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Catégories : Des expositions

L'austère beauté de l'art des Dogons

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Par Véronique Prat
08/04/2011 | Mise à jour : 14:23

Dix siècles d'art dogon sont présentés à Paris, au musée du Quai Branly. C'est l'occasion de découvrir cette culture gardienne de la plus ancienne sagesse africaine.

Comme l'ensemble de l'art africain, l'art dogon a eu aux yeux des Occidentaux un destin singulier. Successivement objet d'étonnement, puis de mépris, réhabilité ensuite en tant que document ethnographique puis célébré au début du XXe siècle comme source d'inspiration par les artistes modernes, sculpteurs et peintres, il a enfin été recherché par des amateurs de plus en plus nombreux prêts à lutter avec les conservateurs des grands musées pour s'en approprier les pièces insignes. Plus encore que tout autre (les arts fang, baoulé, ou du Bénin), l'art dogon est longtemps resté inconnu, protégé par ses origines géographiques, le relief heurté de l'altière falaise du Bandiagara, et par le mutisme des anciens peu soucieux de voir leurs objets de culte révélés au grand jour. «Avant le milieu du XXe siècle, aucun objet significatif n'était sorti du pays dogon», confirme Hélène Leloup, commissaire de l'actuelle exposition présentée au musée du Quai Branly sur cette culture restée mystérieuse malgré plusieurs missions d'études. Louis Desplagnes en 1907 met au jour un remarquable art rupestre ; Michel Leiris participe en 1931 à la mission Dakar-Djibouti chargée de collecter des témoignages pour le compte du musée de l'Homme ; Marcel Griaule, en 1938, étudie avec une magnifique précision les masques dogons. Malgré ce travail, la connaissance de l'art dogon en Occident se fera lentement auprès du grand public.

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Ce sont dix siècles d'histoire du peuplement et de la civilisation qu'évoque l'exposition. Dès la Renaissance, les cabinets de curiosité présentent des objets venus d'Afrique. Leur caractère étrange pouvait rebuter les collectionneurs européens, de même que le caractère sacré qu'ils avaient aux yeux des populations africaines en avait rendu l'acquisition difficile. Les sculptures sur bois étaient fragiles mais la sécheresse exceptionnelle qui régnait en pays dogon a permis d'y retrouver les plus anciens spécimens de statuaire en bois conservés en Afrique (XIe, XIIe siècles). Dans les falaises de Bandiagara, de nombreuses statuettes ont ainsi été découvertes, attribuées par les Dogons eux-mêmes à leurs prédécesseurs dans ce territoire, les Tellems. Analysées au carbone 14, elles ont donné un niveau chronologique situé entre le XIIe et le XVe siècles. Or, c'est à cette époque que les traditions orales permettent de dater l'arrivée des Dogons en Afrique de l'Ouest. Ramenées en Europe, ces statues furent longtemps assimilées à des fétiches ou à des idoles. Jugées du point de vue de l'art, elles furent estimées malhabiles puisqu'on les jugeait toujours par rapport à la sculpture classique qui restait la référence inégalée. Mais la démarche du sculpteur dogon était toute différente : ses œuvres n'étaient pas exhibées, elles étaient abritées des regards et, sauf pendant les cérémonies, gardées dans l'ombre des sanctuaires. Il s'agit, pour l'artiste africain, non pas de présenter des apparences flatteuses ou séduisantes de la figure humaine, mais de créer des formes significatives, les bras souvent levés vers le ciel comme une prière pour obtenir la pluie réparatrice ou une allusion aux mythes d'origine. Le sculpteur apprend son métier auprès d'un aîné, il dispose d'un éventail de formes mais il est voué à un certain empirisme qui favorise les innovations. A côté des sculptures, les masques ont pour fonction de réaffirmer la présence des mythes dans la vie quotidienne. Ils sont exhibés à l'occasion de funérailles, de l'ouverture et de la clôture des travaux saisonniers (semailles, moissons). Le masque, comme la sculpture, a une destination sociale : il est un instrument. Il n'a jamais pour but, comme dans l'art occidental, de susciter l'émotion ou la contemplation esthétique. Si bien que sans archives qui en précisent la signification et la destination, les œuvres de l'art dogon, et de l'art africain en général, sont sans état civil.

Picasso, Braque et Matisse seront les premiers à s'intéresser à l'art africain

 

C'est justement l'absence d'une référence préalable à l'œuvre qui, dès 1906, va attirer l'attention de quelques artistes sur l'art africain: un masque, une statue existaient pour eux-mêmes, tels qu'ils avaient été conçus dans leur plénitude suffisante. C'est cette autonomie, ce refus de toute anecdote, qui séduira Matisse, Braque et Picasso. A la fin du parcours de l'exposition, une allée mène à la grande et très belle statue Djennenké qui fait partie des collections du musée du Quai Branly et qui est l'un des chefs-d'œuvre incontournables de l'art dogon. Ses lignes fortes et sensibles, les tensions des contours, la richesse des volumes devraient confirmer que la beauté d'une œuvre s'exprime avant même que son sujet n'apparaisse.

Musée du Quai Branly (galerie jardin), jusqu'au 24 juillet 2011. Le catalogue, publié aux éditions Somogy, fournit un remarquable éclairage à l'exposition.

 

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