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Le style de Flaubert par Thibaudet

Le verbe est dans la phrase le mot essentiel, et un grand styliste se reconnaît à son emploi du verbe. Sur lui porte la partie la plus considérable de l’effort de Flaubert.

Il n’abandonne pas une phrase avant d’avoir placé le verbe à l’endroit exact où il fait image : « Le régisseur aida Bouvard et Pécuchet à franchir un échalier, et ils traversèrent deux masures où des vaches ruminaient sous des pommiers… Des bandelettes de cuir allaient d’un toit à l’autre, et au milieu du grenier une pompe de fer manœuvrait… Les gens de travail passaient en traînant leurs sabots, et la cloche pour le souper tinta [1]. »

Le temps ordinaire de Flaubert, c’est l’imparfait, ce que Marcel Proust appelle l’éternel imparfait. Si Flaubert le premier l’emploie, dans la narration, par masse et suivant un courant continu, ce n’est nullement de propos grammatical délibéré. C’est que cet imparfait est consubstantiel à son idée du roman et à la nouveauté qu’y introduisait le « réalisme » de Madame Bovary, exprime l’étoffe même et la continuité d’une vie. Surtout il est lié à la composition par tableaux, il est le temps propre à ces tableaux en lesquels se distribuent la plus grande partie des romans de Flaubert.

Mais certains emplois de l’imparfait sont assez particuliers à Flaubert. Il en fait une variété du discours indirect, s’en sert pour exprimer les sentiments de ses personnages. « Comment donc avait-elle fait (elle qui était si intelligente) pour se méprendre encore une fois [2]? » « Un homme au contraire ne devait-il pas tout connaître, exceller en des activités multiples… Mais il n’enseignait rien, celui-là, ne savait rien, ne souhaitait rien. Il la croyait heureuse ; et elle lui en voulait de ce calme si bien assis [3]. » Le dernier imparfait n’appartient plus au même ordre, et pourtant on ne s’en aperçoit pas, on passe à lui insensiblement. La force de ces imparfaits de discours indirect consiste à exprimer la liaison entre le dehors et le dedans, à mettre sur le même plan, en usant du même temps, l’extérieur et l’intérieur, la réalité telle qu’elle apparaît dans l’idée et la réalité telle qu’elle se déroule dans les choses. Ils sont une façon de transporter dans le roman impersonnel

  1. Bouvard, p. 33.
  2. Madame Bovary, p. 255.
  3. Madame Bovary, p. 57.
  4. http://fr.wikisource.org/wiki/Page:Thibaudet_-_Gustave_Flaubert.djvu/246

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