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Tour du monde des lieux maudits

Catherine CALVET et Fabrice DROUZY 25 octobre 2013 à 09:47

Le "Piquet-Monségur", en Ariège, près du château où périrent brûlés plus de 200 Cathares en 1244... Les autres photos ont également été prises sur le site.Le "Piquet-Monségur", en Ariège, près du château où périrent brûlés plus de 200 Cathares en 1244... Les autres photos ont également été prises sur le site. (Photo jacme31 )

Dans un étonnant ouvrage, Olivier Le Carrer nous présente, cartes à l'appui, les endroits les plus inquiétants de la planète. Rencontre avec l'auteur.

 

Les Baléares? Mille fois vues! Les Antilles? D’un commun! Les Seychelles? Ouais bof! Loin des lagons bleus et des plages de sable blanc, Olivier Le Carrer, journaliste et navigateur, a voulu casser les codes du genre en publiant un étonnant Atlas des lieux maudits. Répertoriés depuis la nuit des temps – «Maudit soit le sol à cause de toi» (Génèse, 3.17) – ces villes et pays où il ne fait pas bon vivre abondent aux quatre coins du globe.

Mythiques ou historiques comme Charybde et Sylla dans le détroit de Messine, les ruines de Montségur, le château de Tiffauges ou Nuremberg; surnaturels et inquiétants comme Amityville, le triangle des Bermudes ou Eilean Mor, le phare des disparus au nord-est de l’Ecosse; ou enfin, bien réels comme Tilafushi, lagon empoisonné par les ordures de tout l’archipel des Maldives, Cap York en Australie où batifolent crocodiles de mer, serpents et méduses mortelles, ou enfin la très discrète Ile de sable, au sud de Terre-Neuve, qui depuis des siècles piège avec subtilité tous les bateaux qui s’en approchent...

Illustré uniquement avec des cartes, l’ouvrage alterne récits, descriptions et anecdotes pour ce tour du monde décalé des recoins obscurs de l’Humanité. Rencontre avec l'auteur.

Les lieux maudits vous intéressent depuis longtemps ?

Plus que la malédiction en elle même, ce qui me passionne c’est ce que ces histoires disent de notre monde, de ces télescopages de toutes sortes de choses qui font que la vie devient parfois très compliquée. Souvent c’est la tradition religieuse qui donne un statut particulier à un endroit, parfois une légende, ou tout simplement un phénomène naturel ou l’activité humaine. Quelquefois plusieurs éléments se combinent. C’est tout à fait captivant d’essayer d’aller voir derrière les apparences comment s’est construite la réputation d’un lieu.

Certains chapitres évoquent des histoires dramatiques, d’autres beaucoup plus futiles…

Je voulais effectivement que ce livre soit un patchwork représentatif de tout ce que l’on peut entendre sous le terme maudit ; des sujets les plus légers aux plus épouvantables ; qu’il propose un voyage riche mais pas trop sérieux sur tous les continents. Tant qu’à explorer le monde, je préfère le chemin des écoliers aux voies trop directes et démonstratives.

Des cartes mais pas de photos ?

J’aime bien l’idée de prendre un peu de recul, de situer l’action sans trop en montrer. C’est une façon de se réapproprier la mesure de la terre alors que nous sommes saturés au quotidien de photos de toutes sortes, le plus souvent en gros plan. Pour la plaine abyssale de Gambie, par exemple, « berceau » des cyclones de l’Atlantique, cela n’aurait eu aucun sens de mettre une image de mer ! Alors que la carte exprime beaucoup plus clairement le décalage entre l’origine du malheur et sa manifestation.

Et puis j’ai un faible pour la cartographie, ma passion de la navigation m’ayant naturellement conduit à m’y intéresser de très près. Dans mon livre précédent, le fil conducteur était une réflexion sur les différentes façons de représenter l’espace, en jouant avec les multiples petits mensonges que dissimulent les cartes. Pour celui-ci, l’angle est différent, mais le moteur reste le même : essayer de comprendre le monde !

D’où viennent ces cartes ?

J’ai la manie de collectionner les vieux papiers, qu’il s’agisse de plans de bateaux, de livres ou de cartes. Celles-ci sont extraites de l’Atlas de géographie moderne de Schrader, publié à la fin du XIXème siècle, que nous avons parfois dû retoucher quand le document d’origine ne couvrait pas bien la zone concernée. C’est mon épouse Sibylle, co-auteur du livre, qui s’est chargée de ce méticuleux travail. Je suis très sensible à la poésie désuète qui se dégage de ces images, elle me semble coller assez bien avec le caractère souvent intemporel et mystérieux des lieux évoqués.

Êtes-vous allé dans tous ces lieux ?

Je connais bien la plupart d’entre eux, et les autres me fascinaient suffisamment pour que je fasse des recherches approfondies dessus, y compris en interrogeant des familiers de ces endroits.

Je trouve rassurant qu’à l’époque de Google Street et Google Maps, certains lieux nous échappent encore. J’aime ce décalage entre la profusion d’images et de données disponibles et ce dépaysement que l’on ressent malgré tout en arrivant sur place. C’est la même illusion que donnent d’ailleurs les cartes : en les regardant chez soi, bien au chaud, on croit maîtriser le territoire, mais ce ne sont que des projections très codifiées qui ne disent jamais tout de la réalité. Les surprises sont garanties, surtout avec certains terrrains ; je défie quiconque d’arriver à bien « lire » un paysage de montagne s’il n’en a pas l’habitude…

Vous projetez un Atlas des lieux paradisiaques ?

Oui, j’y pense sérieusement ! Mais on y aura sans doute aussi des surprises, car l’enfer n’est jamais loin du paradis et vice versa. Dans l’Atlas des lieux maudits, je décris des endroits à première vue paisibles qui se révèlent catastrophiques à fréquenter. Comme ces îles superbes du Pacifique, devenues invivables. Ou les fjords préservés de la péninsule de Kola à l’extrême nord ouest de la Russie, près de la frontière norvégienne, qui sont encombrés de sous-marins nucléaires abandonnés dont la radioactivité constitue une terrible épée de Damoclès pour toute la région.

Quels sont les lieux qui vous ont le plus impressionné ?

Nuremberg est un des sites que je trouve le plus troublant. C’est aujourd’hui une coquette ville de Bavière, devenue, ironie de l’histoire, capitale mondiale du jouet grâce à une foire internationale très réputée ! Mais je ne peux marcher là sans penser aux images d’archives des années 1930, avec les grandes parades nazies. C’était la capitale idéologique du IIIème Reich, le point de départ de toute cette folie meurtrière. Partout, on croise les traces de ces mises en scène sinistre : l’immense avenue sur laquelle se tenaient les défilés, les fondations du stade de 500 000 places que voulait bâtir Hitler pour accueillir tous les Jeux Olympiques à venir… Ou encore la caserne SS qui abrite maintenant le secrétariat fédéral aux immigrés et le siège du Haut-Commissariat des réfugiés dépendant de l’ONU.

A Montségur aussi, impossible de ne pas être ému si l’on est un peu sensibilisé à l’histoire des Cathares.

La connaissance des faits est indispensable pour sentir cette ambiance ?

Certains lieux dégagent une atmosphère incroyable, même quand on ne sait rien de ce qui s’y est passé. Cela peut tenir à une nature exceptionnelle. Par exemple le triangle du Nevada, où se cache la fameuse et très controversée Area 51. Le massif montagneux est à la fois si majestueux et si inquiétant par son allure impénétrable que l’on oublie la proximité de Las Vegas et de la Côte californienne et que l’on comprend tout de suite comment cet endroit peut se tranformer en tombeau.

La Vallée des rois exprime aussi beaucoup de choses, avec son décor spectaculaire brûlé par le soleil ; il suffit de choisir la bonne période, d’oublier les touristes et de se laisser imprégner par l’ambiance du site.

Quelquefois c’est la faune qui impose son rythme à l’endroit au point de devenir obsédante. J’ai du mal à profiter des paysages sublimes du nord-est de l’Australie sans penser à toutes les bestioles dangereuses qui guettent un peu partout, les crocodiles géants dans les plus beaux lagons, les serpents bruns ultra venimeux sous les cocotiers, les méduses à la piqure mortelle…

Comment avez vous sélectionné ces endroits ?

Il y en avait au moins trois fois plus dans notre première liste. Il a fallu faire un tri pour retenir ceux qui nous semblaient les plus pertinents, l’idée étant de faire un tour d’horizon représentatif de toutes les situations : du site sur lequel pèse une malédiction mystique, généralement aussi inquiétante que peu opérante, à des lieux moins romantiques mais dont les habitants sont condamnés à un malheur bien réel pour toutes sortes de raisons, climatiques, géologiques, politiques, ou autres.

Bien d’autres endroits auraient mérité d’y figurer. Je pense par exemple à Beyrouth, une ville qui m’est toujours apparue d’une complexité terrifiante.

A travers les lieux vous évoquez des mystères…

A vrai dire, très peu d’entre eux résistent à l’analyse. La plupart des énigmes liées à ces sites sont des ballons de baudruche, gonflés au fil de rumeurs et parfois d’intérêts des uns ou des autres. C’est aussi ce qui fait le sel de l’exercice : comprendre comment certaines histoires prospèrent sur un lit de bêtise ou d’ignorance. La légende autour des périls du cap Bojador, au Sahara occidental, est en ce sens exemplaire : on sait depuis des siècles que ce point ne présente aucune difficulté particulière, qu’il s’agit d’une construction imaginaire du temps des grandes découvertes… mais on continue partout aujourd’hui à le présenter comme un cap redoutable !

Je ne cherche pas pour autant à casser les mythes. J’essaye juste de donner des éléments objectifs en laissant toutes les portes ouvertes. Après, on a parfaitement le droit de continuer à fantasmer sur le triangle des Bermudes… même si les statistiques montrent qu’il s’agit d’une des zones les plus sûres de l’Atlantique nord .

L’un des rares endroits qui continue pour moi à entretenir son mystère, c’est Eilean Mor, le «phare des disparus» en Ecosse, dont les gardiens se sont mystérieusement volatilisés en 1900, après avoir laissé des commentaires incompréhensibles sur leur journal de bord, parlant de terrible tempête quand tous les bateaux circulant dans les parages constataient un temps superbe. Le décor est à la hauteur de l’histoire, suffisamment lugubre pour stimuler l’imagination…

Vous recensez des lieux abîmés par l’homme ?

De plus en plus nombreux. Thilafushi, l’île dépotoir des Maldives est un exemple significatif de gâchis humain. L’atoll est menacé comme le reste de l’archipel par la montée des eaux et sert en plus de décharge pour les autres îles et la capitale Malé. C’est une malédiction paradoxale, caractéristique de ces destinations très prisées : la manne touristique profite au pays mais peut l’amener à faire des choix désastreux sur tous les plans, de la dégradation des sites à l’instauration d’un système proche de la ségrégation dans lequel touristes et Maldiviens ne peuvent pas cohabiter.

Est-ce que certains endroits vous semblent encore inaccessibles ?

Il reste heureusement une multitude de sites passionnants et préservés. Il suffit de s’écarter un peu des routes touristiques. Même si la pression liée aux activités humaines pourraît bien être la malédiction future de certains des coins les plus reculés, voir notamment les possibilités de banalisation du passage maritime du nord-ouest ou l’exploitation des ressources dans les zones polaires. A l’avenir, les amateurs d’espaces vierges auront intérêt à se convertir à la plongée ; les fonds marins sont encore pour l’essentiel à découvrir !

 Atlas de lieux maudits, d’Olivier Le Carrer, Arthaud, 136 p., 25 €.



Catherine CALVET et Fabrice DROUZY
 
http://www.liberation.fr/voyages/2013/10/25/tour-du-monde-des-lieux-maudits_942055

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