«MOON, 66 QUESTIONS»
de Jacqueline Lentzou (visible sur Mubi)
Pour son premier long, la cinéaste Jacqueline Lentzou débarque forte du langage qu’elle a façonné dans ses courts (dont Hector Malot: The Last Day of the Year, sélectionné à Cannes en 2018). Des films à la beauté brute lo-fi, un peu opaques, plus impressionnistes que narratifs, à l'affût du sacré dans le quotidien. Cela en fait une petite sœur grecque de Chantal Akerman tant on imagine un enfant sauvage derrière la caméra. La difficulté est de tenir ce procédé, propice au format court, sur la longueur. Pari réussi de Moon, 66 Questions car il transforme sa situation mélodramatique de départ en puzzle ésotérique mais incarné, en film d’été jonché d’éclats d’hiver: une jeune femme, Artémis, revient s’occuper de son père, Paris, malade d’une sclérose en plaque. L’occasion de renouer après la distance et les malentendus, sauf que Lentzou propose un collage de stratégies obliques pour contourner l’attendu lavage de linge sale en famille. La lune du titre est celle du tarot, qui rythme le film au fil de chapitres au nom de cartes du jeu. Des stations loin de la coquetterie (yassou, Wes Anderson), puisqu’on reste à la hauteur du personnage enfantin d’Artémis, en quête de manières de lire et interpréter son monde: elle se promène loupe à l’œil; elle revoit les home movies en VHS filmés par papa. Dans ces moments, on entend sa voix off lisant son journal intime sans jamais illustrer les archives de son géniteur — les souvenirs parasitent d’autres souvenirs, comme dans la vie. Moon, 66 Questions a l’impatience, typique et touchante, de la cliente de diseuse de bonne aventure et du cinéaste voulant tout mettre dans son premier film. Mais, comme Artémis, déesse de la chasse, elle vise droit et juste au cœur. L.S.
Photo: Luxbox