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Catégories : CE QUE J'AIME. DES PAYSAGES, Le Maroc:vie et travail

Filles, mariez-vous coûte que coûte

 

Mentalité conservatrice et manque de volonté politique freinent les réformes du code de la famille et entravent l’application de la loi.

 

 

Dessin de Tiounine, paru dans Kommersant, Moscou

Même si le rôle des hommes et des femmes est en train de changer, des problèmes restent profondément ancrés dans la culture à cause de la mentalité des gens. Il s’agit d’aspects culturels”, souligne Wafaa Bouzekri, membre de l’association Initiatives pour la promotion des droits des femmes (IPDF).

Après la révision de 2004 de la moudawana, le code marocain de la famille, une série de lois dérivées de l’islam sunnite qui réglementent les conventions familiales pour les hommes et les femmes, le Maroc a été présenté comme un modèle de progressisme, contrairement à ses voisins du Maghreb et du Moyen-Orient. Entre autres changements, les Marocaines n’ont plus besoin de l’autorisation d’un tuteur masculin pour signer un contrat de mariage ou déposer une demande de divorce et elles ont été reconnues comme les égales de leur mari en tant que chefs de famille.

Dans le cadre de la révision, l’âge légal du mariage a également été porté de 15 à 18 ans. Le mariage avec une mineure demeure toutefois une pratique courante, car l’article 20 de la nouvelle moudawana stipule qu’une famille peut demander une dérogation à un juge après un examen médical et une “enquête sociale” sur les raisons particulières motivant un mariage avant l’âge légal. Selon un rapport de la Banque mondiale publié en 2014 et intitulé “Dix ans après la réforme du code marocain de la famille : les inégalités entre les hommes et les femmes sont-elles en train de se résorber ?”

[“Ten Years After Morocco’s Family Code Reforms : Are Gender Gaps Closing ?”], 99 % des 44 134 demandes de dérogation faites en 2010 concernaient des mineures, dont 92 % ont été approuvées par un juge. Comme la Banque mondiale l’exprime succinctement, “si le but de la réforme était de réduire le nombre de mariages avant l’âge légal, c’est raté”. Wafaa Bouzekri, qui est également professeur d’études de genre à l’université Moulay Ismaïl de Meknès [dans le nord du pays], estime que cette brèche dans la réglementation, qui permet les mariages de mineures et les unions forcées, est un exemple de plus de l’incapacité des autorités et des législateurs marocains à faire appliquer la nouvelle moudawana. “Aujourd’hui, il est courant que des juges acceptent de marier des filles de 15 à 16 ans, en particulier dans les régions rurales. Même si elles ont l’air d’être des femmes et peuvent se comporter comme telles, elles ont quand même 15 ou 16 ans. On ne devrait pas faire d’exceptions : le mariage devrait être autorisé à partir de 18 ans”, affirme-t-elle.

Les fréquentes manifestations de militants et interventions d’activistes et de spécialistes comme Wafaa Bouzekri attirent de plus en plus l’attention sur une tendance préoccupante au Maroc : si la loi évolue vers une plus grande égalité entre hommes et femmes, ce n’est pas le cas de son application, ni des mentalités. En mars 2012, Amina Filali, une jeune fille de 16 ans, a avalé de la mort-aux-rats après avoir été “contrainte par ses parents et par un juge d’épouser l’homme qu’elle accusait de l’avoir violée sous la menace d’un couteau”, avait rapporté The New York Times. Cette mort tragique a engendré une vague de manifestations dans le pays et suscité la colère des associations féministes et de défense des droits de l’homme.

En janvier 2014, le Parlement marocain a voté l’abrogation [de l’alinéa 2] de l’article 475 du Code pénal, qui permettait à un homme accusé de viol d’échapper à une peine de prison en épousant sa victime. Selon Fatima Sadiqi, une spécialiste marocaine des questions de genre qui enseigne à l’université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès [dans le centre du pays], les ONG se sont mobilisées face aux discriminations à l’encontre des femmes et aux tragédies telles que le suicide d’Amina Filali, mais la réforme a échoué à cause des autorités marocaines et de la sclérose des mentalités. “Le plus gros obstacle à l’application des réformes est une mentalité conservatrice doublée d’un manque de volonté politique, fait observer l’universitaire. Il est vrai que certains facteurs socioculturels stigmatisent les femmes, créent des tabous et nuisent au progrès, mais l’Etat et les juges peuvent y remédier en appliquant la loi.”

En 2013, 22 “acteurs”, parmi lesquels des hauts fonctionnaires, des employés d’ONG et des professionnels de la santé, ont été interviewés pour un rapport publié dans la revue BMC International Health and Human Rights sous le titre “Facteurs déterminants des mariages de mineures et des unions forcées”. Il en ressort que les juges prennent leurs décisions en vue de préserver les jeunes filles mineures ou victimes d’un viol de la honte d’un divorce ou d’un abandon. “Dans ces zones rurales, le regard des voisins est très important. Le père ou la mère disent : je sais que ma fille a été violée, mais je veux qu’il l’épouse. Et le juge les écoute, en particulier dans les campagnes”, explique Wafaa Bouzekri. Cette étude indique par ailleurs que la différence d’âge dans un mariage avec une mineure crée inévitablement un rapport de force qui peut déboucher sur la violence. “Comme la plupart des jeunes mariées sont socialement conditionnées pour ne pas remettre en cause l’autorité de leur époux, elles sont souvent dans l’incapacité de recourir à la contraception ou de planifier leurs grossesses. L’effet cumulé de ces facteurs peut conduire ces femmes à supporter la violence de leur mari sans pouvoir le quitter.”

Education.
Les universitaires et les militants reconnaissent que, compte tenu du contexte social, les amendements de la dernière décennie se heurteront à la résistance tant des citoyens que des dirigeants et que leur mise en place prendra du temps. Pour assurer l’égalité des sexes au Maroc, Wafaa Bouzekri et Fatima Sadiqi pensent que les femmes devront comprendre l’importance de l’éducation et lutter pour leurs droits. “L’éducation est la voie qui mène à la justice sociale. Tant que les Marocaines n’auront pas accès à l’enseignement général et obligatoire, elles resteront à l’écart des postes de pouvoir et d’une position sociale favorisant leur autonomie”, faitobserver Fatima Sadiqi.

Bien que l’analphabétisme ait reculé, un sondage réalisé en 2012 par l’Unicef montre que 74 % des Marocaines ayant entre 18 et 24 ans sont capables de lire et d’écrire, un pourcentage inférieur à celui relevé chez les hommes de la même tranche d’âge, soit 88 %. Pour Fatima, “l’Etat et la société civile doivent déployer encore davantage d’efforts”. Selon le dernier rapport de la Banque mondiale, un sondage réalisé en 2006 montrait que 68 % des hommes et 62 % des femmes étaient au courant de la révision de 2004 de la moudawana et que les pourcentages étaient plus élevés dans les villes que dans les campagnes.Les ONG sont des lieux d’accueil essentiels pour les femmes battues, qui peuvent y recevoir un soutien matériel et psychologique ainsi qu’une aide à l’éducation.

Pour Souad Talsi, fondatrice du Al-Hasaniya Moroccan Women’s Centre, à Londres, la législation est désormais satisfaisante et les prochaines étapes sont l’éducation et la sensibilisation. “On doit sensibiliser les femmes à leurs droits, éduquer celles des zones rurales, parler davantage de la violence domestique sous toutes ses formes et assumer notre rôle et nos responsabilités, dit-elle. Pour participer, il faut être éduqué et autonome.”

—Lynnsay Maynard
Publié le 28 avril2014 dans Your Middle East Stockholm

 

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