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Quand Flaubert et Baudelaire "offensaient"

  • Catégories : La littérature

    Quand Flaubert et Baudelaire "offensaient" (Pour Ambroise et Elisabeth)

    Par Jean-Claude Zylberstein.
     Publié le 01 février 2007
    Actualisé le 01 février 2007 : 11h27

    Il y a cent cinquante ans, Flaubert et Baudelaire comparaissaient devant la justice. Aujourd'hui encore, des romanciers sont poursuivis. Qu'en est-il de l'antagonisme entre la société et les lettres ?

    LES ESPRITS forts, qui crient aujourd'hui à la censure, devraient se souvenir de l'époque - récente - où les auteurs n'avaient pas la chance d'être régis par la loi de 1881 et la jurisprudence de nos tribunaux. Deux auteurs fameux, Gustave Flaubert et Charles ­Baudelaire, en ont fait les frais. Si on cite toujours leurs noms à propos de toute forme de censure, c'est parce qu'ils ont été victimes d'une mesure inique.
    Madame Bovary et Les Fleurs du mal ont eu le malheur d'être publiés trop tard ou trop tôt. En ces années-là, la liberté révolutionnaire, qui avait engendré un « raz de marée » de pamphlets, relevait du passé. Le premier Empire et les régimes qui lui ont succédé ont remis l'imprimerie et la librairie, bref l'édition, sous très haute surveillance. Et ce ne sont pas seulement les libelles politiques qui sont mis au pas, l'ordre moral est de rigueur. C'en est fait du colportage qui risquait de diffuser des écrits pernicieux. Car le mauvais livre est un poison dangereux pour la santé morale du peuple. Surtout s'il est de nature à rencontrer le succès. Le « redoutable » (dixit Baudelaire), l'avocat impérial Ernest Pinard, qui va requérir contre lui le 18 août 1857, le dit bien : « On ne poursuivra pas un livre immoral qui n'aura nulle chance d'être lu ou d'être compris ; le déférer à la justice, ce serait l'indiquer au public, et lui assurer peut-être un succès d'un jour qu'il n'aurait point eu sans cela» Bel argument en effet et que tels esprits chagrins qui ces derniers temps ont « fait de la publicité » à diverses brochures qui se voulaient poivrées en les poursuivant en vain auraient dû méditer.
    Flaubert ne s'y était pas trompé. Il aura beau être acquitté le 7 février 1857, au terme d'un jugement qui, après l'avoir assez sévèrement étrillé, conclut enfin à l'acquittement, motif pris de ce qu'« il n'apparaît pas que son livre ait été, comme certaines oeuvres, écrit dans le but unique de donner une satisfaction aux passions sensuelles, à l'esprit de licence et de débauche, ou de ridiculiser des choses qui doivent être entourées du respect de tous ». L'auteur de Madame Bovary hésite à publier son roman en volume, demande à son éditeur, Michel Lévy, de « tout arrêter », se dit honteux, dégoûté du « mauvais » succès qui attend son roman. « Et puis l'avenir m'inquiète : quoi écrire qui soit plus inoffensif que ma pauvre Bovary traînée par les ­cheveux comme une catin en pleine police correctionnelle ?» écrit-il à Louise Pradier. Et à Elisa Schlesinger : « Mon livre va se vendre de façon inusitée. »
    Baudelaire à l'aune de cette décision pouvait s'attendre au pire. Tant les fameuses « pièces condamnées » en effet pouvaient « donner satisfaction aux passions sensuelles » ou du moins y inciter. Le réquisitoire de M. Pinard fut presque moins sévère mais plus habile sans doute que contre Flaubert. « Poursuivre un livre pour offense à la morale publique est toujours chose délicate », ainsi entame-t-il sa péroraison. Mais il terminera en force : « Réagissez (...) contre cette fièvre malsaine qui porte à tout peindre, à tout décrire, à tout dire. » Et il termine ainsi : « Soyez indulgent pour Baudelaire, qui est une nature inquiète et sans équilibre. (...) Mais donnez, en condamnant au moins certaines pièces du livre, un avertissement devenu nécessaire. »
    La longue plaidoirie de l'avocat de Baudelaire, Gustave Chaix d'Ange, fut admirable d'analyse et de style (et bien de nature, comme celle de l'avocat de Flaubert, à ramener à la modestie plus d'un praticien du droit d'aujourd'hui !). S'il obtint satisfaction sur la prévention d'offense à la morale religieuse, le tribunal jugea le 27 août, comme on sait, que « les pièces incriminées conduisent nécessairement à l'excitation des sens par un réalisme grossier et offensant pour la pudeur ». Ce n'est que le 31 mai 1949 que la chambre criminelle de la Cour de cassation devait réhabiliter le poète et son oeuvre.

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