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Huysmans (1848-1907), plutôt féru de Frans Hals et Rembrandt jusque-là, a avoué combien fut déterminante la découverte de Degas lors de l'exposition impressionniste de 1876, la deuxième du genre. L'artiste de la «commotion» jouira d'un statut particulier dans la critique d'art de l'écrivain, qui admet d'emblée la possibilité d'une double modernité : celle des peintres de la vie moderne, et celle des explorateurs du rêve. Son désir d'échapper aux logiques de chapelle aura toutefois porté tort à Huysmans, dont le massif critique souffre encore d'une méconnaissance relative. Cet ouvrage entend montrer que ce supposé fils de Zola agit davantage, et très tôt, en héritier de Baudelaire, sa véritable autorité, et Gautier, très souvent cité, comme si le romancier de Marthe s'était dès le départ doublé de celui d'À rebours. Le lecteur est ainsi invité à reprendre pied dans un moment particulier de l'art européen et de la sensibilité moderne, à la croisée de la poussée naturaliste…Lire la suite
Au crépuscule du cinéma muet, Julien Duvivier signe un drame maritime éblouissant
La période muette de Julien Duvivier (1896-1967) est actuellement redécouverte et réhabilitée. La Divine croisière, sortie en juin 1929, démontre une puissance narrative et visuelle incroyables que le cinéma sonore mettra quelques années à retrouver. C’est l’époque où le cinéaste alterne entre les adaptations littéraires (Zola, Jules Renard, Henry Bordeaux) et les films religieux (La Vie miraculeuse de Thérèse Martin, 1929) que sa propre absence de foi rend plus universels encore.
Tourné en partie dans un village de Bretagne, La Divine croisière tient à la fois de la fable pieuse et, ce qu’on préfère, de la légende locale : elle raconte le sauvetage d’un navire marchand qu’un armateur sans scrupules a sciemment envoyé pour un voyage au long cours, auquel son mauvais état ne pouvait résister…
Henry Krauss dans La Divine croisière, 1929
Tout est étonnant dans La Divine croisière : la splendeur des cadres, notamment des mouvements de foules en plongée, d’une prodigieuse richesse ; des gros plans sur des visages, d’une précision hallucinante, qui précipitent littéralement le spectateur d’aujourd’hui quatre-vingt-dix ans en arrière ; un montage ultra-cut emprunté, sans doute, au cinéma russe. Mais aussi la puissance d’incarnation des acteurs : Henry Krauss en armateur devenu capitaine d’industrie, d’une férocité sans limite envers ceux qu’il emploie ; Jean Murat en Capitaine au grand cœur ; l’inquiétant Thomy Bourdelle (qui joua Juve pour Feuillade) en marin mutin – dont la fin, en montage alterné sur l’idylle des jeunes premiers, a de quoi surprendre. Bref, une sacrée révélation !
La version restaurée présentée du film a été réalisée par Lobster Films
Le Grand Canal à Venise (détail), 1874, Édouard Manet. Crédits photo : Coll. Part./ Palazzo Ducale di Venezia
Baudelaire, Zola et Malraux croyaient le peintre sous influence espagnole. Une exposition au Palais des doges révèle plutôt une passion pour les maîtres italiens.
Manet, peintre de Venise? Très peu. On ne connaît de lui que deux vues exécutées lors de son dernier séjour, en 1874. De ces deux petites huiles au scintillement de lumières et d'ombres sur un Grand Canal troublé par le passage des gondoles, et qui lui faisait dire «ce sont des culs de bouteille de champagne qui surnagent», une seule, celle de Seattle, est présente dans l'exposition ouverte depuis hier du Palais des doges. L'autre, celle du Shelburne Museum de Vermont, fait défaut. On ne les a vues réunies qu'une fois, à la Fondation Beyeler de Bâle. C'était en 2008. «On a proposé des montagnes de merveilles en échange au Shelburne, mais ce sont des têtes de mule», peste Guy Cogeval, président du Musée d'Orsay et commissaire de «Manet. Retour à Venise».
Dès lors, pourquoi une exposition sur ce thème? Faut-il croire, à la suite de tant de grands noms ayant écrit sur lui, de Baudelaire à Malraux en passant par Zola, qu'Édouard Manet (1832-1883) a avant tout tiré sa modernité de l'Espagne? De la fierté de ce pays, de ses couleurs tranchées, de son présent âpre et où perce encore la sauvagerie. Tout ce sexe et cette mort
liés dans la corrida ou le flamenco… C'est ce à quoi ne s'est pas résolu Stéphane Guégan, spécialiste du peintre et responsable de la dernière rétrospective en date, au Musée d'Orsay.
Si Manet a aimé et travaillé à partir de Vélasquez, Goya ou Murillo, il connaissait surtout leurs œuvres par la gravure. En revanche, il avait accès au Louvre et à de très nombreux chefs-d'œuvre de l'art italien.
Guy Cogeval, président du Musée d'Orsay et commissaire de « Manet. Retour à Venise »
«On a toujours soutenu que la première influence de Manet, c'est l'Espagne. C'est possible. Il y est allé en 1865. Auparavant, lorsqu'il était très jeune, il a pu voir la collection espagnole de Louis-Philippe, présente à Paris jusqu'en 1848 et qui a été dispersée ensuite. Mais s'il a aimé et travaillé à partir de Vélasquez, Goya ou Murillo, il connaissait surtout leurs œuvres par la gravure, explique Guy Cogeval. En revanche, il avait accès au Louvre et à de très nombreux chefs-d'œuvre de l'art italien. Et il a voyagé par trois fois en Italie.»
Alors, Manet peintre sous influence italienne? L'exposition précise ce rapport, moins fait de copies que de citations. Emprunts de détails, de coloris, de tonalités, de touches, toujours très librement choisis et fort précisément agencés dans les compositions. Ce travail de soupesage de l'ensemble de l'œuvre s'avère au final des plus fructueux. «Manet a puisé sans compter ni dissimuler ses petits et grands larcins», écrit Stéphane Guégan dans le catalogue, avant de s'interroger: «Simple béquille formelle ou véritable relance sémantique?» En sortant du Palais des doges, le visiteur sera convaincu que le commissaire penche bien sûr pour la seconde hypothèse. «Nous souhaitons secouer une idée reçue, héritée de la fin du XIXe siècle, qui veut que l'art français ait acquis son indépendance en repoussant résolument les influences de l'Italie, perçue comme la terre d'un classicisme étranger au génie national», lance encore Stéphane Guégan.
Chiot dormant et chat noir
Transportée en barge jusqu'à la place Saint-Marc où elle a été déchargée par un bras articulé puis accrochée sur un mur couleur aubergine, l'Olympia néglige donc, le temps de ce séjour dans la cité lagunaire, son cousinage avec la Maja desnuda de Goya. Et se rapproche de son aînée plus âgée de 325 ans. Manet avait copié la Vénus du Titien pendant son voyage à Florence, en 1857. La rencontre actuelle marque aussi les différences. Le chiot dormant que Titien place aux pieds de sa belle est devenu chez Manet un chat noir s'étirant. De là à insinuer une rivalité d'égal à égal où, par-delà les siècles, deux génies de la peinture s'entendraient comme chien et chat, il n'y a qu'un pas.
Plus profondément, le scandale a changé de nature. La Vénus est une incitation à un comportement matrimonial, même si on ne l'a plus compris comme cela ultérieurement. «Aux Offices, elle a longtemps été cachée derrière un écran», rappelle Guy Cogeval. À l'inverse, l'Olympia est l'exhibition d'un non-dit insupportable: l'existence de la prostituée au sein de la société. Au plan technique, paradoxalement, l'Olympia paraît plus proche de la tradition du dessin tandis que la Vénus semble encore relever du sfumato vincien (lire aussi la chronique d'Adrien Goetz ci-dessous).
Carpaccio et «le charme ingénu des miniatures de missels»
Suit dans l'exposition Le Balcon, dont la grande historienne de l'art Françoise Cachin avait discerné la parenté avec Les Majas au balcon de Goya. Mais ici la toile est rapprochée des Deux Dames vénitiennes de Carpaccio. L'intéressé l'avouait: «J'aime les Carpaccio, qui ont le charme ingénu des miniatures de missels…» Est-ce suffisant pour établir une nouvelle source? Quoi qu'il en soit, l'hypothèse est aussi nouvelle que passionnante. Il en va de même avec le portrait d'Émile Zola mis en regard d'un splendide portrait de jeune homme lisant, par Lorenzo Lotto. Ou encore du Bal masqué à l'Opéra venu de Washington comparé à une fête carnavalesque peinte par le Vénitien Pietro Longhi. Au total, des connivences se nouent ici avec une vingtaine d'huiles de Manet ; jusqu'à la Lola pourtant dite «de Valence».
Rien n'est avéré, mais ces contrepoints provoquent autant de chocs esthétiques. Manque Le Déjeuner sur l'herbe, dont on sait ce qu'il doit au Jugement de Pâris de Raphaël, au Concert champêtre du Titien (resté au Louvre), au Moïse sauvé des eaux de Véronèse et peut-être à La Tempesta de Giorgione. Mais Le Déjeuner faisant partie du legs Moreau-Nélaton, la toile ne peut quitter Orsay. À sa place figure la petite version du Courtauld Institute de Londres.
On aurait donc pu encore filer loin le tropisme italien. Le Portrait de Zacharie Astruc ne cite-t-il pas le même arrière-plan où une femme fouille dans un coffre, comme dans la Vénusd'Urbin? On irait alors jusqu'aux dernières œuvres, tel Le Chemin de fer, où l'on retrouve le chiot de la belle Italienne dans les bras de Victorine Meurent, le modèle d'Olympia. Mais on se prend à souhaiter une plongée comparable aux autres sources de l'art de Manet. Quand le rapprochera-t-on des Hollandais du Siècle d'or ou des artistes français du XVIIIe siècle?
TROIS VOYAGES EN ITALIE
1853: Édouard Manet et son frère Eugène séjournent un mois à Venise. La cité lutte alors contre les Autrichiens. Or la famille du peintre est républicaine. Eugène retrouve dans la Sérénissime l'ambiance frondeuse de Paris.
1857: Cet hiver là, on sait que Manet va jusqu'à Florence où il copie 140 œuvres de maîtres anciens. S'enthousiasme pour les fresques d'Andreas dell Salto. La Vénus du Titien est déjà une icône, d'où son travail de désacralisation.
1874: Séjour vénitien durant l'hiver. Quelques semaines plus tôt, Manet a vu Monet et Renoir au travail à Argenteuil. Devant le Grand canal, il opte définitivement pour la lumière du ciel, les sujets mobiles et la touche brisée des impressionnistes.
Baudelaire, Zola et Malraux croyaient le peintre sous influence espagnole. Une exposition au Palais des doges révèle plutôt une passion pour les maîtres italiens.
Le Musée d’Orsay met en lumière l’œuvre de ce peintre qui a souvent fait scandale. Son art était pourtant bien ancré dans son époque.
Exposition du mardi 5 avril au 3 juillet 2011 au Musée d’OrsaySIPA
Cela faisait vingt-huit ans qu’aucune exposition n’avait été entièrement consacrée à ce peintre prolifique du XIXe siècle. Edouard Manet, dont le nom est parfois confondu avec son contemporain Claude Monet, ne saurait se réduire à la célèbre toile du Déjeuner sur l’herbe, qui fit scandale en son temps. La rétrospective proposée par le Musée d’Orsay, intitulée Manet, inventeur du moderne, vient rompre ce silence et révéler la modernité d’Edouard Manet à travers les liens que son art entretenait avec la culture romantique, aussi bien visuelle et littéraire que politique. Articulée autour de douze thèmes, elle s’attarde notamment sur la formation de l’artiste à l’atelier Thomas Couture, après son refus d’épouser la carrière d’avocat souhaitée par son père, l’influence de Baudelaire et des peintres espagnols Goya et Velasquez, son imaginaire érotique et ses zones d’ombre. L’expo fait la part belle à son art du portrait, notamment des femmes qui ont marqué sa vie : Berthe Morisot, sa belle-sœur, Suzanne Leenhoff, sa compagne, une Néerlandaise aux formes généreuses, et surtout Victorine Meurent, son modèle préféré, qu’il a même peinte en costume d’espada, version féminine du toréador.
Connotations sexuelles
Du côté des figures masculines, il a jeté son dévolu sur des écrivains, notamment le poète Stéphane Mallarmé, dont il était très complice. Les romantiques ont d’ailleurs fortement influencé son œuvre. La toute première toile de sa composition, LeBuveur d’absinthe, illustrait le poème de Baudelaire, LeVin des chiffonniers. Cette peinture fut refusée en 1859 au Salon officiel et annuel de Paris (exposition des artistes agréés par l’Académie des beaux-arts), malgré le soutien de Baudelaire et de Théophile Gautier, car le jury ne la comprenait pas. En 1863, pour la première fois, les peintres refusés ont eu droit à une petite salle annexe : le Salon des refusés. Manet y exposera notamment Le Déjeuner sur l’herbe et Olympia, deux peintures controversées aux fortes connotations sexuelles. Deux ans avant sa mort, en 1865, Baudelaire décrit la peinture de Manet en ces termes : « Il y a des défauts, des défaillances, un manque d’aplomb, mais il y a un charme irrésistible. Je sais tout cela, je suis un des premiers qui l’ont compris. » Edouard Manet a reçu par la suite le soutien d’Emile Zola. Sa toile, Nana, inspirée par la prostituée du roman L’Assommoir, fut, elle aussi, sans surprise, refusée au Salon de 1877. Le peintre et l’écrivain coupèrent les ponts lorsque Zola lui reprocha de verser dans l’impressionnisme, bien loin du réalisme qu’il prisait. Manet s’est alors rapproché de Stéphane Mallarmé, dont il a réalisé le célèbre portrait. Ce lien avec ses contemporains signe là son évidente modernité.
Infos pratiques
Exposition du 5 avril au 3 juillet 2011 au Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, 75007 Paris. Tous les jours sauf le lundi, de 9 h 30 à 18 heures, le jeudi jusqu’à 21 h 45. Tarif plein : 10 €. Rens. au 01.40.49.48.14
Chaque pastiche est traduit de l’anglais par un spécialiste ou un fin connaisseur de l’écrivain pastiché.
Le jardinage est une passion anglaise, dit-on, et la littérature une passion universelle. Il était donc naturel que Mark Crick, londonien et amoureux des livres, les réunisse dans ce troisième recueil de pastiches littéraires qui fait suite au succès des savoureuses recettes de La soupe de Kafka et des surprenants travaux manuels de La Baignoire de Goethe.
Dans Le Jardin de Machiavel, Mark Crick nous initie aux subtilités de l’art du jardinage en compagnie des grands écrivains. Avec le redoutable penseur politique florentin, le lecteur apprendra comment devenir le prince de son jardin. Pablo Neruda lui enseignera que tailler un rosier en automne est la plus élégante manière de se séparer d’un amour d’été. Avec Bret Easton Ellis, il assistera à une frénétique chasse aux pucerons et autres parasites sur les toits branchés de l’Upper East Side…
Mark Crick brille une nouvelle fois par sa fantaisie, son humour et un sens de la dérision jubilatoires. Ses dons graphiques continuent à servir son œuvre : chaque texte est accompagné d’une illustration à la manière de grands artistes, de Munch à Lichtenstein ou Rivera.
CE QU’ILS EN ONT PENSÉ :
« Encore un écrivain qui se nourrit du travail et de la sueur de ses confrères. J’accuse ! » – Émile Zola
« Une influence corruptrice. » – Ibsen
« Cela ne vaut pas un sou. » – Bertolt Brecht
« La fin ne justifie pas les moyens. » – Machiavel
Mark Crick
En raison de l’asthme chronique qui a accompagné son enfance, la première éducation de Mark Crick s’est davantage illustrée par ses absences que par ses succès scolaires. De longues nuits d’insomnie passées à lire à la lueur de la bougie ont remplacé les leçons ; les chevaliers de la Table ronde, J.R.R. Tolkien et Jack London ne quittaient pas le chevet du jeune Crick. Épuisé par ses lectures nocturnes, ce dernier passait ses heures diurnes sur un canapé, à boire du sherry de Chypre et à suivre les aventures de ses camarades de classe : Brer Rabbit, Long John Silver, Héraclès, Gandalf, sans oublier l’endurant Ulysse aux mille tours. Adolescent, il a atterri au lycée Condorcet, à Paris, où il a découvert les écrivains français : Alain-Fournier, Camus, Colette et Cocteau. Plus tard, il a fait des études de lettres à l’université de Warwick et à l’université de Londres. Après avoir travaillé successivement comme employé de bureau, infirmier, enseignant, peintre, décorateur et charpentier, Crick a commencé sa carrière d’auteur en tant que journaliste photographe.
Le Jardin de Machiavel rend hommage à quelques-uns des grands écrivains qui lui ont tenu compagnie pendant ses longues et nombreuses nuits d’insomnie et ses longues heures passées à parler aux roses comme aux cactus.
Baudelaire, Zola et Malraux croyaient le peintre sous influence espagnole. Une exposition au Palais des doges révèle plutôt une passion pour les maîtres italiens.
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Manet, peintre de Venise? Très peu. On ne connaît de lui que deux vues exécutées lors de son dernier séjour, en 1874. De ces deux petites huiles au scintillement de lumières et d'ombres sur un Grand Canal troublé par le passage des gondoles, et qui lui faisait dire «ce sont des culs de bouteille de champagne qui surnagent», une seule, celle de Seattle, est présente dans l'exposition ouverte depuis hier du Palais des doges. L'autre, celle du Shelburne Museum de Vermont, fait défaut. On ne les a vues réunies qu'une fois, à la Fondation Beyeler de Bâle. C'était en 2008. «On a proposé des montagnes de merveilles en échange au Shelburne, mais ce sont des têtes de mule», peste Guy Cogeval, président du Musée d'Orsay et commissaire de «Manet. Retour à Venise».
Dès lors, pourquoi une exposition sur ce thème? Faut-il croire, à la suite de tant de grands noms ayant écrit sur lui, de Baudelaire à Malraux en passant par Zola, qu'Édouard Manet (1832-1883) a avant tout tiré sa modernité de l'Espagne? De la fierté de ce pays, de ses couleurs tranchées, de son présent âpre et où perce encore la sauvagerie. Tout ce sexe et cette mort liés dans la corrida ou le flamenco… C'est ce à quoi ne s'est pas résolu Stéphane Guégan, spécialiste du peintre et responsable de la dernière rétrospective en date, au Musée d'Orsay.
Si Manet a aimé et travaillé à partir de Vélasquez, Goya ou Murillo, il connaissait surtout leurs œuvres par la gravure. En revanche, il avait accès au Louvre et à de très nombreux chefs-d'œuvre de l'art italien.
Guy Cogeval, président du Musée d'Orsay et commissaire de « Manet. Retour à Venise »
«On a toujours soutenu que la première influence de Manet, c'est l'Espagne. C'est possible. Il y est allé en 1865. Auparavant, lorsqu'il était très jeune, il a pu voir la collection espagnole de Louis-Philippe, présente à Paris jusqu'en 1848 et qui a été dispersée ensuite. Mais s'il a aimé et travaillé à partir de Vélasquez, Goya ou Murillo, il connaissait surtout leurs œuvres par la gravure, explique Guy Cogeval. En revanche, il avait accès au Louvre et à de très nombreux chefs-d'œuvre de l'art italien. Et il a voyagé par trois fois en Italie.»
Alors, Manet peintre sous influence italienne? L'exposition précise ce rapport, moins fait de copies que de citations. Emprunts de détails, de coloris, de tonalités, de touches, toujours très librement choisis et fort précisément agencés dans les compositions. Ce travail de soupesage de l'ensemble de l'œuvre s'avère au final des plus fructueux. «Manet a puisé sans compter ni dissimuler ses petits et grands larcins», écrit Stéphane Guégan dans le catalogue, avant de s'interroger: «Simple béquille formelle ou véritable relance sémantique?» En sortant du Palais des doges, le visiteur sera convaincu que le commissaire penche bien sûr pour la seconde hypothèse. «Nous souhaitons secouer une idée reçue, héritée de la fin du XIXe siècle, qui veut que l'art français ait acquis son indépendance en repoussant résolument les influences de l'Italie, perçue comme la terre d'un classicisme étranger au génie national», lance encore Stéphane Guégan.
Chiot dormant et chat noir
Transportée en barge jusqu'à la place Saint-Marc où elle a été déchargée par un bras articulé puis accrochée sur un mur couleur aubergine, l'Olympia néglige donc, le temps de ce séjour dans la cité lagunaire, son cousinage avec la Maja desnuda de Goya. Et se rapproche de son aînée plus âgée de 325 ans. Manet avait copié la Vénus du Titien pendant son voyage à Florence, en 1857. La rencontre actuelle marque aussi les différences. Le chiot dormant que Titien place aux pieds de sa belle est devenu chez Manet un chat noir s'étirant. De là à insinuer une rivalité d'égal à égal où, par-delà les siècles, deux génies de la peinture s'entendraient comme chien et chat, il n'y a qu'un pas.
Plus profondément, le scandale a changé de nature. La Vénus est une incitation à un comportement matrimonial, même si on ne l'a plus compris comme cela ultérieurement. «Aux Offices, elle a longtemps été cachée derrière un écran», rappelle Guy Cogeval. À l'inverse, l'Olympia est l'exhibition d'un non-dit insupportable: l'existence de la prostituée au sein de la société. Au plan technique, paradoxalement, l'Olympia paraît plus proche de la tradition du dessin tandis que la Vénus semble encore relever du sfumato vincien (lire aussi la chronique d'Adrien Goetz ci-dessous).
Carpaccio et «le charme ingénu des miniatures de missels»
Suit dans l'exposition Le Balcon, dont la grande historienne de l'art Françoise Cachin avait discerné la parenté avec Les Majas au balcon de Goya. Mais ici la toile est rapprochée des Deux Dames vénitiennes de Carpaccio. L'intéressé l'avouait: «J'aime les Carpaccio, qui ont le charme ingénu des miniatures de missels…» Est-ce suffisant pour établir une nouvelle source? Quoi qu'il en soit, l'hypothèse est aussi nouvelle que passionnante. Il en va de même avec le portrait d'Émile Zola mis en regard d'un splendide portrait de jeune homme lisant, par Lorenzo Lotto. Ou encore du Bal masqué à l'Opéra venu de Washington comparé à une fête carnavalesque peinte par le Vénitien Pietro Longhi. Au total, des connivences se nouent ici avec une vingtaine d'huiles de Manet ; jusqu'à la Lola pourtant dite «de Valence».
Rien n'est avéré, mais ces contrepoints provoquent autant de chocs esthétiques. Manque Le Déjeuner sur l'herbe, dont on sait ce qu'il doit au Jugement de Pâris de Raphaël, au Concert champêtre du Titien (resté au Louvre), au Moïse sauvé des eaux de Véronèse et peut-être à La Tempesta de Giorgione. Mais Le Déjeuner faisant partie du legs Moreau-Nélaton, la toile ne peut quitter Orsay. À sa place figure la petite version du Courtauld Institute de Londres.
On aurait donc pu encore filer loin le tropisme italien. Le Portrait de Zacharie Astruc ne cite-t-il pas le même arrière-plan où une femme fouille dans un coffre, comme dans la Vénusd'Urbin? On irait alors jusqu'aux dernières œuvres, tel Le Chemin de fer, où l'on retrouve le chiot de la belle Italienne dans les bras de Victorine Meurent, le modèle d'Olympia. Mais on se prend à souhaiter une plongée comparable aux autres sources de l'art de Manet. Quand le rapprochera-t-on des Hollandais du Siècle d'or ou des artistes français du XVIIIe siècle?
TROIS VOYAGES EN ITALIE
1853: Édouard Manet et son frère Eugène séjournent un mois à Venise. La cité lutte alors contre les Autrichiens. Or la famille du peintre est républicaine. Eugène retrouve dans la Sérénissime l'ambiance frondeuse de Paris.
1857: Cet hiver là, on sait que Manet va jusqu'à Florence où il copie 140 œuvres de maîtres anciens. S'enthousiasme pour les fresques d'Andreas dell Salto. La Vénus du Titien est déjà une icône, d'où son travail de désacralisation.
1874: Séjour vénitien durant l'hiver. Quelques semaines plus tôt, Manet a vu Monet et Renoir au travail à Argenteuil. Devant le Grand canal, il opte définitivement pour la lumière du ciel, les sujets mobiles et la touche brisée des impressionnistes.
«Manet. Retour à Venise», jusqu'au 18 août. Catalogue Skira (uniquement en italien), 275p. 48 €. Tél.: + 39 041 8520154.
Baudelaire, Zola et Malraux croyaient le peintre sous influence espagnole. Une exposition au Palais des doges révèle plutôt une passion pour les maîtres italiens.