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Catégories : CDI Lycée Saint-Marc de Lyon(Rhône,69)

Ulysse ou la nostalgie d'Ithaque

'L'ODYSSEE' D'HOMERE

Sophie Lebeuf et Aurélie Mongour pour Evene.fr - Février 2010

Ulysse ou la nostalgie d'Ithaque | Aller plus loin


Après 'L'Iliade' et les aventures d'Achille, Homère chante l'épopée d'Ulysse dans 'L'Odyssée'. Une histoire mythologique, où le désir de retourner dans sa patrie mène le héros par-delà les mers dangereuses, les terres accueillantes et les Enfers.

 

Au VIIIe siècle avant notre ère, les écrits d'Homère servaient de manuels d'enseignement aux enfants. Depuis, le personnage d'Ulysse, devenu un classique, demeure une référence. Car derrière son épopée, le poète dessine l'immuabilité de la condition humaine, en relatant les sentiments humains à travers les comportements des divinités et des héros. Depuis le haut de l'Olympe jusque dans les campagnes grecques, mortels et immortels subissent les mêmes humeurs : ruse, jalousie, vengeance, désir… Parmi elles, la nostalgie est le tourment qui ronge Ulysse chaque jour de son voyage. C'est le fameux mal du pays, plus exactement de l'île d'Ithaque pour le héros. "Pour guérir, il n'y a qu'à rentrer chez soi. Le retour est le médicament de la nostalgie comme l'aspirine est celui de la migraine", écrit Vladimir Jankélévitch dans son étude sur la nostalgie. (1) En retrouvant sa patrie, Ulysse devrait ainsi rompre le charme maléfique du mal-être. Son retour sonne dans son coeur comme l'unique but à atteindre. Aura-t-il seulement le goût tant attendu ?

Désir du retour

"Quand reverrai-je, hélas ! de mon petit village / Fumer la cheminée, et en quelle saison / Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, / Qui m'est une province et beaucoup davantage ?" (2) Premier personnage littéraire à incarner l'exil et le regret du pays natal (3), Ulysse va devenir au cours du temps une inépuisable source d'inspiration. Ainsi, Joachim Du Bellay en voyage à Rome, chante-t-il le mal du pays, se rappelant le héros grec. La nostalgie se traduit en effet comme "souffrance du retour" ; de "nostros", "retour" et "algos", "souffrance". Sans cesse, le héros regarde vers l'horizon. Aussi veut-il hâter le cours du temps pour rejoindre Ithaque et les siens. Comme le marin veut retrouver sa femme et son port, ou l'émigré sa terre natale, Ulysse souffre d'une forme élémentaire de nostalgie : il aspire tout simplement à rentrer chez lui, seul lieu possible de béatitude. Cette valorisation de la terre natale sera reprise par les romantiques au XIXe, notamment après la révolution de 1848 lorsqu'apparut l'éveil des nationalités et du patriotisme. Ainsi, exilé sur son rocher de Jersey, Victor Hugo s'exclamait "On ne peut pas vivre sans pain, on ne peut pas non plus vivre sans patrie." (4)


Un brin de déraison

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Qui ne se souvient, avec émotion, d'une atmosphère particulière, d'un lieu magique depuis longtemps quitté ? Une maison, un village où l'on aurait grandi. On y place toutes les espérances d'une vie meilleure. Y retourner serait la solution. Pourtant, en y regardant de plus près, l'aspect général du lieu n'est-il pas un peu miteux, le pain que l'on rêvait plus rance que dans les souvenirs ? De la même manière, Ulysse exalte sa terre et rien ne l'en détournera. La destinée humaine et la douce Pénélope l'emportent donc sur la sublime Calypso et sa promesse d'immortalité. La cristallisation de la nostalgie confère ainsi de grandes vertus aux terres natales et connues : Ithaque lui manque, non parce que Ithaque est extraordinaire, mais Ithaque est extraordinaire parce qu'elle lui manque. (5) Quiconque aurait beau tenter de convaincre Ulysse du contraire se heurterait à un mur. Il n'est plus ici affaire de rationalité, mais bien de sentiment. "Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point", dira plus tard Pascal. Entre amertume et douceur, les souvenirs murmurent à Ulysse mille promesses.


Irréductibilité du temps

"La nostalgie est une mélancolie humaine rendue possible par la conscience, qui est conscience de quelque chose d'autre, conscience d'un ailleurs, conscience d'un contraste entre passé et présent, entre présent et futur." (6) Aussi l'Ulysse rentrant à Ithaque ne sera plus le même que l'Ulysse partant pour Troie. Réalité désespérément inébranlable. Disparu pendant vingt ans, le voyageur est inévitablement autre que celui qui est parti. De même, Pénélope est devenue plus vieille, plus aigrie, plus terne que la jeune épouse quittée ; Télémaque n'est plus l'enfant idolâtrant son père, mais un jeune homme en pleine puissance ; ses fidèles compagnons ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes, enlaidis par la convoitise d'une presque veuve et de ses richesses. Et c'est bien ce qui conduit le héros à la mélancolie. Certes, plus le temps avance, plus il se rapproche de chez lui. Mais plus le temps avance, plus il s'éloigne également de ce qu'il était et de l'Ithaque d'autrefois. Il aura beau faire vite, il ne pourra pas se dépêtrer du poids des années qui l'ont transformé. Une prise de conscience qui suscitera les pleurs du héros rentré, entre les bras de sa compagne. Tout ce temps perdu, gâché, qu'il ne retrouvera plus, l'arrache au bonheur du foyer retrouvé.


Peur du retour

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Cette irréductibilité du temps et l'impuissance de l'homme face aux heures qui s'égrènent explique alors certains comportements du héros et répond à la question suivante. Si Ulysse désire tellement rentrer chez lui, pourquoi fait-il de si longues escales ? Il reste un an auprès de Circée, sept autres années avec Calypso et le voilà encore qui se pose tranquillement chez les Phéaciens. Son discours récurrent - "je désire tous les jours revoir le moment du retour" (7) - ne semble pas correspondre à ses actes. Aurait-il peur ? Les souvenirs seraient-ils finalement plus doux que la triviale vérité des retrouvailles ? Peut-être Ulysse craint-il que l'image idéalisée du souvenir soit plus plaisante que la réalité. Il retarde ainsi son retour pour différer l'hypothétique désillusion des retrouvailles. Paradoxal, le remède à la nostalgie devient simultanément un "mal-du-retour", autrement appelé déception. Et si l'exilé ne reconnaissait pas sa patrie ? Complice, la déesse Athéna couvre alors de nuée les terres d'Ulysse, les dérobant à ses yeux. Ultime subterfuge pour retarder ce moment crucial et alimenter le suspense du retour.

Homère a eu la sagesse de s'arrêter au vingt-quatrième chant, aux embrassades heureuses des époux. Comblé, Ulysse a enfin retrouvé les siens et son bonheur est absolu. Happy end, en apparence. Mais que se passe-t-il réellement ensuite ? Pour le savoir, Nikos Kazantzakis entreprend de continuer 'L'Odyssée' d'Homère. (8) Un Ulysse moderne, souffrant d'une "nostalgie ouverte" prend alors le pas sur l'Ulysse ancien, en proie à sa "nostalgie close". (9) Déjà le voilà qui se languit d'un ailleurs inconnu. Malgré son retour, malgré la réalisation de ce désir tenace, la nostalgie demeure… C'est alors que le héros grec est pressé de repartir pour encore mieux revenir.   Lire la suite de Ulysse ou la nostalgie d'Ithaque »


(1) Vladimir Jankélévitch, 'L'Irréversible et la nostalgie', éditions Flammarion, 1974, p.276.
(2) Joachim du Bellay, extraits du poème "Heureux qui comme Ulysse" in
'Les Regrets'
, Le Livre de Poche, 2002.
(3) Isabelle Lasfargue-Galvez,
'L'Odyssée'
, Homère, Chants V à XIII, éditions Hatier Profil Bac, 2009, p.138.
(4) Victor Hugo,
'Les Châtiments'
, chanson XIII, livre 7, éditions Les Classiques de Poche, 1973.
(5) Vladimir Jankélévitch,
'L'Irréversible et la nostalgie'
, éditions Flammarion, 1974, p.289.
(6) Vladimir Jankélévitch,
'L'Irréversible et la nostalgie'
, éditions Flammarion, 1974, p.280.
(7) Homère,
'L'Odyssée'
, Editions Classiques Pocket, 2009, p.107.
(8) Nikos Kazantzaki,
'L'Odyssée'
, Plon, 1971.
(9) Vladimir Jankélévitch,
'L'Irréversible et la nostalgie', éditions Flammarion, 1974, p.292

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