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Catégories : A lire, CE QUE J'AIME/QUI M'INTERESSE, L'érotisme

"La jouissance nous réconcilie avec l'existence"

 

 

À l'occasion de la sortie du "Dictionnaire des sexualités", dialogue réjouissant autour de l'extase entre la sociologue Janine Mossuz-Lavau et la philosophe Adèle Van Reeth

 

La sociologue Janine Mossuz-Lavau et la philosophe Adèle Van Reeth, fin mars à l’hôtel Belmont à Paris.

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D’où vient cet appétit de vie qui nous anime ? Sommes-nous tous capables d’accéder à l’ultilme degré du plaisir - sexuel, esthétique, gastronomique… ? Quel sens donner à ce moment de grâce ? La philosophe Adèle Van Reeth (1) et la sociologue Janine Mossuz-Lavau (2) nous éclairent sur notre époque en quête d’absolu.

Madame Figaro. – De quoi jouit-on aujourd’hui ?
Janine Mossuz-Lavau. – De sexe, mais aussi de tous les plaisirs à notre portée ! Depuis les années 1960, la demande de jouissance s’est fortement amplifiée, portée par une libération continue des corps, des mœurs, des esprits. En matière de sexualité, nous avons même basculé un temps dans une forme d’injonction à l’orgasme, véhiculée par les magazines et essentiellement destinée aux femmes. Il fallait avoir tant de rapports par semaine, tant de partenaires… Aujourd’hui, nous revenons à davantage de réalisme, mais ce surcroît de plaisir attendu s’est déplacé vers des jouissances esthétiques, intellectuelles ou gastronomiques. Le Dictionnaire des sexualités (éd. Robert Laffont), que je publie, explore ainsi un large spectre de plaisirs - mode, cinéma, danse, photographie… La jouissance devient une invitation plus vaste à l’expérience, à l’élan, à l’appétit de vie.
Adèle Van Reeth. – Ce qui me passionne dans le mot « jouissance », c’est sa polysémie - et votre réponse le montre bien, Janine. « Je jouis » quand j’ai un orgasme, et je jouis aussi de quelque chose, de manière transitive. Mais on jouit également du pouvoir, de la vitesse, de l’argent, de la prise de risque, d’une œuvre d’art… Ce terme est aujourd’hui synonyme de consommation effrénée, et le mot m’excite philosophiquement parlant, car il désigne une expérience évidente pour tous, mais très difficile à décrire et à conceptualiser. Universellement partagée, elle est en même temps singulière et subjective. D’où cet essai écrit avec le philosophe Jean-Luc Nancy : la jouissance est un important motif de réflexion, paradoxalement peu exploré, pour comprendre notre société.

Justement, comment définissez-vous ce terme de jouissance ?
A. V. R. – Pendant des siècles, ce terme n’a pourtant eu aucun lien avec la sexualité ! Étymologiquement, il vient du latin « gaudere », qui évoque la joie. Puis c’est devenu un terme juridique, désignant la possession entière d’un objet. En mai 1968, il s’est déplacé vers le sexe et la consommation - d’où le fameux « Jouissez sans entraves ». Aujourd’hui, tout le monde fait l’expérience du plaisir, que ce soit en buvant un verre de très bon vin, en se prélassant sur une plage ensoleillée ou en faisant l’amour. Mais le jouisseur accède à un degré supérieur de satisfaction, non pas en intensité mais en conscience. Il a du plaisir à se rendre compte qu’il a du plaisir. La jouissance, c’est l’art d’apprécier un moment de grâce. Et au fond, le « chemin vers », c’est-à-dire la montée graduée vers l’extase, compte autant, voire plus, que l’apothéose finale.

(1) Normalienne, agrégée, elle produit et anime « Les Nouveaux Chemins de la connaissance » (France Culture), l’émission la plus podcastée de Radio France (500 000 téléchargements). 
(2) Directrice de recherche au CNRS et au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po), elle est chargée de cours à Sciences Po Paris et a publié plusieurs livres sur la sexualité.

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