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Catégories : Musique

La culture musicale menacée. Alfred Grosser

FORUM. 

 

6/1/16 - 00 H 00

 
 
 
 
 
 
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Drôle d'idée, semble-t-il, que de parler musique au début d'une année qui s'annonce pleine de problèmes politiques et sociaux! Pourtant, tout un chacun se réclame de « nos valeurs », parmi lesquelles la culture tient une place privilégiée. Or, la musique, déjà si méprisée dans nos collèges et lycées, se trouve menacée aujourd'hui à d'autres niveaux. Il faudrait notamment diffuser la chronique pleine de colère « Permis de tuer »qu'Ivan A. Alexandre a publié dans le numéro de décembre de l'excellent mensuel Diapason. Les ensembles sont menacés de la diminution des aides publiques, déjà fort limitées, qu'ils reçoivent. Les ensembles, ce sont 123 associations musicales qui, en 2014, ont donné 3 000 concerts pour 1,3 million de spectateurs. Parmi eux, Accentus, les Arts florissants, le Concert spirituel. Les nouveaux conseils régionaux vont imiter les autres instances publiques pour rogner encore. Les ensembles ne peuvent pas mobiliser les foules ni les médias !

Les dernières décennies ont pourtant connu des progrès dans la diffusion de la culture musicale. Il ne s'agit pas seulement du maintien des belles créations nées dans la féconde période de l'immédiat après-guerre. Ainsi les Jeunesses musicales de France que René Nicoly a fait naître dès novembre 1944 ou les chorales À cœur joie instituées par ­César Geoffroy en 1948. Ni d'efforts individuels comme ceux de Jean-Claude Casadesus faisant accepter par les musiciens de son Orchestre national de Lille la présence auprès de chaque pupitre d'un jeune de milieu déshérité. Face aux défaillances de l'éducation nationale (combien d'orchestres de jeunes dans nos établissements scolaires? Combien de professeurs de musique, chargés de plusieurs classes pendant une heure chacune, peuvent assurer une vraie formation?), il fallait créer ou développer des institutions décentralisées.

C'est ce qu'a fait Marcel Landowski, en principe compositeur, mais aussi – peu à peu surtout – grand fonctionnaire, à l'exemple de la célèbre Jeanne Laurent qui avait lancé et réussi la décentralisation théâtrale. Directeur de la musique, de l'art lyrique et de la danse au ministère de la culture de 1966 à 1975, il a pu développer notamment les conservatoires régionaux et locaux. Son principal adversaire et détracteur a été Pierre Boulez. Déjà, lorsque Hugues Gall a quitté la direction de l'Opéra de Paris, il a pu dire, dans une interview à un journal allemand, combien il avait été gêné par les interventions intolérantes de l'entourage de Boulez. Marcel Landowski, lui, s'est plaint dans son livre La Musique n'adoucit pas les mœurs (1990) de« cet homme qui a le génie du pouvoir, direct ou indirect, souvent comme conseiller incontournable et toujours aux points stratégiques des institutions dominantes ». Aussi puissant que Lully sous Louis XIV, justement fêté à l'occasion de ses 90 ans, ne faudrait-il pas que la voix de Boulez s'élève pour la défense des ensembles et des lieux de formation décentralisés, surtout à un moment où une nouvelle définition, proprement réactionnaire, de la culture se manifeste dans les communes conquises par le Front national ?

On ne saurait dire que les chaînes publiques de télévision participent à la diffusion de la culture musicale. On se contente de reléguer quelques émissions en fin de programme. Quant à la grande chaîne privée TF1, ex-chaîne unique publique, elle ne tient aucun des engagements souscrits lors de son attribution. Heureusement, des chaînes privées purement musicales – Mezzo, Mezzo live et maintenant Brava – sont venues en renfort. Et, à la radio, France Musique aurait une plus grande audience, si la parole, parfois instructive, souvent vaine, n'y tenait pas une place trop importante.

Il y a assurément des causes plus immédiates, humainement plus importantes. Mais la transmission de la culture musicale est aussi une cause noble. Faire comprendre à quel point la musique peut être source de joie, à quel point, en une période de déclin de la spiritualité, elle peut représenter une élévation intérieure, voilà qui va dans le sens de ce dont tout le monde prétend se réclamer, à savoir la défense et l'élargissement de la dignité humaine.

 

 

GROSSER Alfred
 
 

6/1/16 - 00 H 00

http://www.la-croix.com/Archives/2016-01-06/FORUM.-La-culture-musicale-menacee.-Alfred-Grosser-2016-01-06-1400929

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