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Nous avons aimé hier: Les gratte-ciel (1934) à Villeurbanne

L’invention de la tour européenne (4/30) : 

 

A Villeurbanne, le maire Lazare Goujon et Môrice Ledoux, un jeune inconnu qui deviendra architecte, matérialisent leur rêve en édifiant, de 1930 à 1934, un mini- Manhattan dans cette cité ouvrière proche de Lyon : « Les gratte-ciel ».

Les gratte-ciel de Villeurbanne méritent une attention particulière. Tout ou presque dans leur réalisation et leur histoire a un caractère d’exemplarité et diffère en partie de ce qui se fait alors en France et de ce qui s’est fait depuis. Le maire de la ville, le médecin Lazare Goujon (1869 – 1960), suscite et porte le projet de bout en bout.
C’est le projet éminemment politique d’une Section française de l’Internationale ouvrière qui croit aux vertus du progrès, de l’urbain et de l’architecture pour structurer et réformer la société. Au début des années 1920, Villeurbanne, vouée à l’industrie, n’a pas de centre digne de ce nom (à l’époque une place aménagée en 1835) et, à part des usines, aucun bâtiment n’est susceptible de symboliser son identité face à Lyon, dont l’influence s’étend et qui a déjà annexé les communes de La Croix-Rousse, La Guillotière et Vaise. Comme de nombreux socialistes, Lazare Goujon stigmatise l’insalubrité, surtout celle des logements.
Aujourd’hui, la cohérence du quartier des gratte-ciel laisse entendre qu’elle est le fruit d’un projet dessiné d’emblée et construit tel quel. En fait, son invention et sa réalisation se font au files d’opportunités foncières, financières, habilement saisies ou suscitées, et grâce à la réunion d’équipes efficaces, des hommes capables de combiner technique, architecture, règlement et cadre opérationnel.

Invention de la société d’économie mixte
Ce projet évolue au jour le jour et trouve sa vigueur, son pragmatisme, sa réactivité, son efficacité, voire sa liberté dans la volonté d’aboutir et la force de conviction de ses initiateurs, inscrites dans le long terme. Quand il est élu en novembre 1924, Lazare Goujon pense déjà à un nouveau centre et fourbit ses armes : créations de commissions (finances, travaux publics, voiries), d’une Sem avant la lettre (en 1930), de la SVU (Société Villeurbannaise d’Urbanisme), achat de terrains, conception d’un plan parcellaire de la commune au 1 / 1.000e, etc.
Sa première ambition est de créer un palais du Travail, non pas un temple du labeur, mais un lieu fort, symbole d’accueil des habitants et des associations, avec dispensaire, théâtre, brasserie, piscine (rajoutée plus tard). Le choix du site est exceptionnel, au cœur géographique de la ville. Le concours d’architecture (fin 1927, mars 1928), étendu à la France entière, est remporté le 30 mars 1928 par Môrice Leroux (32 ans), inconnu à Lyon, métreur, dessinateur à Beauvais et Paris (inscrit à l’Ordre comme architecte en 1942), qui connaît de l’intérieur le monde du bâtiment et de l’entreprise. Édifice fondateur – aujourd’hui devenu le TNP (Théâtre National Populaire) -, le palais du Travail tempère sa massivité et sa hauteur par des ailes de hauteurs décroissantes. Suivront bientôt, en vis-à-vis au-delà d’une place, l’hôtel de ville conçu en 1930 par Robert Giroud (1890 – 1943) avec son beffroi central, puis les fameux gratte-ciel, perpendiculaires aux deux premiers.
Trois alignements de six groupes d’immeubles, confiés sans concours à Môrice Leroux, sont construits de 1931 à 1936. Ils sont conclus au nord, de part et d’autre de l’avenue Henri-Barbusse, par deux tours de 19 étages et 60 m de hauteur.
En fin d’opération, le tout dessine au sol ou en plan une tour couchée, crantée, orientée sud-nord. Ces immeubles culminent à des hauteurs inusitées (entre 31,8 m et 38,1 m), modestes aujourd’hui, mais impressionnantes pour l’époque, surlignées par les constructions basses alentour. Certes indissociables de l’ensemble des équipements et des aménagements soignés de la voirie, ils proposent des logements à loyer modéré, de l’habitat social et constituent un nouveau quartier, mais pas n’importe lequel : le centre-ville, fait quasi unique en Europe.

Clin d’œil à Manhattan
Le mot de gratte-ciel colle à ces immeubles et ce n’est pas fortuit, même si cette appellation semble tardive (courant 1942 – 44). Elle renvoie aux grands frères américains, à Manhattan et son tissu de rues dessiné en continu par les façades des tours, un phénomène rare de ce côté de l’Atlantique. Références et influences des États-Unis, mais aussi d’Afrique du Nord, d’Henri Sauvage, etc. se lisent dans l’association des gratte-ciel, des redents et des gradins, ces derniers imposés par des limitations de hauteur et d’épannelages, en partie libérés courant 1930 – 31 par une nouvelle règle faite pour eux. Un parti pris habile a été choisi pour à la fois densifier (1.500 logements en tout), chercher le maximum de linéaire de façade, de premier jour et d’ensoleillement. Idem pour les techniques de construction : comme aux USA, le choix se porte sur une structure de poutrelles d’acier, rivetées et boulonnées.
Pour les immeubles comme les deux tours aux angles triangulés afin de résister aux vents, les briques creuses viennent en remplissage et reçoivent un enduit de ciment vibré. La construction en ossature métallique assure rapidité d’exécution, économie et solidité, mais se cache. La couleur blanche des façades, soulignée à l’époque par une bichromie ponctuelle d’ocres jaune et rouge, ainsi qu’un éclairage très étudié assurent l’unité générale, enrichie de fortes variantes formelles d’un groupe d’immeubles à l’autre. On sent une volonté évidente de constituer un ensemble à partir d’objets d’allure similaire, mais variés dans le détail des balcons, des fenêtres, leur rythme, etc. Au rez-de-chaussée, par exemple, un socle sur deux niveaux réservés aux commerces et entrepôts lie l’ensemble des édifices entre eux, comme les lie aussi le soin apporté aux sols, aux places, aux arbres. C’est une vision globale de l’urbaine dont tous les constituants sont convoqués. Le confort comme modernité sociale s’incarne dans chaque appartement, quelle que soit la variété des configurations et des plans, taillés pour se caler sur les enveloppes : eau y compris chaude, électricité, chauffage central, salle de bains, cuisinière électrique, tout-à-l’égout, vide-ordures, ascenseur, monte-charge…

Des opérations de réhabilitation
Fêté en 2004, le 70e anniversaire de l’opération montre l’évolution des regards : modernes en leur temps, les gratte-ciel émargent à l’histoire et au patrimoine. Certes l’ambition, la volonté d’innover, de proposer et d’incarner des idées généreuses, ainsi que la force de conception frappent encore et restent un modèle de ce que la conviction politique, associée à l’engagement des partenaires, en particulier celui de l’architecte, peut réaliser, surtout quand l’objectif est le bien-être partagé par le plus grand nombre.
Pour l’histoire de l’architecture, de l’urbanisme, la grande idée reste la volonté de construire un centre – ville hygiéniste, moderne, de grande hauteur, à forte identité et densité, mêlant équipements publics et habitat social. Marqués par leurs cousins d’Amérique, ces immeubles illustrent le goût pour le monumental des années 1930 et se rapprochent sur le plan formel du mouvement moderne émergent, qui s’éloigne du plan général classique avec son axe central et ses voies perpendiculaires, ponctué de places, de monuments, de bâti scandé et continu sur rue. Inachevé sur le flanc est, ce projet appelait des extensions qui ne verront jamais le jour. Centripète, il s’articule autour de l’avenue Henri-Barbusse, et tourne presque le dos aux quartiers environnants existants qui, se transformant plus tard, lui rendront la pareille. Ce centre-ville en partie enclavé est peu à peu perçu comme une sorte de manifeste sans équivalent et réelle descendance, à forte valeur patrimoniale, d’où les opérations de réhabilitation et de mise en conformité engagées dans les années 1980 par la mairie (Charles Delfante, architecte), dans le cadre élargi d’un projet de ZPPAU (Zone de Protection du Patrimoine Architectural et Urbain). Ce projet, susceptible de redynamiser à la fois le quartier et de le connecter avec le tissu urbain de Villeurbanne, est poursuivi aujourd’hui, appuyé sur les propositions de Christian Devillers.

Ce feuilleton est réalisé dans le cadre de l’exposition « L’invention de la tour européenne » créée par le Pavillon de l’Arsenal.
Commissaire scientifique : Ingrid Taillandier, architecte et enseignante, Olivier Namias, architecte et journaliste avec Jean-François Pousse, journaliste / Scénographe : Manuelle Gautrand Architecture
Exposition du 14 mai au 4 octobre 2009 au Pavillon de l’Arsenal, entrée libre
En savoir + sur www.pavillon-arsenal.com

Focus

Repères

Maître d’œuvre : Môrice Ledoux
Maître d’ouvrage : Société villeurbannaise d’urbanisme

Calendrier: 1930 – 1934
Adresse : place du Docteur-Lazare-Goujon, avenue Aristide-Briand et avenue Henri-Barbusse – 69100 Villeurbanne
Hauteur en mètres 60 m
Nombre de niveaux :19

http://www.lemoniteur.fr/157-realisations/article/retrospective/682730-l-invention-de-la-tour-europeenne-4-30-les-gratte-ciel-1934-a-villeurbanne

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