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Catégories : Des évènements

Des trésors du marchand d’art Ambroise Vollard vendus aux enchères

Parmi lesquelles un tableau fauve d'André Derain (1880-1954), peint en 1905, un paysage de Collioure qui, d'après les experts de Sotheby's, n'a sans doute jamais été vu par le grand public. Estimé de 9 millions à 14 millions de livres sterling (de 10 à 15 millions d'euros), il sera la vedette d'une vente impressionniste et moderne à Londres, le 22 juin. Les 139 autres œuvres – estimées prudemment à environ 3 millions d'euros – seront dispersées à Paris une semaine plus tard, le 29 juin.

Ces ventes sont le dernier acte d'une aventure peu banale. Elle débuta en 1939, peu avant que Vollard ne se tue dans un accident de voiture. Le marchand confia à un collaborateur, Erich Slomovic, un ensemble hétéroclite comprenant le fameux Derain, mais aussi un portrait de Zola, alors très jeune, par son camarade de classe Paul Cézanne (estimé entre 500 000 et 800 000 euros, il pourrait intéresser les musées français, qui n'en possèdent aucun).

On trouve encore des monotypes de Degas, dont un, particulièrement crapuleux, une nouba dans un bordel, est intitulé La Fête de la patronne. "Renoir, qui, comme Picasso, en posséda un exemplaire, disait qu'“il fallait avoir le génie de Degas pour donner à cette scène pornographique toute la noblesse et la dignité d'un bas-relief égyptien”", raconte, espiègle, Thomas Bompard, un des experts de Sotheby's.

"UNE TRANCHE D'HISTOIRE"

Son confrère de Sotheby's, Samuel Valette, renchérit: "Cette collection, c'est ce que les Anglo-Saxons nomment une “time-capsule”, une tranche d'histoire soigneusement préservée qui réapparaît soudain." Car en 1939, devant le conflit qui s'annonce, Erich Slomovic, dépose une partie des œuvres dans un coffre de la Société générale, et regagne son pays, la Yougoslavie, avec d'autres tableaux – environ 400 œuvres tout de même –, qui sont exposés à Zagreb en novembre 1940 et pour beaucoup sont encore conservés au Musée national de Belgrade.

Erich Slomovic est arrêté par les nazis et meurt en déportation en 1942, à l'âge de 27 ans. Les tableaux, désormais sans maître, dorment au coffre. Les banquiers sont gens patients, mais ils finissent par trouver le temps long. Après avoir fait procéder à une première ouverture du coffre en 1946, ils en expédient le contenu dans un dépôt à Nantes, jusqu'en 1977, date à laquelle ils décident de se débarrasser du "coffre Vollard" – c'est ainsi que Sotheby's a décidé de nommer sa vente – pour régler la facture de la location de la chambre forte. Deux commissaires-priseurs, Lenormand et Dayen, mandatés par la banque envisagent une vacation à Drouot, en mars 1981.

"A ce moment, expliquent les experts de Sotheby's, les ayants droit d'Ambroise Vollard ont découvert l'existence de cette collection, qu'ils ont revendiquée." Ceux de Slomovic aussi. L'affaire va jusqu'en Cour de cassation – c'est un cas d'école en matière de droit de propriété –, et la vente est annulée, non sans qu'un catalogue ait été imprimé.

Le Derain y figure, en couverture et en couleurs, et c'est la première fois, de mémoire d'expert, qu'il est reproduit. Nonobstant, il ne figure pas au catalogue raisonné, édité en 1992. Pour les spécialistes, c'est un tableau mythique. "Le fauvisme a été pour nous l'épreuve du feu, disait Derain. Les couleurs devenaient des cartouches de dynamite, elles devaient décharger de la lumière."

UN SIÈCLE D'AVANT-GARDE

Posé sur un chevalet dans les locaux parisiens de Sotheby's, en face de l'Elysée, le tableau révèle ses couleurs, laissées dans le noir depuis plus de soixante-dix ans. Il n'a jamais été verni. La chose est rarissime. On en connaît quelques exemples dans les collections moscovites, au Musée Pouchkine notamment, mais la plupart du temps, les propriétaires, soucieux de protéger leur investissement des chiures de mouches, ont fait recouvrir les plus beaux tableaux d'un sombre mélange d'huile, de résine et de térébenthine, qui, avec le temps, s'encrasse et jaunit.

Ici, non. La couleur est pure, peut-être un peu mate à cause de son long séjour à l'ombre, mais elle devrait rapidement retrouver sa vivacité d'origine. Si on osait un conseil à son futur propriétaire, c'est bien de la conserver ainsi. Parce que ce tableau est un morceau d'histoire.
Lorsque Derain le peint, en 1905, il séjourne à Collioure avec Matisse. Sans le savoir, ils sont en train de préparer une révolution aussi importante que l'impressionnisme: la couleur pure et subjective détachée du motif et de la réalité. Les œuvres qu'ils exposent au Salon d'Automne, en octobre 1905, dans une salle qui entrera dans les livres sous le nom de "cage aux fauves", marquent le début d'un siècle d'avant-garde. Vlaminck, l'ami de Derain, est de la partie, comme Marquet, l'ami de Matisse.

Ce tableau y a-t-il figuré? Rien ne permet de l'affirmer, ni de le nier. Derain y a montré quatre paysages peints à Collioure. Lesquels? Nul ne sait. Mais les dimensions du tableau correspondent à celles décrites au catalogue de 1905.

Dans la vente de Sotheby's, figurent aussi deux photographies de Man Ray (1890-1976): ce diable de Vollard, à la veille de sa mort, s'intéressait toujours à ce que l'art a de plus moderne. Autre point réjouissant: si le Derain devrait être hors de prix, d'autres œuvres, des dessins de Jean-Louis Forain notamment, commencent à une estimation de 500 euros. Enfin, le Derain sera visible chez Sotheby's (76, rue du Faubourg-Saint-Honoré) lundi 26 et mardi 27 avril. Et c'est gratuit.

Harry Bellet

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