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Catégories : Baudelaire Charles, CEUX QUE J'AIME, WATTEAU Antoine

Antoine Watteau, les jeux amoureux de la Régence

 

<i>Les Plaisirs du bain</i> (détail) de Nicolas Lancret, qui reprit avec infiniment de poésie et un grand succès auprès de ses contemporains le thème de la fête galante mis à la mode par Watteau quelques années plus tôt. <i>Crédits Photos: RMN-Grand Palais (musée du Louvre)</i>

Les Plaisirs du bain (détail) de Nicolas Lancret, qui reprit avec infiniment de poésie et un grand succès auprès de ses contemporains le thème de la fête galante mis à la mode par Watteau quelques années plus tôt. Crédits Photos: RMN-Grand Palais (musée du Louvre) Crédits photo : © RMN (MusÈe du Louvre) /

La nouvelle exposition du musée Jacquemart-André évoque «la douceur de vivre», des îles arcadiennes de Watteau aux tendres confidences de Fragonard. La plus belle des promenades parisiennes.

Pour tous, Watteau incarne le XVIIIe siècle. Avec la Pompadour, avec Boucher, Chardin et Fragonard, il figure parmi ces vocables qui définissent une époque. Pourtant, lorsque Watteau meurt, à 37 ans, en 1721, Boucher n'en a que 18, Fragonard n'est pas né, il s'en faut de douze ans, et cette année même, la Pompadour vient au monde. Ainsi Watteau, qui symbolise les émois de la jeunesse au siècle des Lumières, a-t-il vécu toute sa brève existence sous le règne rigoriste de Louis XIV. Il ne l'a suivi que de six ans dans la tombe. Le roi, qui achève son règne dans la lassitude et Watteau, qui porte les temps nouveaux, ont été témoins des mêmes événements. Watteau n'était d'ailleurs le sujet de Louis XIV que de justesse puisque Valenciennes, où il était né en 1684, ne fut annexée à la France qu'en 1678 par le traité de Nimègue.

En 1702, alors que Watteau vient tenter le succès à Paris, la société a changé: de nouvelles classes ont fait leur apparition, issues de la robe ou de la haute finance. Les filles de cette riche bourgeoisie ont pénétré, par leur mariage, dans l'aristocratie. Une véritable osmose s'établit entre ces catégories sociales et les salons parisiens où des femmes d'esprit comme la marquise du Deffand ou Mme Geoffrin reçoivent l'élite intellectuelle de l'Europe. On ne veut plus de peintures épiques ou allégoriques, ces «grandes machines» donneuses de leçons de morale, auxquelles on préfère maintenant de petites peintures décoratives pour garnir les boiseries des salons et des boudoirs. C'est à cette peinture associée au «temps de l'insouciance» que le musée Jacquemart-André consacre son exposition autour du thème de la fête galante, mis à la mode par Watteau mais déjà démodé à la fin de la carrière de Fragonard. Période courte, mais illuminée de chefs-d'œuvre.

Avec la mort du Roi-Soleil et l'avènement de la Régence, le centre de gravité de la France va se déplacer de Versailles à Paris, et tout ce qui se fait de nouveau se fait d'abord en dehors de la Cour. La nouvelle société et les gens du monde vont prendre Antoine Watteau sous leur protection. Il passe d'abord dans l'atelier de Gillot dont il devient l'élève et l'aide. Le maître lui fait connaître le théâtre italien et son esprit mordant. Nul enseignement ne pouvait être plus hostile à l'art du Grand Siècle. Watteau retrouve Pantalon, Arlequin et Isabelle chez son second maître, Claude III Audran. Par lui, il va appliquer son talent au nouveau décor d'agrément et d'intimité où la peinture ne déploie plus les aventures des héros et des dieux, mais fait fleurir les sujets galants.

Les conversations dans un paysage, les dames à la toilette, qui tenteront à plusieurs reprises le pinceau de Watteau et, plus encore, celui de ses successeurs, s'imposent alors. Cette tradition des thèmes amoureux remonte au XIIIe siècle et à sa découverte de l'amour courtois. La cour des Valois fera écho aux «cours d'amour». La préfiguration de l'univers de Watteau se rencontre en effet chez Honoré d'Urfé, dont les amants ne rêvent que d'échapper à la vie quotidienne et de rejoindre l'île enchantée que Watteau baptisera Cythère.

Son travail de la couleur le désigne comme un grand coloriste

Dans ses dessins, plus encore que dans ses peintures, le maître répugne aux nobles volumes; il préfère une ligne affûtée, un griffonis nerveux, des sinuosités rapides (Femme assise tenant un éventail). En somme, un dessin baroque. Ainsi Watteau fait-il écho à la volonté du XVIIIe siècle naissant de renouveler ses sources. Tel est le rôle du génie: aux aspirations encore indistinctes, ébauchées, il va donner corps. Sa vision a exercé un tel ascendant sur ses successeurs que, dès 1720, Pierre-Antoine Quillard, mais surtout Jean-Baptiste Pater et Nicolas Lancret vont s'approprier ses sujets. Avec le Départ des comédiens italiens, Watteau introduit le thème de personnages qui s'avancent, puis tournent, pour finalement s'éloigner. On retrouve ce thème dans Les Plaisirs du bal, puis dans Le Pèlerinage à l'île de Cythère, œuvre qui permit à Watteau d'entrer à l'Académie en 1717 dans un genre créé spécialement pour lui, celui de la fête galante. Bien des détails évolueront, mais l'essentiel est en place: l'univers de Watteau est né. Il donne à sa composition un rythme musical, il dispose les couples par trois, comme dans un menuet, cette danse à trois temps. Son travail de la couleur le désigne comme un grand coloriste, un héritier de Rubens et de la peinture vénitienne du XVIe siècle.

François Boucher, qui admirait Watteau, grava avec ferveur nombre de ses dessins. Mais la comparaison s'arrête là. Dans le cas de Boucher, plus que de fêtes galantes, il s'agit de pastorales, un genre dont il est le créateur. Les protagonistes de ces scènes sont le plus souvent ramenés au couple d'amoureux où la femme n'est plus la Parisienne élégante de Watteau mais une bergère de fantaisie, où les costumes ne sont plus les riches étoffes de la fête galante mais des vêtements rustiques (Les Charmes de la vie champêtre). Ces pastorales, qui connurent un immense succès du temps de Boucher, tombèrent très vite dans le discrédit. La raison en est bien vue par Théophile Gautier qui dénoncera «ce monde idyllique inventé par Boucher à l'usage du XVIIIe siècle, le moins champêtre des siècles en dépit de ses prétentions bocagères. Les moutons sont savonnés, les bergères ont des rubans et les bergers ressemblent à des danseurs d'opéra. Pourtant, tout cela est d'une séduction irrésistible et d'un mensonge plus aimable que la vérité.»

Boucher était le peintre favori de la marquise de Pompadour. Elle avait été élevée à Paris dans le mouvement des idées nouvelles tant en art qu'en philosophie. Elle va apporter l'air de la capitale au roi et à la cour de Versailles. Elle a véritablement l'idée d'un «siècle de Louis XV» et veut tourner à la gloire du règne l'activité des plus grands artistes du temps. Mais surtout, elle va jouer un rôle déterminant dans l'évolution du style qui va marquer le milieu du siècle. Le goût rocaille, aimable et fantaisiste, marque d'abord le triomphe de l'imagination sur la raison. Mais c'est au nom de la raison que, vers 1750, se dessinera une réaction violente qui imposera aux arts le «retour à l'antique». Fragonard en fera les frais.

La Du Barry trouve les tableaux de Fragonard démodés

Il s'était formé dans l'atelier de Boucher, qui se révéla un intermédiaire essentiel entre Watteau et lui. A partir de 1767, il renonça à la peinture d'histoire pour se consacrer à des commandes privées traitant souvent de sujets amoureux, qui sont l'interprétation par Fragonard du thème de la fête galante. Son sens exceptionnel de la fantaisie et de l'illusion lui assure la clientèle de la Cour et de Mme Du Barry, qui succède à Mme de Pompadour comme patronne des arts. En 1770, elle commande à Fragonard quatre grands panneaux pour décorer le pavillon de Louveciennes sur le thème des Progrès de l'amour. Ils marquent le sommet de la carrière du peintre mais témoignent d'un art qui apparaît déjà dépassé au nom du retour à l'antique. A peine installés, les panneaux, qualifiés de «tartouillis», sont tellement raillés que Fragonard, durement touché par les critiques, préfère les reprendre (esquisses pour La Poursuite et La Surprise). Et pourtant, peu d'artistes ont aussi ouvertement recherché dans la peinture l'image d'un rêve personnel. L'apport du thème de la fête galante a contribué à lier l'art à l'idée d'une évasion en soi-même. Alors que pendant des siècles, la peinture s'était pliée à traduire en images les mythes et les dogmes de la collectivité, elle devenait une confidence de l'âme. Pour cela, il avait fallu attendre le XVIIIe siècle et, plus encore, sa rencontre avec la peinture de Watteau.

Musée Jacquemart-André, 158, bd Haussmann, 75008 Paris, jusqu'au 21 juillet 2014.

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