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J'ai fini hier:L'Empereur Auguste au Grand- Palais, portrait d'un génie politique

 

FIGAROVOX/HISTOIRE - Le Figaro Hors Série consacre un magnifique numéro à l'Empereur Auguste à l'occasion de l'exposition du Grand Palais. Figarovox publie l'éditorial de Michel De Jaeghere.

Michel De Jaeghere est journaliste et écrivain. Il est le directeur du Figaro Hors-Série et du Figaro Histoire


Les esprits étroits y verront un exercice de basse propagande. L'inscription dans la pierre d'une inaltérable volonté de puissance. Le délire narcissique d'un souverain jamais lassé de faire reproduire, partout, son image. La tentative dérisoire de doter un intrigant, parvenu au faîte du pouvoir au terme d'une impitoyable guerre civile, de la sérénité et de l'éternelle jeunesse d'un dieu de l'Olympe. Le deux millième anniversaire de la naissance d'Octave avait été célébré par Mussolini, en 1937, par une exposition triomphale, qui avait vanté les bienfaits de la conquête et de la romanisation du monde méditerranéen. Commémorant, en 2014, le bimillénaire de la mort d'Auguste, la double exposition organisée successivement à Rome et au Grand-Palais à Paris a fait le choix inverse: celui de se concentrer sur les visages du pouvoir en associant quelques-uns des plus beaux portraits de l'empereur aux témoignages de l'efflorescence artistique suscitée par l'avènement du principat augustéen.

C'était aller au plus juste et au plus profond. Révéler, par la mise en scène des splendeurs qu'elle a inspirées

dans les arts, la sculpture, l'orfèvrerie, les arts décoratifs, l'architecture monumentale, l'essence de l'idéologie augustéenne. Mettre en lumière ce qui a fondé, en définitive, la solidité d'un régime improvisé par un bricolage approximatif des institutions, le cumul hasardeux des magistratures et des commandements. Témoigner de ce qui fut, d'abord, une révolution culturelle: l'ancrage du nouveau règne dans la conviction qu'en rétablissant la concorde civile, aussi bien qu'en consolidant la paix aux frontières, Auguste avait fait advenir sur terre l'âge d'or qu'avaient chanté les poètes, ouvert une nouvelle ère pour le genre humain.

Les stoïciens expliquaient le déroulement de l'histoire par l'incessante activité d'un souffle divin, énergie créatrice dont la dilatation engendrait l'univers par sa condensation en air et en eau ; feu vital qui finirait par absorber les autres éléments pour ressusciter l'intégrité de sa puissance ordonnatrice au terme d'une immense conflagration, avant de reformer un nouveau monde. Les néopythagoriciens en tenaient, comme Platon, pour un renouvellement plus paisible du cosmos. Ils le considéraient comme une conséquence d'une loi astronomique: celle qui voulait que le mouvement immuable des planètes les conduise, au terme d'une «grande année» dont les astronomes et les mages chaldéens étaient parvenus à calculer la durée, à se retrouver à leur place initiale, ramenant la nature à sa forme originelle, et l'histoire, à l'âge d'or qu'avait décrit Hésiode. Deux traits le résumaient: la Paix et le retour de la Justice parmi les hommes.

Des armées rivales s'étaient disputé l'Empire, les Romains s'étaient entre-tués sur les champs de bataille, les proscriptions avaient levé le frère contre le frère, le fils contre le père.

Le déclenchement des guerres civiles avait, à l'agonie de la République, rendu inaccessible l'accomplissement de ces prophéties rassurantes. Des armées rivales s'étaient disputé l'Empire, les Romains s'étaient entre-tués sur les champs de bataille, les proscriptions avaient levé le frère contre le frère, le fils contre le père.

Jusque dans la période tragique que traversait la Ville, un oracle avait pourtant nourri l'espérance des plus pieux des Romains: celui que contenaient les livres sibyllins. Revisitant dans une perspective toute pythagoricienne la succession des temps, ces textes recueillis dans les cités grecques d'Italie du Sud et de Sicile, conservés au secret dans le temple de Jupiter capitolin, divisaient l'histoire en «siècles». Le premier avait été celui de Saturne et de l'âge d'or ; le dernier serait celui d'Apollon: siècle de fer au terme duquel s'achèverait l'un des grands cycles de l'histoire, reviendraient les premiers commencements.

C'est à cette renaissance que Virgile consacra en 40 av. J.-C. sa quatrième Eglogue. Au lendemain de la conclusion de la paix de Brindes entre Octave et Antoine en octobre, le poète proclama au cœur d'une ode consacrée à la naissance du fils de son ami Pollion sa certitude que les malheurs présents - l'abîme creusé par l'assassinat de César, la reprise des guerres civiles, les proscriptions sanglantes - n'étaient que les prémices du grand renouvellement du monde. «Nous voici arrivés, écrit-il, au dernier âge prédit par la sibylle de Cumes. La longue chaîne des siècles recommence. Déjà, revient la Vierge, et revient le règne de Saturne ; déjà, une nouvelle race d'hommes descend du haut des cieux. Daigne seulement, chaste Lucine, protéger l'enfant dont la naissance va marquer le terme de l'âge de fer et le retour des vertus de l'âge d'or ; déjà règne ton frère Apollon.»

Les dieux, les oracles, les chefs-d'œuvre des arts et des lettres, les sénateurs eux-mêmes formaient comme une couronne d'or autour du nouveau maître.

La fin des guerres civiles avait donné à la prophétie de la sibylle une consécration éclatante. Rome avait vaincu ses propres démons. Hésiode avait décidément eu tort de conjuguer l'âge d'or à l'imparfait. Les contemporains du triomphe d'Octave crurent assister à son avènement.

Auguste fit son protecteur personnel d'Apollon Pythien. Enterrant sous huit mètres de remblai la maison qu'il s'était fait construire, simple particulier, près de la cabane de Romulus, sur le mont Palatin, il fit édifier en surplomb un palais dont le cœur était occupé par un temple dédié au dieu des prophéties et rempli des chefs-d'œuvre de la statuaire grecque. Il y fit déposer les livres sibyllins. Consacré en 28 av. J.-C., l'année même où le sénat avait octroyé à Octave le titre de princeps, il était précédé de deux terrasses, avec une réplique de l'autel de la fondation de Rome, et flanqué de trois bâtiments: une bibliothèque grecque et latine dans laquelle se tiendraient désormais les séances du sénat, une maison publique et sa propre demeure. Les dieux, les oracles, les chefs-d'œuvre des arts et des lettres, les sénateurs eux-mêmes formaient comme une couronne d'or autour du nouveau maître.

C'est cet environnement, ce contexte, que l'exposition du Grand-Palais ressuscite aujourd'hui pour notre

Le refondateur avait ressuscité la Ville moribonde. Il se portait garant de l'immortalité de l'Etat romain.

émerveillement. Elle fait plus en nous présentant, peut-être, le secret de la confiance que les contemporains d'Auguste éprouvèrent à l'égard de son œuvre de refondation. Depuis Sylla, circulait en effet une autre prophétie de la sibylle de Cumes. Elle annonçait que Rome aurait un roi, qui mettrait fin à la puissance des Parthes et ferait régner une paix universelle. Auguste ne doutait pas d'être le souverain annoncé par la prophétesse. Sur la cuirasse d'apparat que porte la statue trouvée à Prima Porta qui le représente en imperator, s'adressant à ses troupes, chef-d'œuvre de la sculpture romaine dont le voyage à Paris est à soi seul un événement, la scène centrale n'est pas consacrée à une bataille, mais au triomphe diplomatique qui lui avait permis, en 20 av. J.-C., de récupérer auprès des Parthes les enseignes perdues par Crassus lors de la défaite de Carrhes. Son iconographie souligne la dimension cosmique de l'événement qui avait effacé l'humiliation des armes romaines: à la personnification du ciel, entouré de la Lune et du Soleil, répond celle de la Terre pourvue d'une corne d'abondance, encadrée par Diane et Apollon.

Diffusée à la mort de Virgile l'année suivante, L'Enéide ne se contentera pas de rattacher la fondation de Rome à l'incendie de Troie, et la maison d'Auguste à la race des rois d'Ilion. Elle proclamera l'éternité promise à la domination romaine. Répondant à Vénus, qui se lamentait des traverses que rencontrait son fils à la tête des Troyens fugitifs, le père des dieux le déclare au premier livre du poème: «Romulus, gorgé de lait à l'ombre fauve de sa nourrice la louve, continuera la race d'Enée, fondera la ville de Mars, et nommera les Romains de son nom. Je n'assigne de borne ni à leur puissance ni à leur durée: je leur ai donné un empire sans fin.»

Le refondateur avait ressuscité la Ville moribonde. Il se portait garant de l'immortalité de l'Etat romain. L'illusion se révélerait féconde: elle durerait près de cinq cents ans.

Le Figaro Hors- Série- 114 pages- 8, 90 euros. En vente actuellement.

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