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Catégories : La presse

L'art d'écrire... à ses enfants

«Lettres à Aube» et «Lettres à un adolescent», deux recueils de lettres adressées par de grands auteurs à leurs enfants montrent que le métier de parent n'est facile pour personne.écrire.jpg

Astrid de Larminat
18/11/2009 | Mise à jour : 18:01

Les écrivains sont-ils des parents comme les autres ? Si l'on en croit les lettres qu'adressaient Racine, Théophile Gautier, Claudel, Fitzgerald, Freud et d'autres à leurs enfants, lettres que présente une jolie petite anthologie préfacée par la romancière Camille Laurens, la réponse est oui. Rassurons-nous, ces êtres éminents dont l'œuvre impressionne par la hauteur ou la profondeur de vue se montrent pour la plupart aussi attendris et anxieux, démunis, empêtrés ou même carrément maladroits que quiconque face à leur progéniture. Surtout lorsqu'elle arrive à l'adolescence, cet âge où l'enfant s'émancipe des romans que son paternel avait échafaudés autour de lui, penché sur son berceau. Pour se consoler et relativiser les déconvenues qu'infligent parfois les petits qui deviennent grands, il faut lire les lettres débordantes d'affection qu'André Breton adressait à sa fille Aube. Ces missives, publiées pour la première fois et merveilleusement éditées, sont un régal littéraire, à la hauteur de Nadja. Parfois rédigées sur du papier à en-tête du centre d'informations surréalistes, elles sont attendrissantes et drôles, tant l'écrivain s'y montre tenaillé entre son tempérament autoritaire d'une part et, de l'autre, son credo que le désir est «la seule rigueur que l'homme ait à connaître ». Aube, que le théoricien du mouvement surréaliste avait surnommée Ecusette de Noireuil dans sa première lettre, écrite lorsqu'elle était bébé, longue missive échevelée qui clôt L'Amour fou et s'achève sur la formule fameuse « Je vous souhaite d'être follement aimée» , lui donne du fil à retordre. Breton s'étrangle, épouvanté, quand il voit les fautes «très graves et du plus mauvais effet» que commet sa fille, bientôt lycéenne : «voit-tu, tu m'avait, je faisai, que tu comprenne, je savait» - c'est lui-même qui les relève avant de la sommer de ne point laisser «le cœur l'emporter sur la tête » et de travailler d'arrache-pied son orthographe.

Oubliée la beauté convulsive, foin des déambulations dans Paris en quête du hasard objectif. Breton ne rit plus : sa «chère petite fée Aube » est priée de se convaincre qu'elle ne doit se consacrer à rien d'autre qu'à « ce qui élève l'esprit et l'âme » : un peu plus de «visites attentives» de musées, un peu moins de cinéma ! Pour s'amuser, relevons aussi qu'André Breton, qui vouait la famille aux gémonies et fustigeait ceux qui lui avaient donné la vie, dans chacune de ses lettres, insiste auprès de sa fille pour qu'elle écrive à son grand-père…

Quand ils parlent à leur enfant, les auteurs ne font plus de littérature. Fini, les gamineries et les expériences extravagantes. Ils pèsent leurs mots. Plus question de donner dans la provocation, de prendre des postures, de jouer avec des rêves ou à la révolution.

À l'exception de François Mauriac, qui réconforte sa fille Claire, inquiète de ses insuccès scolaires, en l'assurant que la seule éducation qui vaille, c'est de lire de bons auteurs et d'entendre de la bonne musique, la plupart des écrivains ne cessent d'encourager leurs enfants à travailler, lire, apprendre à moins qu'ils ne les en découragent à force d'exigence. Comme nombre de pères et mères modernes, en même temps qu'ils les sermonnent, ils s'en excusent, ennuyés de se surprendre à tenir le rôle du vieux barbon, peinés aussi d'être obligés de les tirer de l'enfance, cette insouciance.

Freud peu psychologue

Théophile Gautier, au terme d'une missive à sa chère Judith dans laquelle il décline les dix commandements d'une jeune fille avisée, se reprend joliment, s'excuse de lui faire la morale, lui explique que son insistance découle de son désir de voir éclore son âme charmante. Ah, si les enfants comprenaient que les recommandations de leurs parents sont l'expression de leur trop grand amour ! Lord Chesterfield, libertin anglais, sait bien lui aussi que trop de conseils tuent le conseil. Pour mettre en garde son fils Philip contre la débauche sans avoir l'air de lui faire la leçon, il lui parle comme à un ami, lui démontre que la seule façon de goûter les plaisirs, c'est de ne pas en abuser… Avec les enfants, le tout n'est pas ce qu'on dit mais aussi la manière dont on le dit, afin qu'ils puissent l'entendre. Une affaire de style.

Quelques auteurs n'ont pas ces scrupules et ces habiletés. Ne parlons même pas de Freud, dont le manque de psychologie prête à rire. À sa fille Mathilde, triste parce qu'elle se trouve laide, il écrit que puisqu'elle est jeune elle n'a aucune raison d'être d'une humeur sombre ! Signé : «Ton père qui t'aime ». Mais la lettre la plus spectaculaire de cette anthologie est sans conteste celle de Scott Fitzgerald à la jeune Scottie. L'auteur de Gatsby le Magnifique ne cherche pas un instant à faire preuve de doigté, ni à se tempérer. Sa folie coule sur le papier, inconsciente. Il met sa fille en demeure de poursuivre l'étude de la géométrie analytique et du calcul différentiel : «Il faut que tu fasses quelque chose de difficile avant d'être entièrement justifiée à mes yeux.» Signé : «papa» !

Il y a aussi quelques écrivains, droits dans leurs bottes, qui parlent à leurs enfants comme à des hommes, leur confiant sans fard ce qu'ils pensent être la vérité sur l'existence. Il faut un certain cran pour écrire à son fils de seize ans que la vie est dure, amère, tragique, qu'elle est pourtant magnifique, « belle jusque dans ses défaites » : Mauriac l'a eu. Quant à la lettre de Claudel à son «Guigou chéri », sa fille Reine, dix-huit ans en 1928, on aurait aimé la recevoir. Elle est toute chaleur et douceur, joyeuse confiance, goût de la vie et élévation. Le seul conseil qu'il lui donne, avec un tact qu'on envie, «c'est d'apprendre à prier» : «Ce recueillement de dix minutes chaque jour, si tu en prenais l'habitude, te donnerait une fraîcheur et un contentement inexprimables.»

On peut lire ces lettres comme un miroir des désirs embroussaillés où tout parent se trouve pris un jour ou l'autre. Mais aussi comme le prolongement d'une œuvre ou son contrepoint, un échantillon de ce qui tient le plus au cœur d'un écrivain.

«Lettres à Aube», André Breton, choisies et présentées par Jean-Michel Goutier, Gallimard, 174 p, 28 €.

«Lettres à un adolescent», Anthologie proposée par Camille Laurens, Bayard, 142 p, 16,50€.

http://www.lefigaro.fr/livres/2009/11/18/03005-20091118ARTFIG00617-l-art-d-ecrire-a-ses-enfants-.php

Commentaires

  • C'est un bel article Laura . Je ne sens pas grand poète mais j'en ai l'âme et j'essaye de la transmettre à mes enfants .Je leur ai beaucoup parlé, raconté des histoires, de vraies et des moins drôles pour que d'eux-mêmes ils prennent goût à la lecture , l'écriture , l'envie de découvrir encore et çà passe si bien dans un climat de confiance ...il y aurait tant à dire sur ce texte ..bises et bonne journée

  • Merci pour ce commentaire intéressant.

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