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Henri Le Sidaner, retour du refoulé

 

«Intérieur à la nappe rouge», Versailles, 1932.«Intérieur à la nappe rouge», Versailles, 1932. (Photo musée de la Chartreuse, Douai.)

ARTS

Dans le Nord-Pas-de-Calais, quatre villes exposent 200 œuvres de ce peintre un peu oublié.

Tiens, revoilà Le Sidaner ! L’œuvre de ce peintre méconnu, qui évolua entre symbolisme et sage postimpressionnisme, est célébrée dans quatre musées du nord de la France. Drôle de chose que le retour d’un artiste un peu oublié. Cherche-t-on à faire remonter sa cote ? L’œil actuel a-t-il redécouvert quelque aspérité dans ses toiles ? Ni l’un ni l’autre. La cote d’Henri Le Sidaner (1862-1939) se porte bien, les bons tableaux s’échangeant parfois pour plus de 100 000 euros. Et l’œuvre n’a pas de double fond : elle est «légère et silencieuse», son auteur est amateur de la «belle ordonnance des choses nocturnes et des arbres qui pleurent dans l’ombre» - bref, Le Sidaner reste un intemporel «peintre de l’intimité la plus discrète», selon les appréciations de ses contemporains.

Découvertes. Le Sidaner eut une longue heure de gloire, du début du XXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Ses tableaux se vendaient bien, jusqu’aux Etats-Unis, où privés et institutions posséderaient aujourd’hui 500 de ses œuvres (sur un total de 1 500 environ). Mais l’homme ne fut ni un génie précoce ni un révolutionnaire : il a pioché dans les avant-gardes ce qui pouvait servir son goût de la métaphore tranquille. Après une belle carrière, son nom disparut après-guerre des dictionnaires de peinture : il n’avait ouvert aucune voie nouvelle et son œuvre très variée n’avait pas le genre de personnalité que l’on repère du premier coup d’œil.

 
 

Cependant, les Anglo-Saxons sont restés friands de cette peinture accessible, dans laquelle ils perçoivent des échos de l’impressionnisme, mais pour beaucoup moins cher ! C’est donc par l’étranger que Le Sidaner nous revient. En 2011 et 2012, quatre musées japonais ont fait tourner une collection de 70 œuvres. L’an dernier, c’est en Hollande, au musée Singer Laren, au sud d’Amsterdam, que s’est poursuivie cette réexposition, sous l’œil expert de Yann Farinaux-Le Sidaner. L’arrière-petit-fils du peintre s’est en effet pris de passion pour le travail de son aïeul, établissant le premier catalogue raisonné et devenant un militant discret. Il vient de détailler l’ensemble de ses découvertes dans un joli livre (1). A l’issue de l’exposition néerlandaise, Yann Farinaux-Le Sidaner a tâté le terrain dans le nord de la France, puisque son arrière-grand-père a passé une partie de sa jeunesse à Dunkerque puis a fait ses classes d’artiste dans le petit port d’Etaples.

C’est ainsi qu’est né le projet d’une rétrospective de 200 œuvres, éclatée entre les musées du Touquet (les amitiés artistiques), d’Etaples (les voyages d’étude), de Cambrai (les œuvres de la maturité) et de Dunkerque (les années d’apprentissage). Le tout sous la houlette du conseil général du Pas-de-Calais, qui projette de construire à Etaples un musée des peintres de la Côte d’Opale, lequel pourrait ouvrir dans deux ans. Dominique Dupilet, le président du conseil général, ne cache pas que l’idée lui est venue après avoir constaté qu’aux Etats-Unis les peintres de l’école d’Etaples étaient très appréciés.

Yann Farinaux-Le Sidaner ne cherche pas à faire de son aïeul un génie méconnu. «Son travail n’a pas le caractère novateur d’autres œuvres contemporaines ni ne témoigne avec acuité de la réalité de son époque», reconnaît-il. Mais ce travail a d’autres qualités, selon lui : «Une toile de Le Sidaner, avec le bel équilibre de ses harmonies, ressort extraordinairement à côté d’autres peintres de son temps, continue l’expert familial. Ce qui l’éloigne de la modernité, c’est son respect du dessin et son jeu sur les oppositions de valeur.»

Jardins. On trouvera sur Internet tout ce qu’il faut savoir de la vie du peintre et de son amitié avec Henri Martin et Ernest Laurent, entre autres, de ses voyages à Bruges et à Venise, de sa villégiature à Gerberoy (Oise) où l’on peut visiter ses ravissants jardins, de sa fin de vie à Versailles. Certains critiques et confrères du siècle dernier ont eu la dent acérée, reprochant en particulier à Le Sidaner sa «récupération» des techniques du divisionnisme. Mais c’est sans doute chez Proust - le nom du peintre apparaît plusieurs fois dans la Recherche - qu’est donné le point de vue le plus synthétique : «Mme de Cambremer […] égala Monet à Le Sidaner. On ne peut pas dire qu’elle fût bête ; elle débordait d’une intelligence que je sentais m’être entièrement inutile.»

(1) «Henri Le Sidaner : paysages intimes», de Yann Farinaux-Le Sidaner, éditions Monelle Hayot, 304 pp., 49 €.

Edouard LAUNET Envoyé spécial dans le Nord-Pas-de-Calais

Henri Le Sidaner en Nord-Pas- de-Calais «Dans l’intimité», musée des beaux-arts de Cambrai (59), jusqu’au 8 juin. «Voyages d’étude», Maison du port d’Etaples (62), jusqu’au 22 juin. «Ses amitiés artistiques», musée du Touquet (62), jusqu’au 28 septembre. «Œuvres de jeunesse», musée des beaux-arts, Dunkerque (59), du 17 mai au 28 septembre.

http://next.liberation.fr/arts/2014/04/09/henri-le-sidaner-retour-du-refoule_994435

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