Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
L'animateur Thierry Ardisson est mort
Thierry Ardisson est décédé à l'âge de 76 ans. © ERIC DESSONS/JDD/SIPA
Le célèbre animateur de « Tout le monde en parle » et « Lunettes noires pour nuits blanches » est décédé à l'âge de 76 ans.
La télévision a toujours aimé les personnages. Thierry Ardisson en était un. Il avait le look : des costumes, des tee-shirts et des mocassins. Un surnom : « L’homme en noir ». Il en jouait jusque dans les smileys qu’il envoyait par texto (une tête avec des lunettes noires pour éblouir ses « nuits blanches »). Des formules : « Magnéto Serge ». Une œuvre : des milliers d’interviews formatées, des slogans, des séquences cultes. Une réputation : féroce, férocement libre. Thierry Ardisson est mort à l’âge de 76 ans. Si nous étions dans une de ses émissions, il aurait appuyé sur son piano magique et lancé un « Sampler » : « Je suis venu te dire que je m’en vais. » (Serge Gainsbourg) Ou un laconique : « Voilà, c’est fini. » (Jean-Louis Aubert)
L’une des premières questions qu'Ardisson posait à ses invités qu’il recevait au Meurice était souvent celle des origines. « Il n’y a qu’une chose que je respecte, c’est ceux qui ne sont pas nés dans ce milieu. Ceux qui ont faim. » Lui avait un appétit d’ogre. Né dans la Creuse d’un père ingénieur du BTP et d’une mère au foyer, il n’a jamais compris pourquoi il était né dans cette famille-là, loin de la culture et des paillettes. « J’avais la haine », confiait-il à Guillaume Pley en 2023. Après des études d’anglais, il devient disc-jockey au Whisky à Gogo à Juan-les-Pins (Alpes-Maritime). Déjà au centre de l’attention et chef d’orchestre qui réchauffe l’ambiance, l’accélère, la sexualise. La musique joue un rôle important dans sa vie. Enfant du Swinging London, Ardisson est à la fois Stones et Beatles. Ses futures émissions seront habillées musicalement par des titres kitsch (« Tétéou »), populaires (« Chez Laurette ») ou exigeants (« Sunshine Superman »). Il aime les Kings, vénère The Velvet Underground, découvre Electric Light Orchestra, idolâtre Iggy Pop. La publicité lui fournit un autre atout : le sens de la formule et du concept.
« Sampler » : « Aïe, on nous fait croire/Que le bonheur c'est d'avoir/De l'avoir plein nos armoires/Dérisions de nous dérisoires. » (Alain Souchon)
L'école de la pub
Chez TBWA, ce catholique et monarchiste apprend les ressorts de la publicité. Pour vendre un produit, il faut le résumer en une phrase et être capable d’en faire un film de 15 ou 30 secondes. Il fonde avec Éric Bousquet et Henri Baché l'agence Business en 1978 où il invente le spot de huit secondes. C’est encore plus percutant, plus bref. « Quand c’est trop, c’est Tropico », « Lapeyre, y en a pas deux ». « Au début je ne trouvais pas, expliquait-il. Ça faisait déjà quinze jours qu’on nous avait demandé la campagne, mon associé me disait “Il faudrait quand même que tu trouves” (...) Je me suis mis dans ma baignoire, j’ai allumé un pétard, et ça m’est venu comme ça. » En tant que concepteur-rédacteur, Ardisson se distingue. Il produit aussi des articles clés en main pour des titres de presse. Il développe une première interview conceptuelle qui fera sa réputation : « Descente de police » dans le magazine « Rock & Folk ». Une célébrité est passée à la question, façon interrogatoire musclé. Yannick Noah avoue avoir fumé du haschich. Cela fait mouche. Marie-France Brière, toujours à l’affût des nouveaux talents, le recrute. Il adapte son concept, mais la violence simulée à l’écrit passe mal en image. Karen Cheryl aura un doigt coupé. L’émission est déprogrammée, un provocateur est né.
« Sampler » : « You say you want a revolution, well, you know/ We all wanna change the world » (The Beatles).
Après une émission insipide sur TF1, « Scoop à la Une » (où il demande tout de même à Serge Gainsbourg : « Avec tout ce que tu t'envoies, t'as pas peur que le petit Lulu soit un peu mongolo ? »), Ardisson, très mal à l'aise devant la caméra, ouvre, pourtant, sa légende en 1988 sur La Cinq. « Lunettes noires pour nuits blanches » : le titre claque, le générique envoie (« Nightclubbing » d’Iggy Pop), les formules fusent (« Salut bande de nazes »), le grain de l’image surprend et le ton étonne. L’émission est tournée au Palace où Ardisson a ses habitudes. On fume, on boit, on parle. Les séquences restent, comme cette spéciale Gainsbourg. Devant passer en urgence sur la table d’opération, le chanteur veut faire un ultime passage télé. La self-interview entre Serge et Gainsbarre est un moment (rare) de télévision. Ardisson modernise les codes des talk-shows du samedi soir (« Passez donc me voir », « Droit de réponse ») : c’est Bouvard ou Polac sous acide. Il récidive avec « Bains de minuit » - tourné aux Bains Douches - et « Double jeu » - aux Folies Bergère. La provocation est l’atout d’Ardisson. Vedettes, starlettes ou monstres sacrés sont questionnés sur leurs qualités, leurs défauts, le sexe, la drogue. Personne n’y échappe. Un vent de liberté souffle sur la télévision.
« Sampler » : « Chacun fait fait fait, ce qui lui plaît, plaît… » (Chagrin d’amour).
« Je traite les invités comme un dentiste »
Les interviews formatées autorisent tout : un entretien dans un confessionnal où le mensonge est proscrit, des questions « alerte rose » pour connaître les pratiques et fantasmes des invités, la carte 69 qui inverse les positions entre intervieweur et interviewés ou le jugement dernier comme un testament qu’on ressort quand l’issue fatale arrive (Ardisson est un recycleur). « Je traite les invités comme un dentiste. Ils viennent, ils s’assoient sur un fauteuil, je les opère et ils s’en vont. Il y a très peu de gens dont je suis fan. Je suis très heureux de les voir, très heureux de leur poser des questions, mais sans fan attitude », expliquait-il à Stratégies. Les patients sont variés et illustrent les passions de l’animateur : la musique, le cinéma, la littérature, la politique et même, parfois, le complot.
Provocateur, Ardisson devient sulfureux. Entre-temps, les émissions de niche - plus connues que regardées - ont laissé leur place à de vrais succès, donc plus scrutées : depuis 1998, l’animateur producteur règne sur le samedi soir avec « Tout le monde en parle » où tout le gratin du show-biz est reçu devant trois millions de téléspectateurs. « Ce que j’ai voulu faire, c’est des “dîners de têtes” où on mélange la pute et l’archevêque », avait-il coutume de dire. Il y a aussi les invités encombrants. Le 11 mars 2002, Thierry Meyssan vient promouvoir son livre qui remet en cause les attentats du 11-Septembre. Ardisson l’écoute sagement, sans relance. L’affaire monte. Scandale et excuses. Un an avant, sa question « Sucer, c’est tromper » adressée à Michel Rocard avait fait la Une des journaux. Tout le monde en a parlé.
« Sampler » : « Ça balance pas mal à Paris, ça balance pas mal. » (Michel Berger et France Gall).
Audrey, l'amour de sa vie
L’histoire d’Ardisson, c’est aussi des départs tonitruants, des retours éclatants et des réinventions vivifiantes. Viré de France 2 en 1994, il rebondit sur Paris Première où il invente « Paris Dernière », une déambulation télévisuelle entre café littéraire, brasserie de théâtre et boîte à partouze, « Rive droite, rive gauche », une quotidienne culturelle, puis « 93 Faubourg Saint-Honoré », un dîner - un vrai - chez lui. Après son retour sur le service public, il est de nouveau écarté en 2006. Le voilà chez Canal+, la chaîne branchée où « Salut Les Terriens » invite Chantal Goya, Franck Dubosc ou Frédéric François. Il quitte la chaîne cryptée avec fracas en 2019 sur fond d’économie et lance une guerre médiatique avec son ancien employeur comme il l'avait fait avec Patrick de Carolis, Catherine Barma...
« Sampler » : « Les histoires d'A, les histoires d'amour finissent mal en général. » (Les Rita Mitsouko).
Un personnage sait aussi mettre en scène sa vie privée, ses succès, ses échecs. Les Français connaissent sa tentative de suicide à cause de sa première femme (Christiane), sa dépendance à l’héroïne, comment il s’en est sorti, son plagiat littéraire (« Pondichéry »), son royalisme (l'excellent « Louis XX »), la musique de son répondeur (« China Girl » d'Iggy Pop), ses soirées au Matis ou aux Chandelles, sa consommation de pétards, son mariage avec Béatrice, ses trois enfants (Manon, Ninon, Gaston), son coup de foudre avec Audrey Crespo-Mara, « l’amour de sa vie ». « Je la regardais sur LCI où elle présentait les journaux et j’ai eu un coup de foudre. Je l’ai appelée et on s’est vus. Elle a divorcé, moi aussi. » Quand il parlait de sa femme, l’Homme en noir devenait fleur bleue. Les larmes aux yeux, il expliquait à quel point elle a su l’apaiser et racontait comment tous les étés, il la regardait présenter les JT de TF1 du week-end.
« Sampler » : « Je le sais. Sa façon d'être à moi parfois vous déplaît. Autour d'elle et moi le silence se fait. Mais elle est, ma préférence à moi. » (Julien Clerc).
Que restera-t-il d’Ardisson ? Dans une époque totalement aseptisée et éphémère, ses émissions sont des madeleines (épicées) de Proust qui montrent ce qu’était la télévision : ambitieuse, érudite, libre, provocatrice, contradictoire. Maîtrisant sa communication jusqu’au bout, cet infatigable créateur et innovateur (« Hôtel du temps » utilise dès 2022 l’IA !) a su marketer son « œuvre » pour en laisser un véritable héritage. Sa chaîne ArdiTube, développée avec l’INA, montre l’impact de l’animateur dans le PAF. Des heures de visionnage des archives montrent son tour de force : avec des « vieilles » émissions, Thierry Ardisson a réussi à démoder la télévision d’aujourd’hui. Si on était dans une de ses célèbres émissions, il aurait envoyé un dernier « Sampler » : « Rendez-vous au Paradis. Si l'idée a son charme. À quoi pense-t-elle quand elle me dit d'venir avec mon arme ? » (Alain Chamfort).
https://www.parismatch.com/culture/medias/lanimateur-thierry-ardisson-est-mort-254018