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J'ai aimé la semaine dernière au Musée d'Agen:La donation Aboussouan

Par Marie-Dominique Nivière
Extrait de Visions d'Orient, des cités mésopotamiennes à la Jérusalem des Croisés

Une exceptionnelle donation d’archéologie orientale – près de 1600 pièces – est désormais présentée au musée des Beaux-Arts d’Agen grâce à la générosité du diplomate libanais Camille Aboussouan.

Constituée sous les auspices de la légende de l’Enlèvement d’Europe, princesse phénicienne que Zeus séduisit avant de la déposer en Crète, carrefour des civilisations africaine, asiatique et européenne, la collection Aboussouan, marquée par la double origine du donateur (français par sa mère, libanais par son père), rappelle les liens étroits et historiques entre l’Orient et l’Occident ; elle constitue aujourd’hui un des aspects majeurs de la section archéologique du musée.
Camille Aboussouan a commencé très jeune à acquérir des objets sur le marché de l’art, provenant principalement du Liban, de la Syrie et de l’ancienne Mésopotamie. Figurines féminines, chars miniatures ou animaux de terre cuite, tablettes cunéiformes, bijoux, précieuses verreries ou vaisselle quotidienne, armes et outils de bronze, monnaies : tous ces objets sont d’émouvants témoignages de la vie quotidienne, des usages et des croyances des populations qui ont vécu dans cette région du monde du IVe millénaire av. J.-C. jusqu’à l’époque des Croisades. Ils permettent de suivre les grandes évolutions historiques, culturelles et techniques qui ont marqué l’Orient ancien, berceau de la civilisation occidentale.
Parmi les pièces les plus remarquables de la donation, celles datant des âges du Bronze et du Fer (du IIIe au Ier millénaire) méritent une attention toute particulière.

Figures de la fertilité
Dans cette collection, les plus anciennes représentations anthropomorphes de l'âge du Bronze proviennent de Syrie. Ces petites figurines d’argile modelées à la main – femmes nues au profil singulier en « bec d’oiseau » ont souvent les deux mains ramenées sous la poitrine en un geste symbolique de la fertilité. Ces figurines sont généralement associées au culte d'Ishtar, grande divinité de la fertilité, sans toutefois représenter la déesse elle-même, l'interprétation la plus courante les assimilant à des ex-voto.
De la fin de l'âge du Bronze (fin du IIe millénaire) aux premiers siècles du Ier millénaire, et malgré de profondes mutations historiques et politiques, les ateliers semblent avoir continué à produire, selon les mêmes traditions et techniques, modelage et estampage, un répertoire identique, en majorité constitué de ces « figurines féminines nues » et aussi de taureaux, de chevaux ou de cavaliers.
Figure dominante dans le bestiaire d’argile, celle du taureau semble aussi témoigner de croyances et de cultes liés à la fécondité et à la fertilité. Le taureau, est, en effet, associé au populaire dieu Ba’al, dieu guerrier de l'orage et de la pluie bienfaisante. L’animal rappelle la force de l’orage, son beuglement celui du bruit du tonnerre, et partant, la fertilisation de la terre qu’amène la pluie après l’orage.
Des modèles réduits de chars, en terre cuite, à deux ou à quatre roues, illustrent également les changements intervenus dans les transports des marchandises : avec l’invention de la roue dont l’emploi se répand dès le IVe millénaire, les chariots, tirés par des bœufs ou des ânes, vont permettre vraisemblablement de développer une économie à une échelle différente.

L’invention de l’écriture
Au IVe millénaire, l’Orient voit « naître » les villes, l’écriture et, progressivement, l’État, alors que dans nos régions occidentales s’achève à peine la néolithisation. L’écriture apparaît en Mésopotamie vers 3300 av. J.-C. et répond d’abord à des impératifs de gestion et de comptabilité. Le musée expose une série de 14 tablettes (textes administratifs, contrats de vente) dont la plus ancienne, une tablette pictographique, date du début du IIIe millénaire.
Le système très complexe de l’écriture cunéiforme, son grand nombre de signes nécessitant un très long apprentissage pour en posséder la maîtrise, en réservait l’usage à une caste, garantissant ainsi le pouvoir des élites politiques et religieuses. L’alphabet phénicien transmis aux Grecs et à l’origine de notre alphabet, plus performant car restreint à 22 consonnes, fut inventé au Ier millénaire : une flèche de bronze inscrite en phénicien archaïque datée des années 1100 avant J.-C., récemment acquise par le Musée, témoigne de ce nouveau système d’écriture. « En faisant passer le nombre de signes de l’écriture de plusieurs centaines à trente puis vingt-deux, cette invention ouvrait la voie à la possibilité pour le plus grand nombre d’apprendre à lire et à écrire et, au-delà, d’avoir accès à la connaissance et ainsi, potentiellement, au pouvoir. » (Sophie Cluzan, catalogue d'exposition, p. 55)

Une vaisselle de luxe


La vaisselle en terre cuite est surtout représentée par des vases datant du IIIe millénaire, provenant en très grande majorité de la région du Moyen Euphrate, de part et d’autre de l’actuelle frontière entre la Syrie et la Turquie. Ces vases sont, pour les grandes pièces, des poteries de luxe, comme la céramique à décor peint de bandes rouges ou la céramique « métallique » noire, évoquant les récipients en métal ; cette vaisselle provient vraisemblablement de tombes d’individus ayant appartenu à l’élite sociale.

La technique métallurgique, une longue tradition en Orient
Dès le IVe millénaire, les débuts de l’urbanisation favorisent le développement de l’industrie métallurgique, en particulier pour la production de produits de luxe. Les objets de l’Age du bronze donnent une bonne idée de la production courante dans la région syro-palestinienne de cette époque : le cuivre était utilisé pour fabriquer des armes, des outils, de la vaisselle de luxe, ou des objets de parure mais aussi des sculptures, dieux ou déesses, figurines humaines ou animales.

Périodes hellénistique et romaine : un autre versant de la collection


La donation compte également un grand nombre de belles pièces de verrerie du Ier au Xe siècle ap. J.-C. qui reflètent la romanisation dans les modes et les manières de vivre. Des figurines en terre cuite, dont la tradition se poursuit durant l’Antiquité, révèlent également une grande influence d’abord de la culture grecque, puis de la culture romaine, désormais bien implantées au Proche-Orient. Cependant, des divinités gréco-romaines comme Eros ou Hermès cohabitent avec des divinités d’origine égyptienne comme Harpocrate ou Tanit, célébrée à Tyr et à Carthage ; elles traduisent les liens qui se sont tissés entre culture locale et cultures importées…


L’évocation rapide d’une partie de la donation Aboussouan montre la qualité et la cohérence d’un ensemble patiemment acquis au cours d’une vie. Cette collection fait dorénavant du musée d’Agen le troisième musée de France dans le domaine de l’archéologie orientale après le musée du Louvre et le Musée de Lyon, et le premier en Aquitaine et dans le grand Sud-Ouest.




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Une collection « à domicile »
Architecte à Bordeaux, Véronique Siron a été chargé de la scénographie de l'exposition Aboussouan.

« Le musée des Beaux-Arts d’Agen est une grande maison, une maison faite par les collectionneurs qui l’ont choisie pour accueillir leurs collections particulières. Celle de Camille Aboussouan est entrée au musée en 2002, il l’a accompagnée jusque dans la grande salle, initialement salle du Tintoret. Sa collection de 1600 pièces se déployait jusqu’à cette date dans l’intimité de son domicile. L’idée fut de faire glisser cet ensemble de l’espace du collectionneur à celui d’une salle de musée choisie pour ses proportions et ses aménagements "domestiques" : d’une maison à une autre, afin que le public ressente encore un peu de l’intimité qui existe entre un collectionneur et sa collection. Vitrines aux socles rouges et aux plateaux de médium brut, matériau qui épouse la douceur des terres cuites et met en relief les pièces en bronze, éclairage par des suspensions diffusant une lumière douce et étale : la muséographie s’efface devant les œuvres tout en laissant flotter cette impression d’être reçu "chez quelqu’un". »

http://musees-aquitaine.com/articles/index.php?id=18&id_musee=80&type=2

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