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Simon Hantaï peint contre la peinture

LE MONDE | 30.05.2013 à 10h35 • Mis à jour le 30.05.2013 à 12h07

Philippe Dagen

 "Peinture", 1959, collection particulière, huile sur toile(détail).

"Peinture", 1959, collection particulière, huile sur toile(détail). | Johansen Krause/ADAGP

Simon Hantaï (1922-2008) fut une figure presque mythique dans l'art français des années 1960 au début des années 1980. Son influence s'exerçait alors sur les groupes Supports-Surfaces et BMPT (Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier et Niele Toroni), qui voyaient en lui l'un de ceux qui accomplissaient de la façon la plus radicale la critique de l'activité picturale, réduite à sa plus élémentaire matérialité. Sa décision de ne plus exposer, effective à partir de 1982, donnait à croire qu'il renonçait à toute création, ce qui n'était pas tout à fait exact. Ce retrait paraissait exemplaire, poussé jusqu'au refus d'une exposition au Centre Pompidou en 1986.

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Elle y a lieu aujourd'hui, cinq ans après sa mort – et elle laisse perplexe. Non qu'elle ne soit exhaustive : plus de 130 oeuvres, ce qui est considérable et même peut-être excessif. Non qu'elle ne soit didactique : elle suit méthodiquement l'ordre chronologique. Ainsi raconte-t-elle la trajectoire d'Hantaï, né en Hongrie dans une famille d'ascendance allemande. En 1941, il s'inscrit aux Beaux-Arts de Budapest. En 1948, il quitte son pays natal, passe par l'Italie et vient à Paris, où il s'établit à l'automne.

L'accrochage commence alors, avec une toile marquée par le quattrocento qui ne prépare pas ce qui suit, la période surréaliste. De plus en plus proche du groupe qui s'est reformé après le retour d'André Breton de son exil new-yorkais, Hantaï est admis à présenter ses oeuvres à la galerie de L'Etoile scellée, celle de Breton, qui écrit la préface : " C'est Simon Hantaï, à qui font cortège les êtres fabuleux que son souffle a doués de vie et qui se déplacent comme nuls autres, en ces premiers jours de 1953, dans la lumière du jamais vu."

Raclages et éclaboussures

Du jamais-vu, on en doute, car ces compositions de signes organiques, souvent spiralés, et de structures anatomiques et mécaniques à la fois, ont des précédents : Ernst, Matta, Brauner et Duchamp lui-même, auquel Hantaï se réfère explicitement. Ce qui lui est propre à ce moment, ce serait plutôt sa remarquable aisance, la fluidité des gestes qui tracent dans la couleur des entrelacs complexes et harmonisent des tons clairs, des nuances nombreuses de bleu, de vert, de violet et de rose.

L'imagerie érotique et morbide – crânes d'animaux, morceaux de squelettes, sexes gonflés, graphismes spermatiques – ne dure que le temps pour Hantaï de comprendre qu'elle est une imagerie justement, déjà usée. Si inscription d'un inconscient sur la toile il peut y avoir, conclut-il bientôt, ce ne peut être qu'en se débarrassant des représentations et des symboles et en laissant libre cours au corps, à ses mouvements, à une chorégraphie projetée aux dimensions de la toile. Il parvient ainsi vers 1955 au point qu'a atteint Jackson Pollock un peu moins d'une décennie auparavant : le point où commencent les drippings dynamiques du New-Yorkais.

Hantaï emploie d'autres procédés, dont le raclage dans la matière encore fraîche qui trace des lignes et projette des éclaboussures. La très vaste toile Sexe-Prime de 1956 en est le chef-d'oeuvre spectaculaire. Les interlocuteurs d'Hantaï à Paris sont alors Jean Degottex – qu'il n'est pas loin de plagier quelquefois – et Georges Mathieu, avec lequel il organise, en mars 1957, Les Cérémonies commémoratives de la deuxième condamnation de Siger de Brabant, qui lui valent d'être excommunié du surréalisme.

On a employé le mot chef-d'oeuvre. Il se vérifie avec, en 1958-1859, L'Ecriture rose et A Gallia Placida. L'une est faite de textes religieux recopiés avec des encres de divers tons qui, avec le temps, ont produit une harmonie rose. L'autre est une moire picturale faite d'une infinité de petits traits, comme les mosaïques byzantines l'étaient d'une multitude de taisselles. L'effet visuel est extrêmement séduisant, si séduisant que l'on ne perçoit que lui et que, dès ce moment du parcours, il apparaît comme une évidence qu'Hantaï cherche le chef-d'oeuvre, éprouvant au plus haut point le désir de l'harmonie et de la contemplation. Cette conception de l'art comme embellissement de la vie paraît assez désaccordée à l'état du monde, en 1959 comme avant et comme après.

Exercices chromatiques

Cette année-là, Hantaï expérimente le pliage de la toile, froissée, nouée, plongée dans des bains de couleur, puis séchée et retendue sur châssis. De ces Mariales du début des années 1960 aux Tabulas des années 1980, il tire de ces procédés des ressources chromatiques variées, travaillant par séries dont chacune révèle les propriétés d'une technique ou d'une autre, noeuds régulièrement ou irrégulièrement espacés, unique bain monochrome ou plusieurs plongées dans des nuances qui, évidemment, s'harmonisent. De ces manipulations maîtrisées, où le hasard est plus que contrôlé, naissent des abstractions chatoyantes, fleurs jaunes ou pourpres, découpages qui font songer à des vitraux et aux gouaches découpées de Matisse – l'une des références majeures d'Hantaï. Tout cela est d'un goût exquis.

L'ensemble, par ailleurs, s'accompagne d'un discours que le peintre favorise et que ses commentateurs font proliférer, un discours inspiré de Maurice Blanchot sur la destruction, l'effacement, le vertige du blanc et de l'absence. Il a duré jusqu'à récemment, si même il ne dure pas encore. Il a présenté Hantaï en ascète irréductible, une sorte d'Emile Cioran de la peinture. Or ce n'est pas ce que l'on voit dans les salles : nullement une mise en pièces de la peinture, encore moins sa mise à mort, mais des suites d'exercices chromatiques brillamment virtuoses, très élégantes. Critique radicale de l'activité picturale ? Son apologie voluptueuse en vérité, éloge de la peinture pour elle-même, seule, sacrée, hors du monde.

Simon Hantaï, Centre Georges-Pompidou, 19, rue Beaubourg, Paris 4e. Du mercredi au lundi de 11 heures à 21 heures. Entrée : de 11 euros à 13 euros. Centrepompidou.fr. Jusqu'au 9 septembre.

Culture

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31/05/2013 21:25

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