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Catégories : Des expositions

L’ascension parisienne de Kees Van Dongen

Timothée Jouan-Ligné 22 mai 2011 à 12:43


Exposition – Retraçant le début de la carrière du peintre hollandais naturalisé français, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris offre une rétrospective inédite d’un artiste tombé en disgrâce, de ses premières années au sommet de sa gloire mondaine parisienne dans les années 1930. Un peintre génial et indépendant à découvrir.

La co-commissaire de l’exposition, Sophie Krebs, refuse le terme de « rétrospective », car cette exposition « ne montre que le meilleur ». On ne saurait la contredire : le choix de la période 1895-1931, s’étendant des débuts hollandais au summum du succès parisien, sélectionne une période où Kees Van Dongen fait preuve d’un style affirmé et d’une esthétique personnelle et raffinée, bien que l’artiste évolue et se construise au contact des recherches artistiques de ses contemporains parisiens, tels Matisse, Derain ou Picasso. L’exposition met en exergue trois qualificatifs : « fauve, anarchiste et mondain ». C’est en effet une détermination minimale mais efficace de ce peintre, qui mêle dans sa vie et dans son œuvre les paradoxes et les ambiguïtés.

Indépendance esthétique et syncrétisme technique

A ses débuts hollandais, le jeune peintre exalté se veut un « illustrateur d’inspiration anarchiste ». Il fait preuve d’un style déjà très personnel, comme son huile monumentale La Chimère pie, sorte de cheval traité de manière purement esthétique sans aucun souci des proportions. Le peintre atteint déjà remarquablement son « beau », faisant de ses fonds étranges, d’un gris irrégulier, un moyen de mise en valeur peu conventionnelle du sujet, en soulignant les formes externes d’un liseré plus foncé. Ce traitement très particulier des formes, soulignées de façon très personnelle, exprime déjà une vision déterminée de son univers esthétique.

Ses Lutteuses musculeuses aux ventres proéminents serrés dans des justaucorps roses ont déjà la touche posée de l’artiste, juxtaposant des couleurs d’un même camaïeu beige qui flirte sans choisir entre le jaune et le rose. Ce tableau majeur est aussi particulièrement fondateur dans la compréhension de l’œuvre de Van Dongen : chaque femme a un visage différent, comme si le peintre avait essayé sur une même toile tous les traitements des visages que l’on retrouvera dans toute la suite de l’exposition, y compris dans ses portraits mondains.

S’il n’y avait qu’un élément caractéristique à noter, ce sont bien les yeux des femmes de Van Dongen, modèles quasi-exclusifs du peintre : grands yeux en amande, cernés avec une force expressive intense, qui apportent douceur et impénétrabilité aux visages, élargis en conséquence pour placer ces soucoupes, qui paradoxalement à leur démesure renforcent le réalisme du regard.

L’artiste, dont la célébrité a été suscitée et entretenue par l’usage du scandale, a réalisé à foison des nus, comme ceux de sa première femme et de Fernande Olivier, compagne de Picasso. Ceux-ci, variés, exploitent la puissance de la pureté et des contrastes des couleurs, inspirés de ses amis fauves Vlaminck, Derain et Matisse. Le trait et la couleur sont confondus, et les contours des chairs, tremblotants, procurent dynamisme et mouvement. Les scènes orientales font un usage franc de monochromes rouge vif sur les visages, les chevelures se teintent de bleu tandis que des verts trônent par taches sur les peaux nues. Pour autant, Kees Van Dongen a su garder son indépendance esthétique et n’a jamais eu d’esprit de groupe, faisant de son art une géniale exception.

Une œuvre qui retrace la vie d’un homme

Durant cette courte période d’ascension, le personnage change et avec lui sa peinture. Les lieux d’abord sont frappants, passant de tableaux de bâtiments hollandais à des paysages de Montmartre, magnifiquement traité à la hollandaise avec un ciel immense sur un paysage urbain inexplicablement plat, puis à son atelier de Montparnasse. Le peintre s’inspire en effet de son environnement direct, et ne cherche pas, comme Matisse ou Vlaminck, à s’échapper dans les paysages de campagne : c’est un « fauve urbain ».

Van Dongen assume le monde dans lequel il a débarqué récemment, n’hésitant pas à faire des scènes de rue et de cabaret ses sujets picturaux. A mesure que la prospérité et la célébrité grandissent, l’artiste adapte son art aux attentes que l’on a de lui, passant d’un canon féminin corpulent à la finesse élancée des corps des années folles.

Les portraits mondains, exceptionnels malgré l’apparente banalité du sujet, closent l’exposition, et marquent le summum de sa réussite mondaine : il reçoit dans son atelier toutes les personnalités du moment, mécènes et actrices, qu’il fait en portrait. Ceux-ci ne sont pas de simples réalisations convenues, très loin de là. Au contraire de portraits flattés, les figures font preuve d’une expressivité telle que celles-ci révèlent en profondeur la personne qu’ils représentent. Les portraits en pied d’une douce et ferme Anna de Noailles, ou encore de la fatale et dure Jasmy Jacob, sa seconde épouse, irradient de leurs fortes personnalités le visiteur, et nous font entrer dans l’intimité des impressions et du regard de Kees Van Dongen.

Timothée Jouan-Ligné

Kees Van Dongen, Fauve, anarchiste et mondain, au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, jusqu’au 17 juillet 2011. Tarif jeune : 5€. Tarif normal : 10€.

Photo : Kees Van Dongen en 1938. Polygoon Hollands Nieuws via Wikimedia Commons, licence CC

http://www.lecourant.info/2011/05/22/kees-van-dongen/

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