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Catégories : CE QUE J'AIME/QUI M'INTERESSE, L'art, La littérature

Le syndrome de Stendhal

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 J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber » [1]. Lors de son voyage en Italie en 1817, à l’étape de Florence, Stendhal n’en pouvant plus s’assoit sur un banc de la place, lit un poème pour se remettre de ses émotions et vit que ses visions empiraient à la lecture, trop de culture finissant par l’étreindre.

2Laissons de côté l’homme littéraire, l’écrivain, le romancier, le biographe et cherchons si ce critique d’art a pu trouver matière à l’excès et l’emphase… Féru d’art lyrique, amoureux de l’Italie, comme en témoignent ses écrits, c’est lui qui fit connaître Rossini à Paris. Des travaux de la deuxième moitié du XXe siècle ont fait apparaître sa compétence en matière picturale et musicale, sa familiarité avec ses peintres, sa vaste expérience du monde de la musique de son temps, aussi bien instrumentale que lyrique, allemande ou italienne. Mais il était surtout un véritable spécialiste de l’opéra italien et de la peinture italienne. Bien qu’il se présentât comme un dilettante, on lui doit des analyses très fines de Rossini et Mozart. Il a saisi la mélancolie de Léonard de Vinci, le clair-obscur du Corrège, ou la violence michelangelesque.

3Sa critique cohérente repose sur l’Expression qui destitue les formes arrêtées et le Beau antique, sur la Modernité qui implique l’invention artistique pour un public en constante évolution et la subordination du Beau à l’opinion seule, de l’Utile qui donne du plaisir réel à une société, à des individus, et le dilettantisme qui repose sur la pure émotion du critique. Stendhal fonde ainsi une critique historique, l’art étant l’expression d’une époque, et revendique le droit à la subjectivité ; il admet la convergence des arts et leur importance selon qu’ils procurent ou non du plaisir physique, qu’ils ouvrent l’esprit à la liberté de l’imaginaire et qu’ils suscitent la passion. Stendhal est un critique d’art qui marque une étape importante dans l’intelligence de tous les arts.

4Ce syndrome ne fut pas décrit comme un syndrome spécifique avant 1979. La psychiatre italienne Graziella Magherini, officiant à l’hôpital central de la ville, a observé et décrit plus de 100 cas similaires parmi les touristes de Florence, le berceau de la Renaissance. Sa description figure dans un livre éponyme qui classe les cas de manière statistique selon leur provenance et leur sociologie. En résumé :

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  • figure im2 les touristes provenant d’Amérique du Nord et d’Asie n’en sont pas touchés ; il ne s’agit pas de leur culture ;
  • figure im3 les touristes nationaux italiens en sont également immunisés ; ils baignent dans cette atmosphère depuis leur enfance ;
  • figure im4 parmi les autres, sont plus touchées les personnes vivant seules et ayant eu une éducation classique ou religieuse, indifféremment de leur sexe.

 

6Le facteur déclenchant de la crise a lieu le plus souvent lors de la visite de l’un des 50 musées de la ville. Le visiteur est subitement saisi par le sens profond que l’artiste a donné à son œuvre, et perçoit toute l’émotion qui s’en dégage d’une façon exceptionnellement vive qui transcende les images et le sujet de la peinture. Les réactions des victimes subjuguées sont très variables : des tentatives de destruction du tableau ou des crises d’hystérie ont été observées. En effet, le regard d’un autre peut, à leurs yeux, mettre en danger leur propre perception de l’œuvre. Les gardiens de musée de Florence sont formés à l’intervention auprès de visiteurs victimes du syndrome de Stendhal, bien que cela reste assez rare.

7On raconte que survint un singulier tableau clinique chez un inconnu en 2008 : La scène se passe à Florence, dans la Galerie de l’académie, devant une immense statue de Michel-Ange. Avec plus de 4 mètres de haut pour 6 tonnes de marbre blanc, elle représente David après sa victoire sur Goliath et s’offre à la vue depuis 500 ans. Un touriste la contemple depuis un certains temps ; il est ébahi devant sa splendeur, sa perfection. Soudain, son cœur accélère, ses muscles se tétanisent, un vertige le saisit, il finit par s’évanouir et s’écroule à terre devant des touristes affolés.

8Cet étrange mal, provoqué par la contemplation du monumental David frappe chaque année de nombreuses personnes en visite à Florence. Les symptômes sont nombreux et inquiétants : vertiges, suffocation, tachycardie, hallucinations, perte du sentiment d’identité et du sens de l’orientation, violentes douleurs à la poitrine, évanouissements, amnésie.

9Quel est ce mal étrange ? Comment expliquer qu’une œuvre d’art puisse, par sa splendeur et sa magnificence, pétrifier des touristes au point de les frapper physiquement ?

10Le syndrome de Stendhal que l’on dénomme aussi « syndrome de Florence » ou « syndrome du voyageur» est un mal psychosomatique désignant un trouble psychique au niveau de la santé physique sans qu’une autre cause puisse être établie. Plus généralement, ce terme couvre tout ce qui concerne les effets de l’esprit sur le corps humain ou même animal. Il est ainsi question de somatisation pour expliquer le processus par lequel un désordre psychique se manifeste sous la forme d’un trouble organique, comme une paralysie observée dans une hystérie de conversion sans que les nerfs ne soient touchés. La médecine psychosomatique constitue un champ interdisciplinaire entre les dimensions psychologiques, comportementales et sociales de l’individu et la physiologie de l’organisme. Dans ce cadre, les traitements peuvent combiner à la fois des approches psychothérapiques et médicamenteuses. La médecine psychosomatique a été fortement influencée par la psychanalyse mais elle incorpore aussi des théories venant d’autres approches comme les sciences cognitives.

11Stendhal aurait-il eu besoin d’une psychothérapie ?

Mis en ligne sur Cairn.info le 27/08/2020
https://doi.org/10.4267/2042/53780

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