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Catégories : Des poètes et poétesses

Maïakovski, dandy et communiste

Thierry Clermont
28/10/2010 | Mise à jour : 12:31 Réagir

Il y a quatre-vingts ans, le poète colosse se suicidait. Retour sur une vie intense et courte. 

 

 

Maïakovski, c'est d'abord une trogne, un physique hors gabarit. Regardez les clichés de Rodtchenko ou de Chklovski: colosse dès l'adolescence, le visage dur et les lèvres molles, un regard bien sombre qui dépasse l'horizon, une élégance outrancière. Le poète dandy, futuriste et communiste. Jusqu'à la dernière image: allongé sur son lit, une tache rouge au côté gauche, plein cœur, il semble narguer la camarde. Vladimir Maïakovski a choisi sa mort, probablement par dépit amoureux. Il avait à peine trente-sept ans. Une quinzaine d'années auparavant, il écrivait: «De plus en plus je me demande/s'il ne serait pas mieux/que je mette d'une balle un point final.» Ça n'a pas été du goût de Staline, le régime soviétique ayant un goût particulier pour la persécution ou l'élimination de ses meilleurs poètes: Essenine, Blok, Akhmatova, Tsvetaïeva… Pourtant, il deviendra, jusqu'à la dislocation de l'URSS, le poète officiel de l'empire communiste. Ce sera sa seconde mort.

Tout avait bien commencé et tôt débuté, pour ce Géorgien, né en 1893, fils d'un garde-forestier et lointain descendant de Cosaques zaporogues. Après une adolescence tumultueuse, «Volodia» rejoint le mouvement futuriste qui fait florès en Russie et, avec une poignée de recueils, dynamite la tradition poétique et forge un nouveau langage, aussi fougueux qu'expressionniste. Les titres sont évocateurs : Une gifle au goût du public, Moi ! Le Nuage en pantalon. Maxime Gorki s'enthousiasme ; les provocations de l'enfant terrible attisent la jalousie et la haine. La révolution d'Octobre couve. Entre-temps, plus séducteur que jamais, Maïakovski a rencontré Lili Brik, sœur d'Elsa Triolet qui rencontrera Aragon une dizaine d'années plus tard. Mariée à un intellectuel, Ossip, Lili aime la liberté et l'amour, et se livre à l'amour libre. Elle deviendra le grand amour de sa vie, à qui il dédiera désormais la majorité de ses poèmes, dont le magnifique chant d'amour: La Flûte de vertèbres. Un étrange ménage à trois se crée, Ossip finançant les livres de Maïakovski et partageant ses opinions politiques.

 

«Fabriquer le bonheur» 

 

Un an plus tard, la révolution éclate. Le poète se lance dans le maelström politique et démultiplie ses activités, et trouve même le temps de s'adonner à sa passion: le jeu. C'est l'occasion pour Bengt Jangfeldt, dans cette biographie extrêmement fouillée et passionnante, de nous plonger dans une Russie où audaces artistiques et dérives bolcheviques s'entremêlent. Maïakovski écrit des scénarios, réalise des affiches pour l'agence Rosta, rejoint le Front gauche de l'art (LEF), compose un poème long et tumultueux comme la Volga: 150.000.000, qui lui attire les foudres de la Prav­da; d'autres l'accusent de «communisme voyou» ; Pasternak lui tourne le dos. Sans relâche, il poursuit ses conférences et ses lectures à travers le pays. Porteur de la bonne parole révolutionnaire, on le retrouve à Berlin, à Paris, où il croise Picasso et Stravinski, et prend le temps de se fournir chez les meilleurs tailleurs et gantiers (sa phobie de la saleté et son indéfectible hypocondrie le contraignaient à toujours porter des gants en public), et de choisir quelques pyjamas chez Old England… En 1925, alors que Lili vient de le quitter, il est aux États-Unis: New York, Detroit, Philadelphie… Dans Manhattan, à quelques pâtés de Wall Street, il rencontre Elly; un enfant naît de cette passion fugitive. De retour, il poursuit ses combats artistiques et politiques tout en dénonçant les excès bureaucratiques du régime et la caste des nouveaux riches. Un an avant sa mort, il collabore avec le jeune Chostakovitch et rêve toujours d'une «usine soviétique/pour fabriquer le bonheur». Sans doute est-ce ce rêve qui va le tuer. Tatiana et la belle comédienne Veronika n'y pourront mais. Ses derniers mots, écrits ce 14 avril 1930: «Je meurs. N'en accusez personne. Et pas de cancans. Le défunt avait ça en horreur (…). Lili - aime-moi (…). Le bateau de l'amour s'est heurté contre la vie courante. Je suis quitte de la vie.»

La Vie en jeu, une biographie de Vladimir Maïakovski de Bengt Jangfeldt, traduit du suédois par Rémi Cassaigne, Albin Michel, 590 p., 25 €.

 

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