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Catégories : CEUX QUE J'AIME, Truffaut François

Truffaut était-il petit bourgeois ?

 

Cinéma | Cinéaste installé, François Truffaut s'est engagé tout au long de sa vie dans des combats qui le menèrent de droite… à gauche.

Le 28/10/2014 à 16h00
Mathilde Blottière

Francois Truffaut lors de la manifestation rue de Courcelles, siege... Francois Truffaut lors de la manifestation rue de Courcelles, siege de la Cinematheque à Paris le 30 mai 1968 - Photo : PARIS-JOUR/SIPA

François Truffaut lui-même situait sa place dans le cinéma français à « l'extrême centre ». De fait, le « gentil » de la Nouvelle Vague n'est pas précisément connu pour ses prises de position révolutionnaires. Les grandes idées, les principes, il s'en méfie autant que les postures d'artiste. Devenu assez vite un cinéaste installé, Truffaut n'a pas la fibre radicale de Godard. Il préfère filmer l'embrasement des sentiments plutôt que les fièvres collectives. Et quand arrive la saison des Césars, il récolte sa moisson (dix pour Le Dernier Métro) sans bouder son plaisir.

Mais s'il s'est longtemps dit apolitique, sa trajectoire, elle, va clairement de droite à gauche. Dans les années 50, quand il débute dans la critique, il ne ressemble guère à l'intellectuel « rive gauche » : il écrit dans Arts, un magazine proche des « hussards » et n'hésite pas à émettre des avis plutôt réacs (en matière de censure par exemple). Puis, notamment sous l'influence de son amie Helen Scott, militante de l'extrême gauche américaine, Truffaut évolue. Il devient plus sensible aux idées progressistes, mais sans jamais adhérer pour autant à un quelconque parti – à Télérama, qui lui propose un jour de répondre à un questionnaire sur « les artistes et la politique », il répond ironiquement se refuser systématiquement à « l'action oppressive de toute idéologie gauchiste ». En 68, s'il est de ceux qui obtiennent l'annulation du festival de Cannes en solidarité avec les étudiants et les ouvriers en grève, il regarde rougeoyer le mois de mai derrière sa fenêtre, de loin. En 1974 puis en 81, il soutient Mitterrand mais le fait sans passion, voyant en lui « un acteur non inspiré mais solide » du « spectacle » de la politique. Que reste-t-il alors de l'adolescent fougueux et frondeur chez le réalisateur embourgeoisé ? Il suffit que l'on touche aux trois grandes causes de sa vie pour le voir à nouveau débouler : le cinéma, les enfants et la liberté d'expression.

La défense d'Henri Langlois

Truffaut ne vote pas. Ce qui ne l'empêche pas d'être de plus en plus farouchement opposé à la politique culturelle de de Gaulle et de son Ministre, André Malraux. En 62, à la veille du référendum sur l'élection du président de la République au suffrage universel, il écrit à son amie Helen Scott : « Un peuple qui s'apprête à dire « Oui » à de Gaulle est un peuple qui se fout complètement que la culture disparaisse ou non, donc qui se fout de mes films ».

En 1967, il refuse la Légion d'honneur que lui propose Malraux. En février 68, le Ministère de la Culture tente de circonvenir l'action d'Henri Langlois, le fondateur et directeur de la Cinémathèque française. Au lieu de prolonger le mandat d'Henri Langlois, piètre gestionnaire mais figure tutélaire de la cinéphilie française, le nouveau président de la Cinémathèque propose de le remplacer. Une vraie bombe lancée au milieu des bobines. Les jeunes Turcs de la Nouvelle Vague, la rédaction des Cahiers mais aussi de prestigieux représentants du cinéma d'avant (Renoir en tête), montent au créneau pour défendre Langlois, et à travers lui, une certaine idée du cinéma. En plein tournage de Baisers volés (qu'il dédiera finalement à Langlois), Truffaut lâche tout pour prendre la tête des frondeurs. En première ligne, il anime le Comité de défense de la Cinémathèque et, dans les manifestations, retrouve l'ardeur bagarreuse de son adolescence. Cette bataille qu'il mènera jusqu'à la victoire (le 22 avril 68, Langlois est reconduit à l'unanimité), Truffaut s'en souviendra toujours comme l'une des périodes les plus excitantes de sa vie : une véritable cure de jouvence.

 

L'enfance maltraitée

Truffaut est toujours resté fidèle à son enfance. Une enfance « boîteuse », sans amour et livrée à elle-même. « Mes films sont une critique de la façon française d'élever les enfants, déclarait-il à la sortie de L'Argent de Poche. Je ne m'en suis rendu compte que peu à peu, en voyageant. (…) En Turquie, pays pauvre, l'enfant est sacré. Au Japon, il est inconcevable qu'une mère puisse marquer de l'indifférence pour son fils. Ici, les rapports enfants-adultes sont toujours moches, mesquins ». Son cinéma est un véritable refuge pour bambins perdus ou martyrisée. Et l'on sait la patience infinie dont il faisait preuve avec ses petits acteurs, de Léaud aux gamins de L'Argent de poche en passant par Jean-Pierre Cargol (L'Enfant Sauvage). On connaît peut-être moins son engagement pour l'enfance maltraitée. Ainsi, il profite de sa notoriété pour déclencher un débat sur le sujet à la fin des années 60, interpeler les politiques et réclamer plus de sévérité pour les « parents frappeurs ». Il est également membre des comité de parrainage du Secours populaire et des bienfaiteurs de SOS Villages d'enfants.

“La Cause du Peuple”

20 juin 1970. Dans la rue, aux côtés de Sartre et Beauvoir, Truffaut n'a pas vraiment l'air d'un activiste dans son petit costume gris. Mais il est là, et comme les autres, il distribue à qui veut La Cause du Peuple, journal officiellement interdit. Maoïste, Truffaut ? Pas une seconde mais s'il a répondu présent, c'est 1) parce que Sartre est à ses yeux un modèle de cohérence politique, « un homme à l'engagement quotidien et placide » qui sait mettre ses actes au diapason de ses idées, 2) par attachement viscéral à la liberté de la presse. D'aucuns le moquent en « gauchiste d'occasion », petit bourgeois égaré chez les rouges, mais l'auteur de Fahrenheit 451 tient bon. En septembre 70, devant la Cour de Sûreté de l'Etat, il se justifie en ces termes : « Je n'ai jamais eu d'activités politiques, et je ne suis pas plus maoïste que pompidoliste, étant incapable de porter des sentiments à un chef d'Etat quel qu'il soit. (…) Il se trouve seulement que j'aime les livres et les journaux ».

C'est dans le même esprit qu'il faut comprendre son engagement antimilitariste. L'ex engagé volontaire pour l'Indochine devenu déserteur un an plus tard ne porte pas l'armée dans son coeur. Quand, en septembre 1960, il signe le « Manifeste des 121 », déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie, Truffaut est mu par son aversion pour l'armée plus encore que par la cruauté de cette guerre coloniale.

Un mois totalement Truffaut
Du 1er au 31 octobre, Télérama.fr se pose chaque jour une question sur l'homme de la Nouvelle Vague, le père de L'Enfant sauvage, le lecteur assidu, le critique intransigeant, le cinéaste qui aimait les femmes… Retrouvez tous nos articles ici.

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