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À Saint-Étienne, l’art de vivre rêvé de Chaimowicz(que j'ai visité et dont on parle dans la presse nationale)

PAR ANNE-CÉCILE SANCHEZ · LE JOURNAL DES ARTS

LE 24 FÉVRIER 2023 - 852 mots

SAINT-PRIEST-EN-JAREZ

Le MAMC+ consacre une rétrospective à Marc Camille Chaimowicz, l’un des premiers à avoir ouvert sa pratique à la mode et au design. Sa façon à lui de contester les dogmes esthétiques en vigueur.

Vue de l’exposition « Zig Zag and Many Ribbons... » de Marc Camille Chaimowicz au Musée d’art moderne et  contemporain de Saint-Étienne Métropole. © A. Mole / MAMAC+
Vue de l’exposition « Zig Zag and Many Ribbons... » de Marc Camille Chaimowicz au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole.
© A. Mole / MAMAC+

Saint-Étienne (Loire). Un jean rapiécé épinglé sur un papier peint rose pâle figurant d’oblongs sabliers colorés, au-dessus d’une machine à coudre posée sur une étagère également rose, à côté d’un dessin encadré de Raymond Loewy (une essoreuse à salade)

Présentée dans une alcôve, cette composition est la première séquence de l’exposition consacrée par le MAMC+ à Marc Camille Chaimowicz (né en 1947), dont l’œuvre, qui embrasse la sculpture, l’installation, la performance, la peinture, la vidéo et la photographie, s’aventure résolument dans le champ de la mode et de la décoration.

Dialogue avec la collection
Le zigzag du titre de l’exposition (« Zig Zag and Many Ribbons ») renvoie à cette versatilité extrême, tout en faisant référence à « la tyrannie de l’angle à 90° » dénoncée par le plasticien. De fait, on peut guetter partout l’apparition du motif en dents de scie : sur le tapis mexicain qui décline sa palette de bleus mauves, dans la scénographie en oblique, et jusque dans l’appellation de cette machine à coudre Manufrance, « 120 Zig Zag », commercialisée en 1977. Quant au rébus visuel d’ouverture, digne du vers de Lautréamont (« Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie »), il illustre la démarche de l’artiste, qui très tôt « tourna le dos à l’enseignement académique des beaux-arts pour créer un environnement total, vêtements, papier peint, rideaux, objets… en accord avec sa sensibilité », souligne la directrice du musée, Aurélie Voltz, commissaire de cette exposition. La présence du dessin technique du designer industriel Raymond Loewy correspond quant à elle aux choix opérés par Chaimowicz, en dialogue avec ses propres créations, dans la riche collection du MAMC+ : un sac en cuir « Copacabana » compartimenté signé Shiro Kuramata, un fusain de Picasso (Nu aux jambes croisées, 1905), une superbe tapisserie de Jean Lurçat (Les Quatre Coins), un dessin tardif de Matisse revenu à la spontanéité du premier jet (Thème I Variation 6, 1942)… autant d’affinités, de préférences, de clins d’œil.

Marc Camille Chaimowicz vit depuis l’âge de 8 ans à Londres, où se sont alors installés ses parents ; un père polonais de confession juive, une mère française, catholique, et surtout apprentie couturière. À la fin du parcours, une série d’exercices maternels (piqûres, surfilage, point, faufilage…) sont accrochés au mur tels des tableautins. L’artiste les a conservés, sans doute beaucoup regardés, peut-être chéris – il les montre ici pour la première fois. On peut y voir une de ses inspirations, notamment dans sa façon de se réapproprier la sphère domestique traditionnellement associée au féminin – le trouble de genre n’est d’ailleurs pas absent de son œuvre, comme dans cette photographie Table tableau (1974) où il se met en scène, maquillé, devant le miroir de sa coiffeuse. Chaimowicz occupe aujourd’hui à Londres un étage de l’immeuble conçu par les fondateurs de la Cabinet Gallery, projet architectural et communautaire financé par le mécène, éditeur et collectionneur Charles Asprey.

Boule disco et art de vivre
En France, en dehors de l’exposition que lui consacra le centre d’art de la Synagogue de Delme en 2007, il n’a jamais eu d’exposition d’envergure. Cette rétrospective, la première dans l’Hexagone, se justifie d’autant plus qu’une belle monographie vient de paraître en français aux Presses du réel. Le musée de Saint-Étienne a réuni 80 pièces distribuées dans sept salles : sept scénarios affranchis de tout ordre chronologique, privilégiant plutôt une immersion dans différents moments de son œuvre. Tandis que l’installation Four Rooms (1984), conçue pour le grand magasin londonien Liberty, témoigne, avec sa console d’angle et son paravent ajouré, d’une approche théâtrale tenant le public à distance, la pièce phare de l’exposition, du moins la plus emblématique, est sans doute Celebration ? Realife, créée en 1972. Dans ce décor coloré que surmonte une boule à facettes, le jeune homme accueille alors les spectateurs avec une tasse de thé. La boule disco étincelante est presque devenue, depuis, un lieu commun de la scénographie contemporaine. Mais à l’époque, cette invitation festive à partager un art de vivre à l’instar d’une expérience esthétique allait à contre-courant de la mouvance artistique britannique orientée vers un conceptualisme austère. « En France, il faudra attendre les années 1980 et la création du musée des arts décoratifs pour que le design intègre l’institution », rappelle Aurélie Voltz.

Précurseur, Marc Camille Chaimowicz – qui a aussi enseigné – a certainement fait des émules. On pense à la plasticienne Anne Bourse, dont les installations mélangent l’ornement et le conceptuel. Ou à Laura Owens, qui avait déployé en 2021 sur les murs de la Fondation Van Gogh à Arles un papier peint à la main et sérigraphié sur lequel se détachaient les toiles de l’auteur des Tournesols. Ce dispositif revient à l’esprit avec « La Suite de Varsovie » de Chaimowicz, un ensemble d’une soixantaine de peintures réalisées en 1990 et 1994, lorsque l’artiste reprend ses pinceaux longtemps délaissés. Dans ces petites toiles accrochées sur des panneaux peints au rouleau à motifs, les formes féminines et florales s’épanouissent en même temps que le merveilleux talent de coloriste de l’artiste. 
 

MARC CAMILLE CHAIMOWICZ, ZIG ZAG AND MANY RIBBONS

Jusqu’au 10 avril, Musée d’art moderne et contemporain Saint-Étienne Métropole, rue Fernand-Léger, 42270 Saint-Priest-en-Jarez.

https://www.lejournaldesarts.fr/expositions/saint-etienne-lart-de-vivre-reve-d

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