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langue française

  • Catégories : La langue (française)/ les langues

    Livre à lire:"La Révolte des accents" par Erik Orsenna(clin d'oeil à Monette)

    ba39ccb499f4a0d3669496fc29d7db22.gifLe sauveur de saveurs

    par Delphine Peras

     L'académicien publie La Révolte des accents, troisième volet de sa croisade contre ceux qui s'acharnent à nous ôter le goût de la langue française. Rencontre avec un touche-à-tout passionné.

    Surprise: Erik Orsenna a rasé sa moustache! Il la portait «depuis toujours», assure- t-il. Alors? Cupidon est passé par là... A 60 ans tout ronds, l'académicien, élu en 1998, est amoureux comme un jouvenceau. Un vrai coup de foudre pour une femme médecin, il y a quelques mois. L'écrivain n'en dira pas plus. Mais le lien est tout trouvé avec son nouveau livre, La Révolte des accents, aujourd'hui en librairie, dont le message peut se résumer ainsi: aimer, c'est accentuer sa vie.

    Ce joli conte plein de fantaisie et de poésie imagine en effet à quel point l'existence devient morne le jour où les accents, mais aussi les épices, prennent la poudre d'escampette. «En partie à cause d'Internet et de l'influence de l'anglais, on n'utilise plus les accents et ça me rend furieux», tempête Erik Arnoult (pour l'état civil) - il a emprunté Orsenna à Julien Gracq dans Le Rivage des Syrtes. «Or les accents sont révélateurs de l'esprit français. Même s'ils ont été inventés il n'y a pas si longtemps, dans les années 1550, notamment par un certain Jacques Dubois, ancien prof de lettres qui passait ses journées à disséquer les cadavres!»

    Voilà le genre d'anecdotes qui ravit cet esprit curieux de tout, tout le temps. D'où un curriculum qui donne le vertige, de son titre de docteur en économie, spécialiste des matières premières, à ses postes de conseiller en tout genre, aussi bien à l'Elysée auprès de Mitterrand qu'aux Affaires étrangères avec Roland Dumas. Sans oublier l'Ecole nationale supérieure du paysage, à Versailles, ou encore le Centre de la mer à la Corderie royale de Rochefort, qu'il préside. Actuellement en disponibilité du Conseil d'Etat, où il a été nommé en 1985, ce voyageur impénitent, géographe de surcroît, est aussi l'auteur de moult essais, dont le célèbre Voyage au pays du coton (Orsenna prépare un deuxième tome sur l'eau), récits, romans, parmi lesquels L'Exposition coloniale, qui lui valut le prix Goncourt en 1988.

    La Révolte des accents est le troisième volet de sa promenade dans la langue française entamée en 2001 avec La grammaire est une chanson douce, un best-seller inattendu: 500 000 exemplaires vendus, toutes éditions confondues. Ce succès, qui l'a «totalement surpris», Erik Orsenna l'explique par un sentiment partagé: «Comme moi, les parents ne comprenaient pas pourquoi ils ne saisissaient pas les questions qu'on posait à leurs enfants en classe de français. Il y avait là une dérive jargonneuse très étrange.»

    Une dérive incarnée par le personnage de Mme Jargonos, l'enseignante trop savante que l'on retrouve dans Les Chevaliers du subjonctif, publié en 2004, puis dans cette suite sur les accents. Tout comme on y retrouve la jeune Jeanne et son frère Thomas, porte-parole candides de leur créateur, qui planche maintenant sur un dernier épisode, consacré à la ponctuation. «Je me sens avant tout pédagogue, passeur. Je ressens une espèce d'ivresse à apprendre et à transmettre», explique Orsenna. Message reçu par ses innombrables lecteurs, qui l'accompagnent avec ferveur dans cette croisade linguistique. «J'ai reçu un immense courrier après la sortie de La grammaire est une chanson douce. Les gens se sont littéralement approprié le livre, les écoliers l'ont prolongé par des spectacles, des comédies musicales.»

    Rebelote avec Les Chevaliers du subjonctif: 150 000 exemplaires vendus. «La preuve qu'il existe une vraie curiosité pour la langue française.» Intarissable sur le sujet, Erik Orsenna ne craint pas de mettre les pieds dans le plat: «La langue est le lien social et républicain par excellence. Ce qui implique le devoir de parler français, mais aussi le droit de l'apprendre, notamment pour les communautés d'origine immigrée, où les femmes sont souvent maintenues par leur mari en état de dépendance linguistique, c'est-à-dire de dépendance totale. J'ai toujours défendu cette articulation droits-devoirs, ce qui a fait grogner dans mon camp.»

    Comprendre: le clan socialiste, auquel il appartient de longue date. «En cette époque de ralliements, je préfère être en colère dans mon groupe plutôt que dans l'autre. C'est ce que j'ai dit à Sarkozy il y a quatre mois, quand il m'a gentiment proposé de travailler avec lui.» Co-rédiger un rapport sur la grammaire demandé par Gilles de Robien, ou diriger l'Observatoire national de la lecture sur la proposition de François Fillon, oui. Intégrer un gouvernement de droite et être solidaire de son action, non. Autant dire que l'homme est moins versatile qu'il n'y paraît: «Je suis d'accord avec Sarkozy quand il dit des choses de bon sens. Mais quand il se plaint de voir figurer La Princesse de Clèves au programme du concours d'attaché d'administration, je suis triste de le savoir président de la France. Ce chef-d'œuvre de la littérature française devrait même être lu dans les quartiers difficiles. Car la plupart des jeunes qui y vivent n'ont qu'une seule patrie, la langue.»

    L'Académie française est un tantinet à la traîne... «Elle est un peu sage, en effet», regrette l'occupant du fauteuil n° 17, qui fut celui de l'éminent Littré et du commandant Cousteau. Très assidu aux séances du dictionnaire, le jeudi, leur successeur s'y amuse beaucoup: «Nous en étions récemment au mot "repu". Il y avait un exemple: "repu d'honneurs". Je demande la parole pour dire que ma fréquentation de l'espèce humaine ne m'a jamais fait rencontrer une seule personne repue d'honneurs.» A ce moment-là, Valéry Giscard d'Estaing lève la main et déclare: «Ma propre fréquentation de l'espèce humaine me fait confirmer la remarque judicieuse d'Erik Orsenna.» Lequel s'empresse d'ajouter: «Je suis l'exception qui confirme cette règle. Moi, je suis repu d'honneurs et je n'en veux plus.» Il ne veut rien que du bonheur...

    La Révolte des accents
    Erik Orsenna
    éd. STOCK

    136 pages
    13,5 €
    88,55 FF

    Source:http://livres.lexpress.fr/portrait.asp/idC=12794/idR=5/idG=3

  • Catégories : La langue (française)/ les langues

    Malherbe vint

    par Claude Duneton.
     Publié le 03 mai 2007
    Actualisé le 03 mai 2007 : 11h49
    QUEL plaisir de lire Ronsard ! Le chant de la langue ! Même si le dit est parfois rhétorique, la musique est là, avec les vieux mots qui donnent une vérité à ses plaintes. Lorsqu'il embouche le fifre lent des tristesses futures, Ronsard donne un tour désolant au thème des regrets - à sa maîtresse :

    Après ton dernier trépas,
    Gresle, tu n'auras là-bas
    Qu'une bouchette blesmie ;
    Et quand mort je te verrois
    Aux ombres je n'avourois
    Que jadis tu fus ma mie.

    Pour peu que l'on ait soi-même une maîtresse morte, on pleure en le disant...
    Penser, alors, qu'il y a quatre cents ans ces jours-ci il souffla sur Paris un vent de basse cuistrerie pour venir éteindre ce flambeau de poésie ! En 1605, un furieux sourd, qui se voulait ciseleur de vers mais n'avait encore presque pas écrit, arriva à la Cour pour s'y faire une rente. Poète laborieux, sans inspiration, tâcheron du rythme et de la rime froide, Malherbe - car c'était lui ! - se mit en devoir de donner des leçons à la langue française et de tailler en sacrilège dans la belle floraison dont l'avaient ornée les poètes de la Pléiade. Malherbe vint, hélas ! tout gâcher. Ce Normand de cinquante ans, plutôt aventurier, méchant comme une teigne, qui avait fait souche à Aix-en-Provence, devint le courtisan assidu d'Henri IV, dont il obtint les faveurs à force de courbettes ; il assassina la poésie française, qui mit deux siècles à ressusciter !
    Courtisant aussi la reine Marie (la « grosse banquière ») qu'il avait eu l'habileté de célébrer à sa sortie d'Italie par une ode assez piètre - « La voici la belle Marie / Belle merveilleuse d'Hétrurie » - le poète de cour prit très vite un ascendant terrible sur le peuple rimant de ce début de siècle. Mais il fut secondé : à force de sarcasmes, ce dégoûté fonda la triste école des « puristes ». Sa doctrine était simple : elle consistait principalement en des refus ; refus de tout ce qui était ancien, d'abord, et sentait la langue du XVIe siècle, considérée comme du « gaulois ». Refus également des néologismes, des créations dont les gens de la Pléiade avaient fait leur miel. Cette double exclusion avait pour résultat évident d'appauvrir l'idiome, de l'assécher même.
    Il y eut des protestations véhémentes : « Ils réduisent notre langage à la besace et à une honteuse disette et mendicité », s'exclamaient les personnes de bon sens. Ce fut en vain, car l'époque voulait avant tout rompre avec ce qui pouvait rappeler le temps de l'abominable guerre civile qui venait de se terminer, sept ans plus tôt, par l'édit de Nantes, dont l'une des clauses préliminaires stipulait qu'il serait désormais interdit de parler du passé ! En effet, beaucoup des interdits inexplicables qui frappent encore notre langue, - comme « la tante à Lucien » -, ont pour origine une lubie personnelle de François Malherbe, ce « coeur sans amour, esprit sans rêve », selon Ferdinand Brunot.
    L'orientation élitiste que prit ainsi la langue française durant le premier tiers du XVIIe siècle jusqu'à la création de l'Académie, laquelle en fut le simple prolongement et non pas l'initiatrice comme on le croit, est entièrement due aux réglementations de Malherbe et de ses suppôts. La conséquence de cette rupture fut que le français littéraire, bientôt le seul officiel, évolua désormais en champ clos, au sein de la cour de France. Il se détacha peu à peu de la langue commune, qui poursuivait son bonhomme de chemin parmi la petite et grande bourgeoisie - parisienne essentiellement.
    La langue française, de plus en plus surveillée, codifiée, émondée, raffinée, devint une plante en pot ; elle fournit, certes, les plus belles gerbes, avec l'une des plus fameuses productions littéraires au monde, mais elle se coupa pour deux cent cinquante ans de la base de sa population. Nous subissons de nos jours les retombées de cette absence populaire infligée jadis par Malherbe - un avenir proche nous dira si cette absence était mortelle. Pour l'instant, c'est une chose à craindre, en dépit des aveuglements plus ou moins volontaires, mais demain ?... Claude Imbert écrivait très récemment : « Il n'est pas, aujourd'hui, de plus grande cause française que celle de sa langue. » Il disait aussi : « La misère du verbe fait la violence du poing. »

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    Le mal-t-à-propos

    Par Claude Duneton.
     Publié le 01 février 2007
    Actualisé le 01 février 2007 : 12h29
    JE FAISAIS la queue devant les guichets du RER, à la gare du Nord, à Paris, lorsque j'avisai une pancarte bleue, posée sur un pied à la manière d'un instrument de musique, qui disait : « Patientez ici qu'un guichet se libère. »
    Bizarre formulation ! Patienter n'est pas un verbe transitif : on ne patiente pas quelque chose, ou quelqu'un. On patiente cependant quelques minutes, mais on ne patiente pas son copain - on ne patiente pas qu'il arrive. On l'attend ! La gare du Nord est une gare internationale, la plus achalandée de France paraît-il, avec près d'un million de voyageurs chaque jour. La foule canalisée par des sangles bleues parlait des tas de langues diverses, je me suis cru un instant projeté en pays étranger avec cette pancarte insolite où l'on avait substitué « patientez que » à l'ordinaire « attendez que »... Qui donc a écrit cette ânerie ? Qui a fabriqué les pancartes (il y en avait plusieurs) ? Qui les a installées devant les guichets ? Sûrement pas le même employé. Il est curieux que dans une entreprise d'État de l'envergure de la SNCF il n'y ait personne qui sache suffisamment le français - des ingénieurs, des chefs de secteur, que sais-je ? - pour faire corriger une erreur aussi grossière qui ne donne pas une haute idée du niveau d'instruction du personnel, pourtant recruté sur concours. Quelle gêne !
    Faut-il voir là un exemple caricatural de ce que Pierre Merle décrit dans un livre récent comme étant du français mal-t-à-propos (L'Archipel, 264 p., 17,95 euros) ? Il désigne sous ce vocable emprunté aux liaisons mal placées que faisaient les anciens ignorants : « un français mal bâti, mal fagoté, perdant comme à plaisir sa grammaire, son orthographe, son légendaire sens des nuances et le reste, un français d'à-peu-près » ?.. Il est parfaitement exact que le seuil de ce qui est tolérable s'est beaucoup abaissé au cours des quarante dernières années. L'idée même de faute de français s'est progressivement effacée à cause de la connotation moralisante du mot « faute », qui l'a fait bannir du vocabulaire des gens avisés dans une société où la notion de morale est finalement rendue suspecte. Toute « déviance » devient donc normale, ou même enrichissante selon certains : un mot pris pour un autre - chose qui, naguère, faisait sursauter l'auditeur - ne trouble plus personne, tant l'idée que rien n'a d'importance s'est répandue dans le public français. L'autre jour, une amie a entendu à la radio un journaliste dire sans se reprendre : « Le témoin a déclaré sans encombre » - il voulait dire sans ambages. Une autre personne expliqua lors d'une cérémonie qu'elle venait « pour le recueil », au lieu de « se recueillir »... On pourrait compter des centaines de ces distorsions lexicales dont nul ne fait plus cas. C'est ce que Pierre Merle appelle benoîtement les fautes tranquilles ; « le garçon que je vous parle » ne fait plus réagir, pas plus que « la ville dont je suis allé ». L'auditeur sent bien (pour l'instant !) que quelque chose cloche, mais il ne s'estime plus autorisé à intervenir par crainte, le plus souvent, de se trouver politiquement indésirable. Et puis, du moment que l'on discerne ou devine le sens, quelle importance ? Vive l'évolution ! s'écrient certains linguistes friands de nouveauté. Bien sûr, mais c'est de cette manière aussi qu'une langue évolue à petit feu vers sa fin...
    Il est malaisé d'analyser les raisons de cette résignation massive. À l'évidence, l'affaiblissement de l'enseignement lui-même, par abandon calamiteux des exercices de grammaire pratique, indispensables à la maîtrise du français, joue un rôle déterminant. Les grammairiens ont laissé la place aux « linguistes », qui sont des gens que tout amuse et instruit. Les linguistes sont comparables à des amateurs d'émotions fortes qui regardent un enfant se noyer sans faire un geste pour lui porter secours, tant le mécanisme de la noyade - l'enfant crie, fait des gestes désordonnés - leur paraît fascinant à observer.
    Il y a, à mon avis, une lente érosion du sens des mots et des phrases que l'on peut attribuer à l'habitude qu'ont prise les gens normalement lettrés de ne plus chercher à comprendre dans le détail. Pourquoi ? Parce que depuis un demi-siècle on a trop abusé du charabia pseudo-scientifique, qui s'est propagé comme un chancre mou dans tous les domaines de la vie courante. L'individu de langue française subit depuis deux ou trois générations une mithridatisation au pédantisme. À force de ne comprendre qu'à moitié, il s'est empoisonné le cerveau !