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Abstraction et art sacré: le voyage à Nevers

Jeannine Hayat Headshot

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Critique littéraire

Publication: 11/08/2015 07h04 CEST Mis à jour: 11/08/2015 07h04 CEST

 

                         

            

 

CULTURE - L'exposition actuellement consacrée au vitrail contemporain par La cité de l'architecture et du patrimoine est pour beaucoup de visiteurs une découverte et un éblouissement. En presque cinquante ans, c'est la première manifestation culturelle parisienne dédiée à un art en plein renouvellement depuis la Seconde Guerre mondiale.

Pourtant, magnifiée par la lumière, une œuvre sur verre est dotée d'un rayonnement exceptionnel, à bien des égards plus intense qu'une toile. Et depuis 1945, bénéficiant de la commande publique, les bâtiments religieux se sont progressivement ouverts à l'art contemporain.

Certes, avant qu'on ne confie la mission de créer des vitraux pour la cathédrale de Nevers à l'artiste suisse minimaliste, Gottfried Honegger, les querelles et les polémiques se sont multipliées!

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Gottfried Honegger, Sans titre, maquette de vitrail, fenêtres hautes de la nef de la cathédrale de Nevers (Nièvre), vers 1988-1990 ©Droits réservés/CNAP/Yves Chenot

Mais à l'intérieur de l'Église, d'audacieux pionniers ont su ouvrir la voie. Avant-guerre déjà, en décembre 1938, prêchant la réconciliation entre le clergé et les artistes, le père Couturier, un des responsables dominicains de la revue L'art sacré, faisait preuve d'une grande ouverture d'esprit.

"Il vaut mieux s'adresser à des hommes de génie sans la foi qu'à des croyants sans talent", écrivait-il.

Et il s'était appliqué à matérialiser ses conceptions avant-gardistes dans une petite église de montagne nouvellement construite. Artiste lui-même, le père Couturier avait l'oreille des maîtres de la modernité tels que Matisse, Léger, Braque, Rouault ou Chagall qui, séduits par son enthousiasme, ont participé à la décoration de l'église moderne d'Assy en Haute-Savoie, achevée en 1946. Cette entreprise audacieuse, véritable manifeste en faveur de l'art contemporain, a constitué le tournant décisif, autorisant d'autres expériences comparables.

Après Assy, l'aventure de la cathédrale de Nevers a été une étape supplémentaire du renouveau du vitrail. En effet, le chœur gothique et les vitraux de la cathédrale Saint-Cyr-Sainte-Julitte avaient été détruits en juillet 1944 par un bombardement allié.

Après la longue réfection du bâtiment, le temps des vitraux est enfin advenu. Les vitraux médiévaux ayant totalement disparu après la Révolution, il n'était pas question de les remplacer à l'identique. L'art contemporain s'est donc invité dans la ville des bords de Loire.

Un très gros chantier a débuté dans les années 1970; il s'est étiré sur plus trente ans, entre 1976 et 2011. Quatre-vingts baies ont été remplacées, représentant plus de mille m2 de verre. À certains moments, de vives controverses, difficiles à justifier aujourd'hui, ont ralenti les travaux mais à chaque fois, des ecclésiastiques éclairés, des fonctionnaires avisés ou des passionnés d'art ont su lever les obstacles.

Le très mystique François Mitterrand fut l'un d'eux. Quoiqu'il fût demeuré pendant trente-cinq ans parlementaire de la Nièvre, le natif de Jarnac n'était pas parvenu à conquérir la mairie de Nevers. Pourtant, son intérêt pour la ville n'avait pas faibli. Dès son élection à la présidence de la République en mai 1981, il s'est investi dans le chantier interrompu des vitraux. Sa familiarité avec la basilique de Vézelay, toute proche, l'a probablement poussé à intervenir, à sa manière, dans le débat toujours recommencé entre Anciens et Modernes.

Avant la présidence de François Mitterrand, l'artiste belge, Raoul Ubac avait réalisé les quatre premiers vitraux non figuratifs, destinés au chœur roman. Les stries et les ondulations roses, jaunes ou bleues de ses créations illuminent une fresque du XIIe siècle représentant le Christ en gloire. Cette première série de vitraux, vibrant de musicalité et de luminosité, en symbiose avec la pierre du bâtiment, admirable de justesse, a malheureusement été contestée.

Il a fallu ensuite toute la pugnacité du président Mitterrand et de son ministre de la culture pour lancer la procédure internationale au terme de laquelle quatre grands artistes ont finalement été retenus, Jean-Michel Alberola, François Rouan, Claude Viallat et Gottfried Honegger qui ont pu travailler avec l'atelier de verriers de leur préférence.

Les travaux sont achevés depuis quatre ans. Désormais, on peut aisément faire le voyage à Nevers pour admirer l'ensemble de vitraux modernes du bâtiment, mi-figuratifs, mi-abstraits. À chaque heure de la journée différemment, les faisceaux de lumières, les jaunes ou les rouges irradiant du chœur gothique ou les tonalités moins vives émanant du chœur roman déposent sur la pierre un éclairant message destiné à tous, aux fidèles comme aux amateurs d'art. La cathédrale consacrée est également un musée vivant de la création contemporaine.

La commande publique s'étant exercée à Nevers par vagues successives et ayant mobilisé cinq artistes différents, la crainte de dissonances, nées de l'éclectisme des styles adoptés, s'est exprimée avant l'inauguration du 29 avril 2011. Mais, en fait, un miracle d'équilibre s'est établi entre les manières de maîtres inspirés qu'une merveilleuse architecture a guidés.

Quant à la question de savoir si un vitrail non figuratif peut avoir une dimension spirituelle, elle paraît dénuée de pertinence pour qui contemple avec ravissement les œuvres de Gottfried Honegger aux formes géométriques simples et aux couleurs primaires. Ce peintre talentueux est trop rarement célébré en France.

Mais par chance, pour la première fois, le centre Pompidou consacre jusqu'au 14 septembre 2015 une exposition, rapide mais impressionnante, au maître de l'art concret, Honegger. En quête de la clarté absolue, l'ancien graphiste fait jouer magnifiquement les formes en aplats et les couleurs. Observer ses vitraux dans la crypte ou dans les baies hautes de la cathédrale de Nevers est une excellente introduction au style d'un artiste radical, qui défend, à sa façon, des valeurs spirituelles d'universalité.

Après une visite au palais de Chaillot et au Centre Pompidou, le détour par Nevers est une occasion parfaite de s'émerveiller sur l'art contemporain dans une de ses réussites les plus exemplaires.

L'exposition Chagall, Soulages, Benzaken... Le vitrail contemporain est présentée à la Cité de l'architecture et du patrimoine jusqu'au 21 septembre 2015.
Le catalogue de l'exposition, riche en informations, est publié sous la direction de Véronique David et de Laurence de Finance dans une coédition de la Cité de l'architecture et du patrimoine et de Lienart.

L'exposition Gottfried Honegger est présentée au Centre Pompidou jusqu'au 14 septembre 2015.
Le catalogue Gottfried Honegger est publié sous la direction de Christian Briend, commissaire de l'exposition, édition du Centre Pompidou, 2015.

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