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Catégories : CE QUE J'AIME. DES PAYSAGES, Metz,Moselle,57,Grand Est, Venise

VENISE

A Venise, on danse partout

Muriel Steinmetz
Lundi, 6 Juillet, 2015

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La chorégraphe belge Anne Teresa de Keersmaeker et le Français Boris Charmatz, en duo sur la scène de la Cour d'honneur du Palais des papes sur la «Partita N³2 de Bach en 2013.
DR

Dans l’intervalle de la biennale qui n’a pas lieu cette année, Virgilio Sieni qui dirige la manifestation a tenu à remette un Lion d’Or à Anne Teresa de Keersmaeker et invité Boris Charmatz, entre autres.
Venise, envoyée spéciale. Venise arbore ses façades écaillées de lumière.  Le Lido rivalise avec Saint-Tropez. La vieille  Cité lacustre que Proust voyait comme le « haut lieu de la beauté  » se débat avec des hordes de touristes. L’eau noire des canaux  battue en neige  par les hélices des paquebots  monstres ronge la base des  palais. Les vestibules sont inondés. Les escaliers couvets d’algues vertes et glissantes. En cette année creuse pour la biennale de la danse, des événements dévolus à cet art ont toutefois eu lieu récemment dans la Sérénissime. Virgilio Sieni qui préside à la manifestation a remis un Lion d’Or à la chorégraphe belge Anne Teresa de Keersmaeker.
 
Au Théâtre Alle Tese de l’Arsenale, elle a dansé « Fase. Four mouvements to the Music of Steve Reich » ( 1982),  une suite de prouesses physiques répétitives. Reich qui a regardé l’oeuvre en son temps a dit: “Jamais  je n’avais vu une telle révélation chorégraphique à partir de mon travail ».  Dans le premier mouvement intitulé «  Piano Phase »,  Anne Teresa de Keersmaeker et Tale Dolven, vêtues de robe gris perle, chaussures et socquettes blanches aux pieds, évoluent d’abord sur une ligne latérale en gestes simples, toujours les mêmes. Dans « Come out », en pantalons gris avec poches sexy, chemise beige et bottines noires, elles sont assises sur des tabourets. Depuis cet axe fixe, elles effectuent des gestes répétitifs des bras et du buste tandis que leurs jambes sont au chômage.
 
La chorégraphe au gouvernail compte à voix haute les changements de registres. On dirait des ouvrières prises dans les rouages d’un mouvement perpétuel.  Dans «  Violin Phase », Keersmaeker est seule (robe grise, socquettes de collégienne) à se mouvoir autour et dans un cercle de lumière, balançant parfois la jambe, montrant sa culotte comme une petite fille. Avec « Clapping Music » enfin, les deux interprètes s’avancent de profil en demi pointes, légers rebonds et claquements de mains. C’est à la fois minimaliste, bondissant, hyper structuré et sensuel.
 Dans ce même théâtre, on a pu assister à « Roman photo », courte pièce de Boris Charmatz  (à la tête du Musée de la danse/ Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne) et Olivia Grandville, dansée par des interprètes amateurs italiens choisis sur place via une vidéo envoyé au chorégraphe. Ils n’ont eu que 70 heures pour répéter ! Les gestes complexes sont précis, pas plus d’une minute chacun. La pièce se donne sous la forme d’un regard en coin jeté sur l’œuvre de Merce Cunningham. Tandis qu’Olivia Granville au pupitre tourne lentement les pages d’un livre de David Vaughan (« Merce Cunningham, un demi siècle de danse »), les interprètes reproduisent les figures photographiées dans l’ouvrage. Tout est performé du début à la fin.
Ils portent les fameux justaucorps qui constituent l’une des marques de fabrique du maître de la post-moderne danse américaine, un brun plus colorés. Ce mini-event constitue une vraie prouesse et l’on salue à plein le résultat.
Par ailleurs, Virgilio Sieni, très attaché à ce que la danse soit partout chez elle à Venise, multiplie les rencontres où le mouvement s’épanouit en plein air ou dans la stricte rigidité des demeures historiques. Il a ainsi donné l’occasion à des amateurs d’interpréter in situ des œuvres de chorégraphes choisis par eux. La durée des pièces n’excède jamais vingt minutes.
On a ainsi vu notamment « Nous serons tous des étrangers » du  franco-tunisien Radhouane El Meddeb,  dansé par six interprètes sur le « Campo san Trovaso », petite place devant une église près de laquelle un canal passe sous un pont de marbre. Les danseurs qui miment la révolte, sont observés par le public volontaire ou involontaire qui passe et s’arrête : boutiquiers, artisans, employés de commerce. Sur le Campo Sant’Angelo, vaste place d’où l’on voit sur les balcons sécher des draps blancs, et où chacun remarque une cage d’oiseau suspendue entre deux pots de fleurs, sept danseurs donnent « Dirty hands and beauty », conçue par le Catalan Cesc Gelabert. Ce sont des mimes prodigieux. Les doigts au bout des mains complotent. Le visage de chacun est une comédie et une tragédie. Pièce forte qui joue le désir. Ils plongent leurs bras dans de l’argile liquide et leurs gesticulations se figent et durcissent à vue d’oeil devant un public médusé.  On apprécie la volonté de Virgilio Sieni d’ainsi vouloir essaimer dans la ville des créations de qualité contrastée offertes à tous.
 

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