsay/Flammarion, 300 p., 39,90 €. Tél.: 01 40 49 48 14. www.musee-orsay.fr

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