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Catégories : Livre

De François Mauriac à Robert Bresson

Anne Wiazemsky raconte comment, à 17 ans, elle fut choisie par Bresson pour jouer dans « Au hasard Balthazar »

 

Rien n'est plus difficile, pour un écrivain parvenu à la pleine possession de ses moyens, que de reconstituer, sans le fausser par les rajustements de l'expérience, l'état de fragilité, de précarité psychologique traversé dans l'adolescence. Le danger serait de le raconter de haut, avec l'autorité du jugement. Or Anne Wiazemsky raconte son histoire d'autrefois en restant au niveau de ses émotions d'autrefois : c'est le miracle de ce livre. Elle se met dans la peau, les yeux, le coeur d'une jeune fille de 17 ans qui se trouve dans la presque intimité d'un monstre sacré (65 ans, cheveux blancs). Bresson ne l'a pas seulement choisie : il ne se contente pas de la diriger, il entend la former, la façonner, la plier à sa volonté, la déconstruire et reconstruire à sa guise, avec une souveraineté manipulatrice qui frise la tyrannie.
Il est vrai qu'Anne n'est pas la première venue : elle est la petite-fille de François Mauriac. Ce qui complique les choses pour elle. A cette époque, on voyait d'un mauvais oeil, chez les grands bourgeois, leur enfant se risquer dans les milieux forcément louches du cinéma. Que de pièges pour sa vertu... La jeune fille les déjouera avec la virtuosité de l'innocence, quitte à franchir le pas redouté par sa mère : ce qui donne lieu à une délicieuse scène de comédie, entre mère et fille, un morceau d'anthologie pour comprendre les moeurs de 1965.

Les portraits de François Mauriac (oh ! ce regard «à la fois tendre et féroce, qui avait le pouvoir de décontenancer tout le monde»), de Robert Bresson, exigeant jusqu'au sadisme, sujet néanmoins à des accès de faiblesse, de Pierre Klossowski, figurant dans le film, tout cabossé et avec l'air d'un crabe, du jeune Jean-Luc Godard, venu sur le tournage en visiteur, la mauvaise volonté de l'âne, second héros du film, tout ce pittoresque relaté avec saveur et drôlerie fait de ce livre un document inappréciable. L'essentiel, pourtant, est ailleurs : dans l'évocation de ce bref passage de l'enfant à l'adulte.
Imaginez cette actrice débutante : elle n'était jamais sortie de sa famille catholique, très enveloppante, sinon étouffante, et la voilà lancée dans le monde des faux-semblants, sous la direction toutefois d'un homme droit et vrai, modèle de rectitude malgré son absolutisme. Première contradiction, premier trouble. Elle profite du fait qu'elle est en vacances de son foyer pour devenir femme, à l'aide d'un jeune gars de l'équipe. Deuxième mutation. Revenue parmi les siens, elle s'aperçoit qu'elle est devenue radicalement autre. Grâce au cinéma, qui prend ici figure de symbole : avant de monter sur le plateau, elle se tenait dans l'ombre de sa famille. Une fois sous les projecteurs, elle découvre la lumière d'une nouvelle vie.
« Jeune Fille »n'est pas seulement l'histoire des débuts d'Anne Wiazemsky dans un métier qu'elle illustrera avec un talent notoire. Si ce livre est aussi émouvant, c'est qu'il est celui de toutes les jeunes filles, l'histoire universelle du passage d'un âge à un autre, le récit de l'initiation au bout de laquelle on cesse d'appartenir à son milieu d'origine pour n'être plus que soi-même.


«Jeune Fille», par Anne Wiazemsky, Gallimard, 224 p., 16,90 euros.

Née en 1947, Anne Wiazemsky, comédienne et romancière, a tourné avec Godard, Pasolini, Deville, et reçu le grand prix du roman de l'Académie française en 1998 pour « Une poignée de gens ».

 



 

Dominique Fernandez

Le Nouvel Observateur - 2201 - 11/01/2007

 

http://livres.nouvelobs.com/parutions/p2201/a2201_062.html

 

Commentaires

  • J'ai tenu un journal intime aussi à cet âge là. 17 ans.
    C'est vrai qu'on ne connais pas grand chose d'autre que sa famille à cet âge et que l'on va à la découverte d'autres mondes.
    Son livre doit être intéressant. Je prends les coordonnées.

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