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Catégories : Des poètes et poétesses

Crépuscule d'automne

Immergez-vous immédiatement : « Em­portez ces yeux, pierreries de couleurs / ce nez de totem, ces lèvres qui connaissent / les tables de multiplication et les poésies les plus sélectes. / Je vous donne le visage entier avec la langue et les cheveux / je m'enlève les ongles et les dents et je complète le poids. / Elle ne sert pas / cette manière de sentir. / Ni la mémoire, ce repas réchauffé / ni l'attention, comme une petite perruche pernicieuse. »

Lire la poésie de Julio Cortázar, c'est apprendre à taper du talon pour transformer l'observation désabusée en ivresse de l'espérance. Testament hétéroclite, couturé de douleurs et de joies, ce Crépuscule d'automne a été assemblé par l'auteur à la fin de sa vie, avant qu'une leucémie ne l'emporte à Paris, énième terre d'exil, en 1984. Une nostalgie qui va de l'avant, solaire et mordante, illumine ces écrits sur l'amour, composés à différentes étapes d'une existence aussi exaltée qu'insoumise. Cortázar aime l'Argentine, son pays natal (« Airs du Sud, flagellation chargée de sable / d'oiseaux en morceaux et de fourmis, / dents de l'ouragan couché sur la plaine / où les hommes à plat ventre sentent passer la mort ») et les femmes (« Nous resterons seuls mon oreiller et mon silence / et la fenêtre regardera inutilement / les bateaux et les ponts qui enfilent leurs aiguilles. Je dirai : Il est déjà tard. / Je n'aurai pas de réponse de mes gants ni du peigne, / seulement ton odeur, ton parfum oublié / comme une lettre laissée au verso de la table »). Remarquablement traduite par Silvia Baron Supervielle, cette poésie frappe par sa musicalité heurtée, exsangue et soudain primesautière. La noirceur n'y est qu'un refuge provisoire, pour mieux lézarder ensuite dans la lumière et sentir la douce chaleur de l'indépendance, « ce territoire libre et sauvage et délicat où la poésie est possible et arrive jusqu'à nous comme une flèche d'abeilles... »

Martine Laval

Telerama n° 3152 - 12 juin 2010

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