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Catégories : Le paysage

Lu:Canaletto, de Venise à la Tamise

Par Eric Bietry-Rivierre
29/11/2010 | Mise à jour : 12:36

L'Entrée du Grand Canal,vu de l'est, avec l'églisede la Salute,Canaletto, 1744. (2010, Her Majesty Queen Elizabeth II /The Royal Collection/NG)
L'Entrée du Grand Canal,vu de l'est, avec l'églisede la Salute,Canaletto, 1744. (2010, Her Majesty Queen Elizabeth II /The Royal Collection/NG)

La National Gallery compare le maître à ses rivaux en réunissant les meilleures vues de la Sérénissime, massivement collectionnées par l'aristocratie anglaise au XVIIIe siècle. 

Venise ne serait donc plus en Italie? Le Grand Canal se jetterait-il dans la Tamise? On se pince en visitant actuellement la National Gallery. Le musée réunit 42 des plus belles vues de la Sérénissime dues à Canaletto, et 18 autres de ses contemporains et rivaux, tels que Luca Carlevarijs, Michele Marieschi, Bernardo Bellotto et Francesco Guardi. On ne savait pas Albion si perfide qu'elle ait pu dissimuler des pillages italiens comparables à ceux de Napoléon. Elle a en réalité amassé ces trésors tout à fait régulièrement.

Au XVIIIe siècle, les Anglais inventent le tourisme. Dans le sillage des artistes accomplissant le Grand Tour - ce pèlerinage sur les lieux historiques de l'Antiquité et de la Renaissance -, les jeunes aristocrates britanniques mettent le cap au sud. Eux aussi entendent gagner des lettres dans le voyage et, surtout, de beaux souvenirs, pas toujours avouables. Venise, qui a bâti sa richesse sur le commerce avec l'étranger et qui sait se montrer généreuse de ses charmes, leur tend les bras. De cette séduisante et peu farouche maîtresse, on ramène volontiers le portrait. Une veduta en guise de carte postale.

Le marché de ces peintures de paysages urbains saisis à vol d'oiseau fleurit. Devient une mode. Rares sont les Italiens à s'intéresser à ce genre mineur, quasi méprisé, pour une société qui peut à juste titre s'enorgueillir de ses Bellini, Titien, Tintoret, Véronèse… Mais les Anglais se les arrachent. À Londres, le marchand et collectionneur Joseph Smith développe et contrôle la filière, fournit la famille royale ainsi que sa cour.

Puisque, sur son rivage, Antonio Canal (1697-1768) demeure incompris, il entreprend son Grand Tour: à l'envers, vers le client. À partir de 1746, il séjourne à plusieurs reprises en Angleterre, pour une durée totale d'environ dix ans. Il y peint de mémoire, parfois à une cadence d'ouvrier, car le goût pour sa chère lagune ne se dément pas.

La qualité s'en ressentira, les compositions deviennent répétitives. Toutefois, toutes ses œuvres trouveront leur amateur. Et une bonne place dans les plus riches demeures du Sussex ou du Devonshire. C'est là, à Woburn, dans les salons des ducs de Bedford, ou à Uppark, dans la country house des Fetherstonhaugh, que la National Gallery est allée les emprunter. Au total, l'île conserverait environ deux cents peintures de Canaletto, soit plus de la moitié de sa production estiment les spécialistes. Pour sa part, Venise n'a acquis que deux toiles très tardivement, à la fin du XXe siècle, ce qui est loin de réparer l'ingratitude.

 

Magie surréaliste 

 

En attendant, la sélection de la National Gallery démontre que le maître était bien celui qu'on croyait. Il y a une sorte de magie surréaliste dans ses églises et ses canaux. Plusieurs qualités expliquent cela. D'abord, la passion pour le détail minutieux et vrai. Voilà, comme sous la lentille d'un microscope, la foule de Goldoni qui fourmille de quais en places, de cours en gondoles. Pauvres ou riches sont représentés dans leur quotidien, mais aussi, bien sûr, lors des fêtes fastueuses et hautes en couleur dont la cité a le secret: carnavals, cérémonies d'investiture du doge et autres Fêtes-Dieu. Pas une plume ne manque sur les chapeaux…

Pour autant, aucune composition n'est un simple arrêt sur image. En fait, Venise, par une fine distorsion de la perspective, se déploie toujours plus grande, plus vaste, plus majestueuse. Sous la main d'un artiste ayant débuté dans la réalisation de décors de théâtre, elle est subtilement idéalisée. Et il n'est pas facile de s'extraire de ce pittoresque pour discerner ce discret mais omniprésent rehaut visuel qui fonde le charme.

Autrement, Canaletto exploite en virtuose les lumières et reflets si particuliers de la lagune. Au-dessus du chatoiement des joutes nautiques, des cortèges et des processions, les ciels occupent une place immense. Leur ampleur et leur douceur sont des moyens sûrs pour trouver qui, parmi les challengers de Canaletto, se révèle le meilleur. Penchons pour le vaporeux Francesco Guardi (1712-1793). Il aura été, en tout cas, le principal héritier du maître. Par lui, le plus aimant des enfants de Venise touche à Turner, à Corot, à Manet, voire à l'impressionnisme.

Jusqu'au 16 janvier à la National Gallery de Londres. Catalogue RA/Mercator en français, 192 p., 20 £.

 

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