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Catégories : CE QUE J'AIME/QUI M'INTERESSE, CEUX QUE J'AIME, Chagall Marc, La presse

Chagall, un ange passe

Le Musée du Luxembourg invite Paris à retrouver la magie du peintre russe au temps de sa jeunesse et à se souvenir de son talent original «entre guerre et paix», don dilué au fil des années et du succès.

<:figure class="fig-photo fig-photo-norwd" itemscope itemtype="http://schema.org/ImageObject"><i>Le Salut</i>, 1914. Chagall raconte dans son autobiographie, <i>Ma vie </i>(1958), qu'il évite l'enrôlement dans les troupes grâce au frère de sa fiancée. Le peintre magique de Paris (<i>La Chambre jaune</i>, 1911, avec son basculement, sa vache sur le plancher, sa porte ouverte sur un village éclairé par la lune) est employé dans un bureau de Saint-Pétersbourg. Il observe le désarroi des familles, le va-et-vient des soldats. Dans cette petite huile sur carton si moderne, le visage du soldat est infusé de rouge et le gradé a la pâleur grotesque du cinéma muet.

 
  • Chagall est mort sous les fleurs, comme Albine, l'héroïne de Zola dans La Faute de l'abbé Mouret, qui se suicide en s'asphyxiant avec les fleurs coupées du Paradou accumulées dans la chambre aux Amours. Chagall, le jeune peintre instinctif de Vitebsk, a souffert lui aussi de trop d'amour. Overdose énorme comme un ciel rouge d'opéra (1964). Au point que son succès international, si sonnant et trébuchant, a brouillé sa légende et bousculé son piédestal. Saisons après saisons, les grandes ventes d'art moderne de Londres et surtout de New York finissaient irrémédiablement sur un bouquet géant, corail et dru, volant comme le fantôme d'un grand peintre sur un fond éternellement azur. D'où la gageure et l'intérêt de dresser autrement le portrait d'un artiste presque centenaire qui fut intensément doué, rêveur à tous les âges de la vie et au final indifférent aux diktats de son époque (La Madone au traîneau, 1947, venue du Stedelijk Museum d'Amsterdam avec son tourbillon de cheveux en feu et son enfant auréolé).

  • En s'adjoignant le titre de Tolstoï, l'exposition Chagall entre guerre et paix, au Musée du Luxembourg à Paris, ne joue pas seulement sur les mots. La vie de bien des artistes de ce XXe siècle cataclysmique pourrait revendiquer ce titre d'épopée. Mais Chagall, né Moïshe Zakharovitch Chagalov, en 1887, à Liozna, près de Vitebsk en Biélorussie, incarne plus qu'un autre les aléas de l'Europe en guerre. Malgré le contingentement imposé aux Juifs, il part à Saint-Pétersbourg en 1906 étudier auprès de Léon Bakst. Puis à Paris en 1911-1912 s'imprégner de cet art moderne qui réunit les Delaunay, Soutine, Blaise Cendrars, Apollinaire. Puis à Berlin se frotter à l'avant-garde de Der Sturm. Quand il revient en Russie en 1914, il y reste prisonnier huit ans du fait des circonstances, mais ce sort lui permet de se confronter au grand Malevitch. Son repli vers l'Ouest, en 1920, obéit au danger comme à l'amour de la France et de ses bouquets peints (notre héritage!). Seule la guerre le contraint en 1941 à l'exil à New York, pays des grands formats et des grandes causes proclamées. Son retour en 1949 vers la Riviera aux soleils aveuglants finit un scénario dense comme un roman russe.

    Marc Chagall.

    Marc Chagall. Crédits photo : © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ®© The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence

     

    Une approche du temps arrêté

    Mince, les joues creuses, le nez aquilin et la taille fine pincée dans le costume du jeune homme qui connaît la grande ville, Chagall pose devant un shtetl aux petites maisons basses de bois. Cet Autoportrait devant la maison, 1914, est une huile sur carton marouflé sur toile, matière fluide qui accentue le charme évanescent du jeune peintre au front vert amande et la douceur de la scène primitive. Ce tableau rare sort de sa collection privée pour ouvrir les retrouvailles avec l'œuvre. Toute sa vie, Chagall reviendra par le pinceau à Vitebsk, monde clos qui résiste en bloc à l'adversité, garde son identité par ses ruelles sombres, ses habitants identifiables comme un costume traditionnel, ses animaux domestiqués en famille et sa mignonne architecture de jouet face à l'impériale grandeur russe (La Guerre, 1943, avec son mort couché dans la neige, les bras en croix, dans la rue centrale de Vitebsk).

    <i>Au-dessus de Vitebsk</i>, 1915-1920. Le Musée de Grenoble et le Centre Pompidou ont montré en 2011 la beauté des années russes du jeune Chagall. Habillé de sombre comme la pauvreté, son vieux Juif errant plane dans les airs «au-dessus des maisons», comme le décrit un proverbe yiddish (Polanski reprendra le thème dans Le Bal des vampires en 1967). L'église orthodoxe avec ses bulbes peints et ses pans cubistes, la barrière émeraude qui tend vers la maison rubis (les deux couleurs de l'amour conjugal), la neige universelle qui efface laideur et différences font de ce trésor du MoMA un tableau surnaturel, mélancolique et tendre.

    Au-dessus de Vitebsk, 1915-1920. Le Musée de Grenoble et le Centre Pompidou ont montré en 2011 la beauté des années russes du jeune Chagall. Habillé de sombre comme la pauvreté, son vieux Juif errant plane dans les airs «au-dessus des maisons», comme le décrit un proverbe yiddish (Polanski reprendra le thème dans Le Bal des vampires en 1967). L'église orthodoxe avec ses bulbes peints et ses pans cubistes, la barrière émeraude qui tend vers la maison rubis (les deux couleurs de l'amour conjugal), la neige universelle qui efface laideur et différences font de ce trésor du MoMA un tableau surnaturel, mélancolique et tendre. Crédits photo : © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ®© The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence

     

    <i>Les Amoureux en vert</i>.

    Les Amoureux en vert. Crédits photo : © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL © RMN / Gérard Blot

     

    L'amour, toujours. Par sa brillance, Les Amoureux en vert, 1916-1917, donne à l'amour conjugal la couleur des pierres précieuses. Le rubis à la robe de Bella aux seins ronds et à la taille qui se creuse. L'émeraude au fond uni, travaillé comme une sculpture abstraite. Le bonheur est beau et lancinant comme Bella et Ida à la fenêtre, 1916, où la composition fait basculer la fenêtre et son univers au bleu très doux, comme un bateau qui tangue. Vue de la fenêtre à Zaolchie, près de Vitebska cette approche du temps arrêté propre à la littérature russe, aux notables à la campagne de Tchekhov, désœuvrés et immobiles. Cette introduction paisible donne tout son sens au charivari qui va suivre (La Nuit verte, 1952, avec Chagall veuf au visage grenat et Bella la défunte au visage solaire).

    Une sale farce

    <i>Le Soldat blessé</i>.

    Le Soldat blessé. Crédits photo : © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL © The State Tretyakov Gallery, Moscou

     

    La guerre est-elle une sale farce? Le Soldat blessé dessiné d'une encre très expressionniste en 1914 cligne presque de l'œil comme un Dybbouk (un «esprit» malicieux en yiddish). Le Vieux et La Vieille, qui s'enfuient, semblent sortir d'une estampe japonaise. La maîtrise de cette main qui dessine magnifiquement en 1920, pour Deuil du poète David Hofstein en hommage aux pogroms de 1919 en Ukraine, ne s'oublie pas. Entre guerre et paix, Chagall puise sans fin dans ces sources à la fois graphiques et poétiques, les surcharge et les restitue comme des rêves déballés en vrac sur le divan. L'Exode est à ce titre un incroyable tableau de 1952-1966 qui mêle crucifixion d'un Christ jaune comme chez Gauguin, Shoah avec son peuple gris uni par le sacrifice, Moïse embrassant les tables divines, mariée en blanc, chèvres, shtetl en feu et Vierge à l'enfant (130 x 162,3 cm!). Cette salle du syncrétisme religieux alterne gros monuments et petits bijoux, comme ces deux petites Crucifixion de 1940 (une huile sur toile du Philadelphia Museum of Art, une aquarelle du Moderna Museet de Stockholm). Cela fera oublier toutes les fleurs de Provence.

     


     

     

    Chagall entre guerre et paix, jusqu'au 21 juillet, Musée du Luxembourg (Paris VIe). www.museeduluxembourg.fr

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