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Lu dans la presse:Le Rêve entouré d'eau", de Bernard Chapuis : les rêveries d'un forcené tranquille

 

Ce petit monde s'est soudé en adoptant les quatre enfants d'un couple de leurs amis, mort dans un crash aérien. Bernard Chapuis nous conte leurs homériques bombances avec une gourmandise digne de Daniel Boulanger. Tout en nonchalantes digressions historiques (Chapuis est le roi du name-dropping érudit), le récit tourne autour d'une chasse aux trésors. Avec infiniment plus d'élégance, d'humour et d'amitié que dans une téléréalité, ces épicuriens copains se lancent à la recherche d'objets perdus : la selle d'un cavalier indien, un lit en bois précieux arraché jadis aux nazis, une takuba (épée touareg ensablée dans le Ténéré), un matsu (pin maritime japonais).

"Me décrire ? C'est obscène !"

Lire Bernard Chapuis s'apparente à une délicieuse visite dans un musée des petits bonheurs évaporés. On retrouve chez lui les figurines en plastique à peindre du café Mokarex, des photos de famille façon Harcourt, un coït mélodieux suivi par une assiette de ratatouille froide et un verre de blanc glacé. Les Japonaises y portent leur casquette avec visière rabattue sur le visage "à la Suzanne Lenglen", Bichot y conserve, comme une fleur dans un livre, "les baisers interdits qu'il avait échangés tous les soirs, à la limite des comtés d'Auteuil et de Passy, avec Thérèse", grand amour de ses 16 ans.

Deux maîtres mots chez cet homme qui porte haut Le Voyage d'Urien d'André Gide, Un roi sans divertissement de Jean Giono, Chateaubriand, Montherlant, Durrell et les écrivains maritimes, la façon dont Joseph Conrad dépeint l'entrée d'un port, et celle dont Herman Melville retrace la vie dans une frégate en 1836 dans White Jacket : la narration et l'imagination.

"Mes livres sont pleins de détails sortis à la pince à épiler", avoue-t-il. Il clame sa volonté de raconter des histoires plutôt que de se raconter : "Me décrire ? Pour moi c'est l'horreur absolue ! C'est obscène !" Ces objets d'antan dont il est friand comme un antiquaire sont-ils les indices pudiques semés par un individu peu porté sur l'exhibitionnisme ? "Ce sont des paravents."

De livre en livre (celui-ci est son septième), cet homme né en 1945 à Alger, puis lancé dans le journalisme après Sciences Po et la fac de droit (il a connu Combat, Le Canard enchaîné, Le MondeJacques Fauvet le fit succéder à Robert Escarpit, puis la rédaction en chef de Vogue) laisse filtrer son secret. La passion des bateaux ? "Mon père était officier de marine." Le culte de la bande ? "Il est mort quand j'avais 11 ans, et ses copains se sont occupés de moi. Pour moi l'amitié va de pair avec le culte des ancêtres. J'honore l'héritage, la transmission." Ce goût de la culture british ? "J'ai été élevé dans une école anglaise de Singapour, et quand je suis revenu en France, je parlais français avec l'accent anglais." Cet amour de la fête, de l'allégresse, du luxe, de l'élégance, de la bonne cuisine, mêlé à ce désabusement, cette mélancolie ? "Quand mon père est mort, j'ai compris que rien n'est éternel. Je prône la fidélité à ce qu'on a aimé. On n'était pas si riches que ça, je portais de belles fringues mais c'était des vêtements portés par les fils des amies de ma mère. Depuis ce coup de tonnerre, je sais la fragilité des choses. La mélancolie ? Elle génère la gaieté."

Il raconte. Son passé d'escrimeur (son chat s'appelle Aramis). Un oncle à la mode de Bretagne (incarné par Jean-Pierre Cassel dans Paris brûle-t-il ?) qui arrêta le général von Choltitz. Les visites chez la mère de l'épouse de Francis Carco, pour fumer de l'opium (d'où sa collection de pipes). Il entonne des chansons gaillardes. Porte le smoking de son père, et croit, comme lui, qu'il vaut mieux accepter "un chapon trop cuit" qu'un "Chapuis trop con".


LE RÊVE ENTOURÉ D'EAU de Bernard Chapuis. Stock, 396 p., 20,99 €.

 

Jean-Luc Douin
 
Extrait
 

"Ils lisaient parfois les mêmes livres, aimaient parfois la même musique, ils regardaient les émissions animalières à la télévision, ils pouvaient être d'accord sur les mêmes choses, ils pouvaient passer des jours sans se voir en se téléphonant plusieurs fois. Ils n'avaient pas la moindre idée de ce que c'était que la vie, mais ce n'était pas la même idée, et, de toute façon, ils n'en parlaient pas. Ils ne parlaient pas de leur passé, de leurs autres mondes, sauf si l'occasion se présentait et ça n'allait pas loin. Leur rencontre était une île, pas un refuge. Un soir, elle était arrivée en zigzaguant jusqu'au canapé du capitaine Achab, elle avait défait la ceinture de sa jupe qui était tombée, elle était allée s'allonger en slip sur le canapé prune et lui avait demandé de lui servir un Campari soda avec gin et une tranche d'orange et beaucoup de glaçons. Quand il était revenu avec le verre, elle l'avait vouvoyé d'un ton mauvais :

- Vous voyez, je suis ivre, je n'ai plus de secret pour vous."


("Le Rêve entouré d'eau", p. 116-117.)

 

 

 

 

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