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Catégories : La poésie

Poésie: Vue sur le vers libre

Par Claude Duneton.
 Publié le 31 mai 2007
Actualisé le 31 mai 2007 : 11h16
LA POÉSIE ne manque pas de bras, elle manque de bouches pour la proférer, et d'oreilles pour l'entendre. Du moins la « poésie pour l'oeil », celle qui s'effrite en phrases tronquées sur une feuille de papier, héritée des vieux grands-pères surréalistes, du temps qu'ils portaient des moustaches courtes et voulaient épater le bourgeois. Il n'y a plus de bourgeois au sens où ils l'entendaient : aujourd'hui ce sont les riches qui sèment l'anarchie et veulent épater le prolétaire ! Il n'existe plus de moustaches non plus, ni effilées à la Dali, ni bien sûr en brosse - Adolphe les a tuées... Mais il existe toujours une poésie graphique, pour la vue, qui s'étale sur le papier complaisant, censée jaillir d'inconscients fumeux qui ne disent rien à personne.
La véritable poésie, n'en déplaise, a toujours été « pour l'oreille », comme le cri et le sanglot. Imaginez-vous un cri « pour l'oeil » ? Imaginez-vous une société autiste au point de ne rien éructer de ce qu'elle ressent d'intime ? Bien sûr il y a la chanson ; la poésie a repris dans la chanson son vieux chemin bordé de chèvrefeuilles. Et puis de jeunes conjurés qui se percent la langue et les sourcils pour mieux hurler leur angoisse produisent des éclats dont la fureur séduit ; ils l'appellent slam.
La première fêlure de notre poésie vocalique se produisit au début des années 1880 avec la naissance du vers libre. Son berceau fut le cabaret du Chat noir, si fougueusement novateur. Une musicienne polonaise y brisa le tabou de la rime, elle s'appelait Marie Krysinska et ne fut jamais « serveuse de brasserie ». Au contraire, cette femelle étonnante fut la seule à participer au très masculin club des poètes fous, les Hydropathes (1878-1879), sous la houlette d'Émile Goudeau et d'une pléiade de garnements du rire et de la plume. Marie Krysinska publia dès 1882 dans le journal Le Chat noir des poèmes sans rime et sans mesure régulière qui jouaient seulement sur les assonances, les répétitions, les croisements subtils de sens et de sons. À la date du 4 novembre 1882 :
Plus d'ardentes lueurs sur le ciel alourdi
Qui semble tristement rêver.
Les arbres sans mouvement
Mettent dans le loin une dentelle grise
Sur le ciel qui semble tristement rêver
Plus d'ardentes lueurs. (Symphonie en gris)
C'était là un affranchissement dont le XXe siècle, si délié, abusa inconsidérément jusqu'à faire perdre l'usage de la parole à la poésie. Comme le dit Jacques Charpentreau : « Le drame du vers libre, c'est qu'il fait croire aux malhabiles qu'il est à leur portée. » (Au fait, connaissez-vous son magnifique Dictionnaire de la poésie française, qui fait le point sur toutes les formes poétiques ?) La théorie de Charpentreau, que je crois juste, est que si le vers libre « fonctionne » chez Éluard ou Prévert c'est en raison de sa différence avouée qui le décale par rapport aux formes classiques de la poésie. L'absence de rime et de rythme agit par référence à ce que connaît le lecteur cultivé. « Nous avons en nous la poésie du passé, sa structure solide, sa puissance, sa réalité toujours présente même cachée : une culture. »
Certes, pour des gens qui ont passé leur temps d'école, autrefois, à seriner des tirades en octosyllabes et en alexandrins. Mais qu'en sera-t-il des enfants qui n'auront rien connu de ces merveilles ? Jamais été « percés jusques au fond du coeur ? » Charpentreau assure, en poète optimiste : « Le vieux système est là, auquel nous faisons inconsciemment référence. »
Est-ce aussi certain ? La fausse simplicité de Prévert est très jolie pour des gens qui avaient de forts référents, des « vols de gerfauts hors du charnier natal » en pagaille.
Mais faire répéter à huit ans « Il a mis le café dans la tasse » prive les enfants d'une richesse à laquelle ils auraient droit ; c'est leur refuser le manteau de satin d'une langue d'amour. Que des linguistes gras que protège la folie du monde s'ingénient à transformer notre patrimoine en jeux fléchés, grand bien leur fasse ! Alceste dit :
Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu'affectent la plupart de nos gens à la mode.
Je suis assez d'accord avec lui.
«Dictionnaire de la poésie française» de Jacques Charpentreau. Éditions Fayard 1 180 p., 49 €.

 

Commentaires

  • il est cher ce livre, c'est dommage car j'aurais bien aimé le lire...peut-etre un jour!!

  • C'est un dictionnaire et ça ne s'achète pas tous les jours un dictionnaire!...

  • Je suis en train de lire un petit bouquin qui retrace brièvement l'histoire de la poésie. C'est un résumé mais certainement pas si complet que ce dictionnaire. Mais il faut bien commencer...

  • Deux livres très différents et des lectures complémentaires.
    Quel est le titre de ton livre?

  • Le titre est LA POESIE ET LE POEME chez NATHAN dans la collection Genres et mouvements BALISES, collection dirigée par Henri MITTERAND et Dominique RINCE. Petit livre de 128 pages que j'emmène pour lire dans le tram quand je pars au travail.
    Bon dimanche

  • Très bons auteurs et très bonne collection...

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