Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Catégories : Nerval Gérard de

La chanson, idéal poétique

Par Jean-Claude Pirotte, publié le 12/07/2010 à 15:00

Oui, la chanson. C'est ce que proclamait Henri Thomas, en épigraphe à l'un de ses premiers livres de poèmes. "Marchant sur la route, écrivait-il, je me faisais une canne d'une branche ou d'un grand roseau-bambou. Je frappais le sol sec, suivant un rythme qui surgissait spontanément et s'imposait le même durant toute une promenade."

Dans sa pourtant sourcilleuse biographie de Nerval, Gérard Cogez ne consacre guère que quelques lignes à ce que l'auteur de Promenades et souvenirs aurait sans doute exprimé, au long de ses flâneries dans le Valois, dans des termes assez proches de ceux d'Henri Thomas, cent ans plus tard. Sensible autant à ce "vieux fonds de la langue rythmée et chantée" des Ballades françaises qu'à l'extrême musicalité de la poésie romantique allemande, elle-même nourrie du fonds populaire germanique, c'est en traduisant Heine notamment parmi d'autres poètes que Nerval manifeste et exploite son goût musical et sa science du contrepoint. Et il va de soi que si nous avons tous en mémoire la mystérieuse, nocturne et lumineuse partition des Chimères, nous ne sommes pas moins hantés par l'évidence musicale d'une odelette telle que celle qui commence par ce quatrain :

Où sont nos amoureuses ?

Elles sont au tombeau :

Elles sont plus heureuses

Dans un séjour plus beau !

Un poète d'aujourd'hui, qui signe de son prénom, Maximine, s'inscrit dans la longue lignée de ceux pour qui le conseil de Verlaine est loin d'être oublié. De la musique avant toute chose, en voici, avec cet hommage que rend Maximine au poète exemplaire qu'est Paul de Roux :

Par un matin de rôderie

Qu'il fait beau Juin tient ses lyres

J'ai tout Paris pour mon sourire

Et tout mon coeur pour un ami

Oserai-je frapper chez lui ?

Bonjour J'ai acheté trois robes

J'ai envie de ressembler aux

Belles madones de Lippi

Mais brune Comment va la vie ?

Ah non Pas vous Pas je suis triste

Je sais bien la douleur existe

Mais pas ce matin Pas ici

Le chant de Maximine nous paraît d'autant plus précieux que l'on y entend, comme une basse continue, le souvenir de Verlaine ou Louise Labé, de Charles Cros ou du Bellay, et de bien d'autres qui ne cessent d'illustrer l'imagerie polyphonique de nos mémoires. De ce qui, en tout cas, devrait constituer l'indéfectible fonds de notre mémoire française.

Certes, Maximine n'est pas seule. Et d'autres chansons ou refrains, dont le mode est plus âpre, mais non moins tonique, nous émeuvent. Ainsi des poèmes rageurs, exacerbés de sarcasmes, de Gérard Berréby :

la graille et le pain

ou le socialisme à portée de toutes les bourses

tu tombes dans la neige

la tache est rouge

et déjà tout est oublié

sur les rails toujours tu roules

et l'affaire est arrangée

une vie à écrire alors

tu te saoules

c'est ainsi que les hommes vivent

il n'y a plus de baisers

il n'y a plus d'histoire

Et puis que dire de l'oeuvre de Hassam Wachill, sinon que la musique l'imprègne et la transcende :

Une voix suit une ligne aux phrases qu'elle seule

doit porter, on croit qu'elle va s'éteindre parmi

les troncs grêles, qu'elle va s'en aller dans la solitude

de l'herbe avec des broussailles noires, c'est alors

qu'elle se fait plus nostalgique mais sans devenir

un simple ornement, sa mélodie toujours très pure.

Elle semble envelopper la terre dont elle est

sortie comme pour l'engloutir dans sa mélodie telle

une mère qui veut bénir l'oeuvre perdue,

charriée par les premiers torrents de printemps.

Ecoutons enfin bruire les harmoniques de Lionel Ray, sur le rythme un peu déhanché qui nous rappelle Armen Lubin :

Cette heure seule dans le crépuscule d'été :

on n'entend déjà plus qu'un bruit de clefs.

Les mots changent, sable de plus d'éclat,

sans brume ni reflet sinon la voix.

Les mots changent de base et de fenêtre,

inquiets du surcroît de silence qui les pénètre.

Poussière à jamais, est-ce un dieu qui dort

dans la mémoire étrange de l'aurore ?

Ou bien les années revenant de plus loin

ayant perdu la lumière en chemin ?

L'hiver est proche et sa douceur déborde

et la nuit tourne en moi étourdiment.

La beauté pend à cette corde

comme un corps trop usé, gémissant.

http://www.lexpress.fr/culture/livre/la-chronique-poesie-de-jean-claude-pirotte_905800.html

Les commentaires sont fermés.