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Catégories : Hugo Victor

Une histoire des haines d'écrivains. De Chateaubriand à Proust

une histoire des haines décrivains.jpgLes ennemis du siècle

A tout seigneur, tout honneur. Victor Hugo, l’homme-siècle, commença sa carrière sous le double signe de la poésie et du conflit amoureux. A mesure que son étoile grandissait au firmament de la littérature,il se faisait le plus irréductible des ennemis en la personne de Sainte-Beuve, le plus influent des critiques du siècle, son cadet de deux ans.
La haine réciproque qu’ils se vouaient portait un prénom: Adèle. Adèle Hugo, née Foucher.
De la brève liaison entre elle et Sainte-Beuve, on a tout dit et beaucoup supposé. Aussi n’est-il pas question de reprendre dans le détail toutes les interprétations qu’on a proposées de ces événements passés dans la légende ; mais plutôt de constater comment et à quel point la haine a été, il est vrai pour l’un – Sainte-Beuve – plus que pour l’autre l’aliment d’un processus de création étalé sur une vingtaine d'années.
Disons-le d'emblée, la relation de Sainte-Beuve avec Hugo se voile d’une étonnante ambiguité. Il y a dans cette affaire, un mimétisme très net : le mari semble exercer sur l’amant une fascination sensiblement plus forte que l’épouse, qui se voit, malgre elle, ravalée au rang de trophée.

 

Victor Hugo et Sainte-Beuve se rencontrent à la faveur de la vie littéraire ; et bien que les deux parties en donnent un récit légèrement différent, on sait que c’est en raison d’un article critique sur les Odes et ballades écrit par Sainte-Beuve dans Le Globe que se fit la première prise de contact, en 1827. Très vite l’amitié s’installe entre les deux hommes, et même l’intimité. Sainte-Beuve prend ses aises et se rend chez les Hugo, rue Notre-Dame-des-Champs, jusqu’à deux fois par jour.
Est-il subjugué par le charme d’Adèle, l’épouse de Victor depuis 1822 ? Au début, non. C’est à peine s’il la remarque, tant c’est à Victor Hugo lui-même que vont son admiration et son affection. Et ce dernier s’accommode fort bien des hommages admiratifs que lui offre un disciple plus que dévoué.
Cette harmonie, hélas, ne dure pas ; Hugo s’est engagé à fond dans la bataille romantique et vole de succès en succès, aussi bien en poésie qu’au théâtre. En 1830, son Hernani déchaîne les passions mais fait un triomphe. Quant à Sainte-Beuve, Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme et les Consolations, ses recueils de poésie, ne rencontrent pas tout à fait le succès espéré. Il en conçoit de l’amertume, se réfugie dans le travail critique, tandis qu’il voit avec dépit s’élargir le Cénacle qui gravite autour de Hugo. La jeune génération des Gautier et des Nerval, envahissante, excentrique, voue à Victor Hugo un culte qui rejette dans l’ombre les anciennes amitiés. Sainte-Beuve est jaloux. Il se sent délaissé par Hugo et le lui écrit avec les accents d’une vieille maîtresse qu’on néglige :
«En vérité, à voir ce qui arrive depuis quelque temps, votre vie à jamais en proie à tous, votre loisir perdu, les redoublements de haine et les vieilles amitiés qui s’en vont, les sots ou les fous qui les remplacent, [...] je ne puis que m’affliger, regretter le passé, vous saluer du geste et m’en aller me cacher je ne sais où...»
Mais c’est aussi qu’entre-temps le timide Sainte-Beuve, meurtri, a changé de regard sur l’épouse de son idole. Petit à petit, il se prend d’une passion languissante pour la fière et douce Adèle, qui trône, dans toute sa majestueuse beauté, comme une déesse bienfaisante au milieu de ses enfants. Adepte des passades avec les lingères et les grisettes, coutumier des amours tarifées depuis que Musset l’y a initié, mais maladroit auprès des femmes du monde, le critique découvre en elle une personne attentive à sa mélancolie. Sainte-Beuve est laid, et il le sait : « quelques rares cheveux roux, des oreilles en plat à barbe, un front sillonné dès l’aurore, des joues luisantes et colorées dans un visage légèrement orangé, un petit nez en éveil, des yeux vifs mais mal enchâssés, une bouche gourmande mais décolorée, un menton fuyant où la barbe était mal semée ; le tout sur un corps gros et court ». Mais Adèle n’a que faire des railleries que provoque sa tournure. Désemparée par la mort de sa mère, elle trouve en lui un confident plus attentif que son mari, occupé à gravir les marches de sa foudroyante carrière.

Dès 1829, dans Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, Sainte-Beuve s’épanche, de manière à peine voilée, sur les sentiments que lui inspire la belle Adèle. Celle-ci entrevoit le danger d’un rapprochement trop intime, mais il endort sa méfiance à coups de formules vagues et floues ; quelles inexprimables délices ne trouve-t-il pas à recueillir ses larmes ! Il en est convaincu, Adèle est la victime d’un « lion jaloux [...] usurpant sa place à [s]on côté ». Mais il tente encore de combattre son amour, et va même, nouvelle princesse de Clèves, jusqu’à avouer à demi-mots sa douloureuse situation à Hugo. D’abord stupéfait, Hugo, dans un accès de générosité un peu factice, car il sait très bien ce qu’il fait, veut proposer à Adèle de choisir entre eux ; Sainte-Beuve refuse, tandis que Hugo insiste pour le garder parmi ses familiers, malgré les crises qui ne vont plus cesser, à présent, d’éclater à intervalles réguliers, comme en témoignent les lettres passionnées de Sainte-Beuve au poète :
«Il y a en moi du désespoir, voyez-vous, de la rage ; des envies de vous tuer, de vous assassiner par moments en vérité ; pardonnez-moi tous ces horribles mouvements».
Chez Sainte-Beuve, cette fascination pour la femme de son meilleur ennemi est troublante. Jusqu’où l’admiration pour Hugo entre-t-elle en ligne de compte dans le jeu dangereux auquel il a choisi de s’abandonner ? Dans quelle mesure désire-t-il lui arracher un peu de ce qui lui appartient, un peu de cette gloire qui imprègne tout ce qu’il touche, et à laquelle, lui, Sainte-Beuve, malgré tous ses efforts, ne peut prétendre ?

Le « duel fourré » – l’expression est de Sainte-Beuve – peut commencer. Ils ont passé un pacte : Hugo sera présent à chaque visite de Sainte-Beuve à Adèle. Très vite, cependant, il se lasse de ce rôle ridicule de chaperon. Du reste, il est persuadé qu’Adèle ne le trompera pas. Ce qu’il ignore, c’est que dès juillet 1831, sa femme et Sainte-Beuve se voient en secret, puis deviennent amants. Entre les deux hommes, les relations courtoises se maintiennent pourtant ; c’est qu’ils restent des alliés, malgré tout, et que Victor Hugo lui même ne saurait faire abstraction de la place grandissante que Sainte-Beuve occupe sur la scène littéraire. En effet, ce dernier est en train de devenir un critique puissant et influent, dont les faveurs et surtout les articles ne sont pas à négliger.

Avec l'aimable autorisation des éditions Flammarion ©, 2009.

http://livres.lexpress.fr/premierespages.asp/idC=14611/idR=6/idG=8

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http://www.lefigaro.fr/livres/index.php

Commentaires

  • J'ai vraiment adoré Victor Hugo, Les Misérables et Les Contemplations... J'ai dévoré ! Ce livre a l'air super intéressant. Merci de nous le présenter.
    Je découvre petit à petit ton blog : très professionnel !
    Merci de ton inscription à ma newsletter. Très honorée.
    Bonne continuation.
    Rébecca

  • Merci à toi: professionnel, ça ça fait plaisir!!!!...

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