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Les garriguettes sont cuites

 

Jacky DURAND 9 avril 2014 à 21:06 (Mis à jour : 10 avril 2014 à 10:32)

   (Photo Qconnan. Flickr)

TU MITONNES !

Chaque jeudi, passage en cuisine et réveil des papilles. Aujourd’hui, biture et soupe glacée de fraise au yaourt.

Fieu, quelle musette on s’est prise cette nuit, tu parles d’une bitumée (1). On est resté accroché au zinc de 10 heures du soir à perpète à appuyer sur les pédales en refaisant le monde à coups de gorgeons. Je vous dis pas le paquet de chandelles qu’on s’est enquillé entre aminches. Et que je te remets une petite giclée pour la route, que je sirote un pétrolier, que je graisse le fusil, que je siphonne des jus de fenouil, des malaga de boueux, des riquiquis, des chasse-bière, des mariées, des maries-salopes, des cafés soviétiques jusqu’à point d’heure.

Par Gambrinus, patron des buveurs de bière, ça fait au moins un siècle à l’échelle de la porte Montmartre qu’on ne s’était pas lâché ainsi sur le formica. Même le discours de politique générale de Valls, à côté, c’est une brève de comptoir. Alors que notre muflée, c’est de la première classe, du cinq étoiles avec robinet en or massif. Même le clébard derrière le bar, il n’en est pas revenu de nous voir ainsi artiller les munitions de son taulier.

 
 

Mazout. Pourtant, hein, on n’était pas parti pour passer toute la nuit sur la corde à linge. Mais vous savez ce que c’est. Après avoir comaté sur Dallas, on décrète qu’il nous faut un paquet de tiges pour en griller une paire avant de ronfler. La patronne, qui s’y connaît dans nos petites fugues, nous toise comme si on allait vendre la poule noire au diable. On a beau jurer nos grands dieux qu’on n’ira pas plus loin que Stalingrad, elle redoute toujours que l’on s’embarque pour Vladivostok via la gare du Nord.

On en connaît ainsi qu’étaient partis acheter un bouillon Kub chez l’Arabe du coin et qui sont revenus, un quinquennat plus tard, avec une tribu de Mohicans en bandoulière. Question jetlag, ça doit décarocher dans les chaumières pareille zone dans la taïga. Mais là, on fait le serment de ne pas tomber dans le mazout vu qu’on est au bouillon de canard depuis un mois. On fayote en promettant de ramener une barquette de fraises de chez Amar, notre épicier insomniaque.

Et, muni de nos gariguettes, nous voilà consciencieux comme un pousse-cailloux, broutant le pavé jusqu’à la carotte rouge du bar-tabac qui luit dans la nuit. A cette heure, on pensait tomber sur le désert des Tartares avec juste une poignée de zombies-du-bar sous l’œil du zingueur qui monte la garde. Et puis voilà t’y pas qu’on tombe sur les Pieds nickelés en planque. Ils portent beau les arsouilles : ils ont déjà une pléiade d’arrosoirs au compteur ; Croquignol fait dans l’antigrippe, Ribouldingue a les pieds ronds et Filochard tape dans les boîtes. Tout ce beau linge nous entreprend pour qu’on étrangle une quille. On a beau leur répéter qu’on est en plein désherbage, qu’on ne veut plus avoir la dalle en pente, les becs salés protestent comme des artilleurs quand on veut commander «un soda d’apothicaire».«C’est pas une pharmacie», qu’ils s’insurgent, alors que la palpeuse derrière sa caisse enregistreuse rit jaune.

Nous voici en train de récidiver avec le pousse-au-crime. Adieu l’Indien (Orangina-Grenadine), la Japonaise (lait-grenadine), voici revenu le temps du jus de sarment et de la godaille. Le temps d’écraser un grain et les wagonnets sont à nouveau remplis, on n’a plus le loisir de rouler sur le gravier tellement il y a toujours un caporal pour nous humecter tandis qu’on jacasse comme des pies. A cette heure-là, on a tous le tiercé dans l’ordre, le quatorzième mois, le grand collier de la Légion d’honneur tellement on est grisés par le rouquin. On cause tout à la fois ourdou, chinois, finno-ougrien, bressan, auvergnat. Filochard est incollable sur le cours du suif à la Bourse de Chicago ; Croquignol est vautré sur l’antique juke-box où il fait hurler en boucle le Minimum d’Higelin en braillant «Juste quand tu démarres, le minimum, juste ce que tu sais faire avant de mettre à pleine gomme» ; Ribouldingue est parti lancequiner depuis une plombe dans l’isoloir. C’est pas qu’on bouture, mais faudrait s’arracher avant le son du clairon. Alors on s’offre une dernière consolante avant le rideau de fer.

Hiboux. Dehors, ça tangue sévère derrière nos lunettes en peau de sauciflard, on a mis nos pompes à bascule. Faudrait pas que l’on croise les hiboux dans leur carrosse sérigraphié, seraient capable de nous envoyer au dessaouloir. Filochard et Croquignol battent des ailes pour rejoindre leurs tipis dans l’obscurité. Ribouldingue, qui a attrapé une méchante laryngite de comptoir, nous entreprend sur la mort du crédit dans les abreuvoirs parisiens, rapport à ses poches percées, ça sent la demande de gîte et de couvert. «Et mes fraises, elles sont où ?» qu’on braille soudain. «Ben, on les a mangées au bistrot, qu’il dit notre équipier. Même qu’on a fait des fraises au vin.» Ribouldingue se marre comme un bossu : «Elles sont là tes fraises, qu’il fait en nous tendant la barquette. C’est si important ?»«Non qu’on grogne, c’était juste une promesse avant l’embuscade des Pieds nickelés et le clic-clac que l’on va devoir partager.»

On est allé chercher une recette de soupe glacée de fraises dans Carnet de cuisine pour ma fille (2) , de Caroline Wietzel et Laurence du Tilly. Il faut 500 g de fraises ; 1 yaourt bulgare ; 1 cuillère à soupe de miel d’acacia ; 2 cuillères à soupe de sucre glace et 1 citron. Rincez et équeutez les fraises. Coupez-les en deux et mettez-les dans le bol de votre mixeur. Versez le yaourt et mixez jusqu’à l’obtention d’un mélange lisse et homogène. Ajoutez le miel, le sucre glace et un peu de jus de citron, à votre convenance, et mixez à nouveau. Versez dans des coupelles et placez au réfrigérateur durant une heure. Dégustez cette soupe bien fraîche avec des madeleines et une boule de glace au yaourt.

(1) Special thanks to Stéphane Pajot, auteur de «Parlez-vous bistrot ?», éd. d’Oberstier, 2007, 132 pp., 9,50 €, et «le Parler des métiers» de Pierre Perret, éd. Robert Laffont, 2002, 1 184 pp., 55,80 €.

(2) «Carnet de cuisine pour ma fille», de Caroline Wietzel et Laurence du Tilly, éd. de la Martinière, 2012, 224 pp., 20 €.

 

Jacky DURAND

http://next.liberation.fr/food/2014/04/09/les-garriguettes-sont-cuites_994523

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