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Catégories : Hugo Victor

Victor Hugo, monument en exil

victor_hugo.jpgA vie et oeuvre colossales, biographie monumentale. Dans les dernières du bon millier de pages que compte le premier volume, paru en 2002 pour le bicentenaire de la naissance, son auteur, Jean-Marc Hovasse, brossait un tableau extraordinairement vivant du 2 décembre 1851 tel qu'il fut vécu par Victor Hugo.

Ce jour-là, l'ex-jeune monarchiste, chevalier de la Légion d'honneur à 23 ans, académicien à 39, pair de France (il avait failli perdre la pairie parce que surpris en flagrant délit d'adultère), député de Paris, devenu républicain et qui avait soutenu en 1848 la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence (avant de s'opposer à lui l'année suivante), en appelait au peuple et aux associations ouvrières pour résister au coup d'Etat.


AMBITION D'EXHAUSTIVITÉ


Le peuple ne bougea pas, les ouvriers non plus. Quelques jours après, Victor Hugo, avec toute sa famille (mais ses deux fils étaient en prison), prenait le chemin de l'exil, qui devait durer dix-neuf ans : il ne rentra en France qu'en 1870, pour reprendre une carrière politique, mourir en 1885 et entrer la même année au Panthéon après les funérailles les plus grandioses jamais reçues par un écrivain.

Pour un projet autobiographique, Hugo avait lui-même divisé sa vie en trois périodes, inégales : avant l'exil ; pendant l'exil ; après l'exil. Jean-Marc Hovasse, dans cette biographie à bien des égards exemplaire, a repris à son compte cette division, tout en prévoyant, à l'origine, de la répartir en deux tomes. Mais celui qui paraît à présent ne couvre finalement que les années d'exil, et encore pas toutes : de 1851 à 1864. Il lui en faudra deux autres pour conclure.

Emettons, pour ne plus y revenir, la seule réserve qu'inspire ce travail extraordinaire : sa longueur, contrepartie des qualités attendues d'un ouvrage de ce genre, l'ambition d'exhaustivité et l'art du détail. Jean-Marc Hovasse, respecte strictement la chronologie - l'ordre qui a le plus de sens dans la construction d'une existence - et ne sépare pas l'oeuvre de la vie, sans jamais tenter une interprétation. Il entremêle en une tapisserie épique le récit factuel, les citations et le compte rendu précis de la genèse, de la publication et de la réception des oeuvres successives. Sans oublier bien sûr les projets en cours, souvent abandonnés et dont les vestiges ne seront publiés qu'après la mort de l'auteur.

Fuyant le régime autoritaire instauré par le coup d'Etat, Victor Hugo se réfugie d'abord à Bruxelles, où le rejoignent les deux Adèle, sa femme et sa fille, puis ses fils libérés, et Juliette Drouet, sa maîtresse depuis dix-huit ans et qui va le rester jusqu'à sa mort à elle, en 1883, aimante, fidèle, admirative, dévouée à l'oeuvre dont elle se fait l'infatigable copiste. Il retrouve à Bruxelles des opposants divisés, dont il renonce à se faire le fédérateur. C'est par ses livres qu'il milite à hauteur d'homme contre le tyran qu'il va surnommer pour toujours Napoléon le Petit, dans un pamphlet vengeur, best-seller à travers toute l'Europe.

Il s'installe à Jersey, dépendance de la Couronne britannique, gouvernée par un bailli qui le surveille étroitement. Installé à Marine-Terrace, il abrite toute une maisonnée, famille, amis, proches, et reçoit des visiteurs, dont George Sand et Louise Colet. Avec la mer pour horizon, juché sur le "rocher des proscrits", il lance ses imprécations contre l'empereur ; après Napoléon le Petit, il produit ce chef-d'oeuvre poétique, Les Châtiments. La famille Hugo fait parler les tables : ces expériences de spiritisme, Hovasse les relate sans démêler ce qu'elles doivent à la suggestion et au surnaturel.

L'esprit de Shakespeare dicte le début d'un drame qui fait concurrence à Hugo dans une sorte de plagiat par anticipation. Et le proscrit, au bord de l'infini, écrit, écrit, écrit, encore et encore, notant avec satisfaction : "Je suis, à moi tout seul, un avenir pour un libraire." Il envoie ses manuscrits - sa "pyramide", comme il appelle cet immense chantier - à ses éditeurs, à Bruxelles, à Paris, négociant habilement ses contrats : il s'agit de faire vivre son monde, tout en concevant sa belle utopie des Etats-Unis d'Europe. L'un de ses projets a pour titre "Dieu", en toute simplicité. Ce vers le résume : "L'ombre que l'homme fait sur Dieu, voilà l'idole." Quand l'amnistie lui permettrait le retour, il refuse. Désormais son exil est volontaire, et d'autant plus accusateur.

Il écrit à Hetzel, son éditeur parisien : "J'ai une foi féroce en l'avenir et je sais incroyablement qui je suis." Pour essayer de sauver un Noir condamné à mort aux Etats-Unis, John Brown, il publie une plaquette avec une de ses gravures : un pendu.

A Guernesey, après avoir publié ses Contemplations, il se fait construire Hauteville House, écrit La Légende des siècles qui suscite l'admiration de Flaubert et de Baudelaire (tous les deux se sentent "écrasés"), et reprend un roman abandonné, Les Misères. Ce sera Les Misérables, le livre-siècle, son chef-d'oeuvre. Le récit de sa genèse est fascinant. On en retient cette phrase d'Hugo : "Il faut bien que quelqu'un prenne le parti des vaincus." Cette générosité fait à jamais sa grandeur.


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Victor Hugo Tome II. Pendant l'exil I, 1851-1864 de Jean-Marc Hovasse

Fayard, 1288 p., 45 €.

Signalons le site du groupe Hugo, à qui est dédicacé ce volume. On constate en le visitant l'énorme travail accompli collectivement par les chercheurs hugoliens, aussi bien pour l'édition que pour la documentation sur laquelle repose ce livre.


Michel Contat
Article paru dans l'édition du 19.12.08.

http://www.lemonde.fr/livres/article/2008/12/18/victor-hugo-monument-en-exil_1132529_3260.html

Commentaires

  • Cette année j 'ai suivi un cours sur Victor Hugo dont je n 'avais pas encore abordé l'oeuvre et qui m ' a permis de découvrir ce monument de la littérature française.
    Je viens de terminer la belle et volumineuse biographie de J.M Hovasse (1ere partie)
    et c'est vraiment un travail remarquable.
    Aussi le site internet que vous citez du "Monde des Livres"
    Votre blog est fort interessant.

  • Quel courage d'écrire ces livres, ces tomes, il faut bien des années, des années de recherches. Et maintenant, à nous de le lire.

  • Merci Vayhair...
    Il faut de la passion surtout Elisabeth...

  • J'ai un faible pour Hugo en ce moment, je recherche ses poésies, je reviens vers lui ; là ,je n'ai pas tout lu faute de temps,il faudrait que je m'aventure plus longtemps .. bisous

  • Difficile... voire impossible de tout lire d'une telle oeuvre...

  • Il avait un rythme de travail assez impressionnant.

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